Sur le chantier de restauration des remparts de l'iconique cité de Carcassonne

La Cité de Carcassonne. © Philippe Benoist

Après 2 ans de travaux, la cité de Carcassonne, classée au patrimoine mondial de l’Unesco (1997) va ouvrir à la visite le tour complet de ses remparts. Visite en avant-première pour Batirama, suivez le guide !




Après plus de deux ans de travaux portant sur 300 mètres de remparts et la restauration de neuf tours (tour Saint-Sernin, tour du souterrain, tour du Trauquet, tour Saint-Laurent, tour Davejean, tour Balthazar, tour du Plô, tour Castera et tour des Prisons) du front est, le CMN (Centre des Monuments Nationaux) achève un important chantier de restauration à l'emblématique cité de Carcassonne. En septembre 2024, et pour la première fois, le parcours complet (depuis le haut du rempart intérieur de la ville médiévale) ouvrira à la visite.


Les travaux auront duré plus de deux ans. Pour Lionel Chabalier, le chef de chantier, les principales contraintes du chantier auront été de s'adapter aux touristes, mais également aux habitants comme aux restaurateurs. Cela excluait, par exemple, les livraisons en journée, le travail après 18h, etc. Avant le début du chantier, et afin d'éviter les accidents, toutes les pierres ont été sondées. © HMMG Drone

 

 

 

 

 

Un circuit de visite inédit

À la fin des travaux de restauration des remparts, la cité de Carcassonne offrira un parcours de visite inédit permettant aux visiteurs d’appréhender l'entièreté du passé multimillénaire de la Cité. Ce circuit de visite prolongé, de 1,3 km et 35 tours traversées, offrira pléthores de panoramas uniques depuis les quatre points cardinaux de la Cité, sur, notamment :

– les cours et façades du château comtal ;

– Les fossés et les glacis des fortifications ;

– Les 2,6 km de remparts et les 52 tours et barbacanes du système défensif ;

– Le dédale de ruelles, les places et les jardins secrets de la ville médiévale ;

– Le quartier épiscopal et l’ancienne cathédrale Saint-Nazaire et son cloître ;

– Le quartier de l’Inquisition ainsi que le grand théâtre de la Cité.

 

La basilique Saint-Nazaire et son cloître. © Laure Pophillat

 

 

L'un des jardins "secrets" de la ville médiévale, dont on taira le nom afin qu'il demeure secret ... © Laure Pophillat

 

 

Le grand théâtre de la Cité, où se déroule chaque année en juillet le festival de Carcassonne. © Laure Pophillat

 

 

 


Le circuit est aussi pensé afin de mettre en avant l’environnement de la cité médiévale, et ce afin de mieux envisager et comprendre les attributs architecturaux, urbains et paysagers du monument : la ville basse (bastide Saint-Louis) et le fleuve Aude, les quartiers typiques de la Barbacane et de la Trivalle, au pied de la Cité, les paysages viticoles du Cabardès et du Minervois, mais également les forêts de la montagne Noire, les garrigues et les vignes des Corbières et de la Malepère ... jusqu’aux montagnes des Pyrénées !

 

Dans le château comtal, point de départ et d’arrivée d'un parcours labellisé "Tourisme et Handicap", seront présentés des dispositifs d’interprétation (film, maquette, musée archéologique, signalétique culturelle) tandis que les chemins de ronde des remparts seront enrichis par la suite d’une signalétique culturelle explicative. Des sorties intermédiaires permettront de graduer la visite selon le souhait des visiteurs seront proposés. © Laure Pophillat

 

 

"Pour son 110e anniversaire, le Centre des monuments nationaux est fier d’offrir au public, pour la première fois, la possibilité de parcourir l’intégralité des mille trois cents mètres de remparts de ce monument classé au patrimoine mondial de l’Unesco et de permettre ainsi au plus grand nombre de saisir toute la beauté et la monumentalité de la Cité, du château et des remparts de Carcassonne." a déclaré Marie Lavandier, la présidente du Centre des monuments nationaux. © Laure Pophillat

 

 

 

 

 

La plus importante campagne de restauration du monument depuis celle menée par Eugène Viollet-le-Duc

Ces derniers travaux d’aménagements et de sécurisation des chemins de ronde du front est sont menés sous la maîtrise d’œuvre d’Olivier Weets, architecte en chef des monuments historiques. Ils constituent la plus conséquente campagne de restauration du monument depuis celle conduite par Eugène Viollet-le-Duc et ses successeurs, soit une surface de 18 000 m2, dont 7 500 m2 carrés de façade et 250 mètres cubes de pierre de taille.

La restauration comprend la mise en sécurité du chemin de ronde, avec la restauration des parements en pierre des remparts, la révision des charpentes et couvertures, la restauration et la restitution des portes et menuiseries, depuis les portes narbonnaises jusqu'à la tour Saint Martin.

Le coût de l'opération se monte à 5 500 000 euros, avec une part de un million pour le CMN et le reste à charge pour le ministère de la Culture et le Plan de Relance.

L'assistance à maîtrise d'ouvrage est assurée par Dekra et les entreprises intervenantes sur le chantier sont : Bourdarios SAS (maçonnerie pierre de taille), Ets Rodrigues-Bizeul (charpente couverture), Molinelli métallerie d'art (serrurerie) et SAS Ega (électricité), toutes situées en Occitanie, hormis SUD France (menuiserie), basée à Toulon (83).

 

Après études et consultations, le chantier a débuté en mars 2022. Il s'achèvera en septembre 2024 et aura duré 30 mois. © Laure Pophillat.

 

 

L'escalier en métal épousant parfaitement le mur de pierres est également l'œuvre de l'entreprise Molinelli métallerie d'art. © Laure Pophillat

 

 

 

 

 

Le défi de l'intégration des pierres neuves à la maçonnerie historique

Les pierres les plus abîmées ont été remplacées par des pierres de grès aux caractéristiques similaires, en provenance de Catalogne espagnole afin de pallier à l’absence de l’existence de carrières locales. Ces dernières ont été taillées et patinées à la main, pour que ces pierres remplacées s’intègrent harmonieusement à la maçonnerie historique.

 

 

Lionel Chabalier, ici en photo, le chef de chantier, précise qu'il a fallu "tâtonner, faire des essais" avant de trouver la "bonne teinte de pierre". Selon lui, et à toutes les époques, un soin particulier avait été mis sur le bâti, ce qui demeure visible dans les différentes strates de construction aux différentes époques. De fait, il a fallu adapter les finitions aux différentes strates, et ce sur toutes zones d'intervention : faire du médiéval sur le médiéval, du gallo-romain sur du gallo-romain et du Viollet-le-Duc sur du Viollet-le-Duc. Bien sûr, cela a nécessité une collaboration avec un archéologue du bâti sur le chantier, avec lequel "les échanges ont été productifs et enrichissants" d'après le chef de chantier. © Laure Pophillat

 

 

 

En tout, huit nuances de pierre ont été sélectionnées, avec différentes nuances de grain. Olivier Chabalier raconte qu'il a fallu nettoyer, vérifier l'état des joints, marquer les pierres à changer, puis attendre la validation de l'architecte. Lors de la purge, il n'a été enlevé que ce qui était nécessaire. Les pierres neuves, une fois intégrées, sont ensuite "abîmées", en adoucissant les arêtes, ou encore en variant la granulométrie, et ce afin qu'elles s'intègrent idéalement. "Les outils que l’on utilise ce sont les mêmes pour que l’on puisse reproduire un travail identique à celui du XIXe siècle. Évidemment que l’on n’utilise plus des burins ou des silex mais des outils plus modernes dès que l’on peut en ne perturbant pas la solidité et l’esthétique de l’ouvrage", détaille encore Lionel Chabalier. © Laure Pophillat

 

 

À l'intérieur des tours, comme sur les murs extérieurs, les différentes strates constructives (selon les époques) sont visibles. Les fondations gallo-romaines, très solides, sont la partie la plus ancienne. Ils utilisaient notamment la brique, un matériau qu'ils maîtrisaient parfaitement et doté d'une excellente cohérence, servant entre autre au chaînage des murs. © Laure Pophillat

 

 

 

Les pierres anciennes, elles, ont nettoyées des mousses et des lichens, puis rejointoyées au mortier de chaux lorsque nécessaire. Certains joints historiques, témoins d’un savoir-faire d’exception et représentant un intérêt patrimonial d’authenticité, ont été conservés autant que possible, au même titre que les pierres.

 

 

 

 

 

Les travaux de restauration dans les tours

Deux tours présentant des pathologies importantes liées aux sols (ces derniers, au fil du temps, ayant bougés) et fondations des ouvrages ont été renforcées pour une meilleure cohésion des structures, les fissures étant reprises par injection de mortier.

 

Enlèvement du béton comme du ciment sur l'une des courtines et pose de pierres. © Catherine Jeanjean / CMN

 

 

La courtine restaurée. Huit personnes ont été formées sur ce chantier, qui, pour certaines, iront ensuite rejoindre d'autres chantiers de monuments historiques.© Laure Pophillat


 

 

La barrière qui clôt actuellement le chemin de ronde pour le commun des touristes. En septembre 2024, elle n'existera plus, et la visite pourra se poursuivre pour tout un chacun. © Laure Pophillat

 

 

 

Dans la tour du Troquet, ici en photo, le plancher a été refait, quelques pierres changées et l'électricité remise aux normes. Dans la tour Balthazar (photo ci-dessus), les travaux ont été plus conséquents sur les deux niveaux de plancher, avec un plancher en R+2 sur muralière, un assemblage en queue d'aronde et un renforcement avec des longrines. Enfin, dans les tours restaurées, il a fallu également refermer les fissures, et ce afin de pallier à une importante problématique, celle du vent s'engouffrant joyeusement parmi les ouvertures. © Laure Pophillat

 

 

 

 

 

Les secrets de la cité de Carcassonne

S'il y a bien quelqu'un qui a laissé son empreinte à Carcassonne, c'est l'architecte Eugène Viollet-le-Duc. En sus de ses travaux de restauration pérennes (les premiers travaux concernent Saint-Nazaire, puis il reconstruit les parties hautes et manquantes de la cité dans un style médiéval "idéal", basé sur une analyse archéologique des élévations), qui dureront de 1852 à 1879 et seront achevés par son élève Paul Boeswildwald en 1911, il travaillait dans une tour de la cité, qui n'est pas encore ouverte au public, où certaines des gargouilles de Notre-Dame de Paris auraient été imaginées puis dessinées.

 

 

 

Eugène Viollet-le-Duc (en photo), son "cabinet de travail" dans la cité de Carcassonne et son carnet de travail, notamment de croquis. © Laure Pophillat

 

 

 

Autre secret encore bien gardé de la cité de Carcassonne, dans une partie de la cour du château qui n'est pas encore ouverte au public, les vestiges d'une mosaïque gallo-romaine du Ier siècle ont été découverts lors de fouilles concernant une chapelle (au cœur de laquelle un trésor monétaire a même été trouvé ...).

 

 

 

Cette  dernière mosaïque a elle été trouvée dans les vignes alentours, puis rapatriée afin d'être exposée avec celle trouvée près de la chapelle. On peut noter l'utilisation du fameux marbre rouge du Languedoc, très spécifique, et que l'on retrouve notamment au Petit Trianon. © Laure Pophillat

 

 

 

 

 

Du haut de ses remparts, 1 000 ans d’architecture militaire et 2 500 ans d’histoire vous contemplent

On estime que l’oppidum de Carcaso naît probablement vers le milieu du VIe siècle avant J.-C., sur un emplacement dominant et se trouvant à un carrefour stratégique entre la voie d’Aquitaine, l’accès vers la haute vallée de l’Aude et la montagne noire (et ses mines de métaux).

À partir du milieu du IIIe siècle, une première vague d’invasions des peuples "barbares" met fin à la Pax Romana et oblige la ville à se doter d’une enceinte fortifiée pour se protéger. Cette fortification sera entretenue et pérennisée pendant toute la période "wisigothe" et restera la base de l’enceinte intérieure médiévale, des vestiges encore visibles sur une grande partie des fronts nord et est.

Établie en comté après la reprise par les carolingiens, Carcassonne passe de main en main tout en conservant une indépendance relative vis-à-vis de Barcelone et de Toulouse. Durant ce temps, la cité s’étend alors hors les murs dans des faubourgs entourant la cité ; faubourgs eux-mêmes défendus par des enceintes.

Lors de la croisade contre les Albigeois, l'évènement le plus marquant concernant Carcassonne, la ville est assiégée, se rend rapidement et finit par être rendue au roi de France, Louis VIII, en 1224. Elle devient chef-lieu de sénéchaussée. Au XIII e siècle, le pouvoir royal dote la ville d’une seconde ligne de remparts, agrandit le château et l’entoure d’une enceinte, dans une architecture alors gothique, défensive, active, dont la porte Narbonnaise est le parfait reflet. Cette fameuse croisade des Albigeois a acté la transformation de la cité, en particulier sur le plan de l'urbanisme.

Ensuite, par le traité de Corbeil (1258), le roi de France renonçant à la suzeraineté sur le Roussillon et la Catalogne, le rôle stratégique de Carcassonne se trouve renforcé, devenant de fait le rempart du royaume du côté de l’Espagne. D'ailleurs, un regain de tension avec l’Espagne conduit à une nouvelle campagne de fortification, de 1280 à la fin XIIIe siècle sous le règne des rois Philippe le Hardi et Philippe le Bel. Durant cette campagne, les lices entre les deux enceintes sont aplanies entraînant d'impressionnants travaux de terrassement avec des reprises en sous-œuvre de l’enceinte supérieure antique par des murs de 5 à 6 mètres de haut sous les structures existantes. Dans le même temps, les parties hautes sont refaites pour gagner en élévation et commander nettement l’enceinte extérieure. Sur l’enceinte intérieure, si l’ensemble nord de la fortification est bâti sur les vestiges de l’enceinte gallo-romaine, les tours Balthazar et toute la corne sud-ouest sont bâtis de neuf ou en englobant totalement les enceintes précédentes.

En 1659, le traité des Pyrénées se traduit par l’annexion du Roussillon et le recul des limites du royaume sur le tracé de la frontière actuelle. La place forte perd son rôle stratégique et entre alors dans un lent déclin entraînant la dégradation des maçonneries et l'occupation des lices par des maisons rustiques, devenant même un quartier paupérisé de la ville (l’économie et les fonctions de pouvoir descendant dans la ville basse). La garnison est très fortement réduite, mais demeure. Cela permettra que les remparts soient conservés au fil des siècles, la cité demeurant militaire jusqu'au XXe siècle.
En perdant son statut de place forte, les parties hautes des fortifications commencent à être démantelées, dont la porte Saint Nazaire, ainsi que la barbacane d’Aude qui prenait place à l’endroit de l’église Saint-Gimer, afin de construire des maisons juste à côté, dans la logique de "prendre la pierre là où elle se trouve". Ces résidents seront expulsés, sommés de rejoindre la ville basse, et leurs maisons détruites lors de la restauration orchestrée par Eugène Viollet-le-Duc qui, ensuite, fera renaître la cité de Carcassonne de ses cendres.

 

 

 

 

Et aujourd'hui ?

Aujourd'hui, la cité de Carcassonne, qui n'a jamais été aussi florissante, témoigne majestueusement de 1 000 ans d’architecture militaire et de 2 500 ans d’histoire. Le monument est ouvert au public par le CMN (Centre des Monuments Nationaux), qui invite tout un chacun à parcourir les chemins de ronde, les hourds et les remparts, à visiter le château, à s'imprégner de l'atmosphère de ses ruelles témoignant d'un passé riche et unique, à la recherche des derniers secrets de la cité, et ce tout en jouissant d'un panorama exceptionnel sur la cité comme la région environnante.

 

Vue sur la "ville basse". © Laure Pophillat

 

 

 

 

Vous souhaitez apporter votre pierre à l'édifice ? Vous aimez la cité de Carcassonne ? Dites-le lui ! Les amoureux du patrimoine peuvent faire un don pour le château et les remparts de Carcassonne et ainsi contribuer à les animer, les entretenir et les préserver pour … les mille ans à venir !

 



Source : batirama.com / Laure Pophillat

L'auteur de cet article

photo auteur Laure Pophillat
Laure Pophillat est rédactrice web polyvalente depuis plusieurs années. Curieuse, éclectique et investigatrice, tous les thèmes pertinents (et donc passionnants) l’intéressent ! Pour Bâtirama, elle rédige avec bonheur sur un large spectre de sujets couvrant l’entièreté de la filière BTP (actualités, conjoncture, réformes, innovations, etc.). Elle apprécie notamment réaliser des portraits de femmes et d’hommes engagés, inspirés et inspirants, dans un environnement, celui du BTP, toujours en mouvement.
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