Politique énergétique française : le feuilleton se poursuit

La voile photovoltaïque mobile autour de la sphère de la Seine Musicale à Billancourt

Après avoir accepté la directive sur les énergies renouvelables, la France persiste à ne pas accepter les objectifs d'Énergies Renouvelables, s'obstine dans une option nucléaire maximale et risque des amendes.




Souvenons-nous ... Fin mars 2023, l’Union européenne adopte la directive européenne sur les Énergies Renouvelables, connue sous l’acronyme anglais RED, avec le soutien de la France.

Cela n’avait pas été sans mal. Jusqu’au dernier moment, deux camps s’affrontaient : la France avec 10 autres états membres avaient constitué une "Alliance du Nucléaire", l’Autriche et neuf États Membres, dont l’Allemagne, étaient rassemblés au sein des "Amis des Renouvelables". Le litige portait sur la nature et le rôle de l’énergie nucléaire, la France soutenant que l’objectif devait être moins le développement des énergies renouvelables que la décarbonation du mix énergétique. Ce qui remettait en selle le nucléaire. Un second différent, directement issu du premier, voyait la France et l’Alliance du Nucléaire demander que l’hydrogène produit à partir d’énergie nucléaire à faible teneur en carbone soit reconnu dans le cadre des objectifs européens en matière de carburants renouvelables pour les transports et l’industrie et soit déduit des objectifs de l’Union européenne en matière d’ENR. C’était le premier round. L’UE fixait pour chaque pays un objectif de 44 % d’ENR dans leur mix énergétique pour 2030.

 

Le nouveau Plan National Intégré Energie-Climat français présenté le 11 juillet 2024 prévoit 33 à 35 GW d’éolien terrestre en 2030. © PP

 

 

L’objectif de biomasse est noyé dans les 297 TWh de chaleur et de froid renouvelables prévus pour 2030. © PP

 

 

 

 

Le PNIEC français, retoqué, amendé, toujours pas accepté

Comme le prévoit le règlement européen de 2018, intégré dans le Pacte vert et le programme d'Union de l'énergie de la Commission européenne, en octobre 2023, la France avait envoyé à la Commission européenne son PNIEC ou Plan National Intégré Energie-Climat. Chaque PNIEC doit contenir les objectifs nationaux et les contributions visant à atteindre les cibles générales de l'Union européenne en matière de décarbonation, de développement des énergies renouvelables, d'efficacité énergétique, de sécurité d'approvisionnement, de gestion du marché de l'énergie et d'innovations technologiques d’ici 2030 et au-delà. La Commission avait publié le PNIEC français le 21 novembre 2023, en l’accompagnant d’une série de remarques sur le fait que les objectifs d’ENR 2030 auxquels la France s’était engagée n’étaient pas précisés. Elle fixait une nouvelle date de remise d’un PNIEC amendé au 30 juin 2024. À cause d’élections inopinées, cette date n’a pas été respectée et la France a finalement remis son PNIEC amendé et la Commission l’a publié le 10 Juillet 2024.

Fin avril, la Commission européenne estimait que l’objectif de 44 % d’ENR dans le mix énergétique ne serait pas atteint, soulignant qu’en 2024 notre pays n’atteindrait même pas les objectifs d’ENR prévus pour 2020.

Page 7 de ce document, de 305 pages tout de même, ses auteurs avouent que la construction de la stratégie énergétique de la France pour 2030 et au-delà n’est pas finalisée. Pages 8, 9 et 10, un tableau récapitule les grands objectifs :

– réduction de la consommation d’énergie finale de 30 % en 2030 par rapport à 2012, soit 1381 TWh, contre - 28,6 % retenu comme objectif européen ;

– Réduction de la consommation d’énergie primaire de 36 % en 2030, c’est l’objectif européen, le tableau ne spécifie pas d’objectif français ;

– Consommation finale d’énergie renouvelable de 570 TWh environ en 2030, dont 54 à 60 GW de puissance PV, 33 à 35 GW d’éolien terrestre, 3,6 GW d’éolien en mer, 26,3 GW d’électricité hydraulique, 297 TWh de chaleur et de froid renouvelables, 48 TWh de biocarburants et 50 TWh de biogaz ;

– La part de chaleur et de froid renouvelables dans la consommation totale de chaleur et de froid devrait atteindre 45 % en 2030(297 TWh) et 55 % en 2035 (entre 330 et 419 TWh) ;

– Dans le bâtiment (tous types confondus), la part d’ENR devrait atteindre 49 % en 2030, conformément à l’objectif européen ;

– L’objectif de neutralité carbone de la France est réitéré, avec comme point d’étape, une réduction des émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) de 47,5 % en 2030 par rapport à 2005.

 

Le solaire thermique est également noyé dans l’objectif de chaleur et de froid renouvelable prévu en 2030. © PP

 

 

 

 

Le compte n’y est pas

Mais voilà, ce nouveau PNIEC ne parvient toujours pas à un objectif de 44 % d’ENR dans le mix énergétique français en 2030 et persiste à mélanger nucléaire et ENR dans la catégorie des énergies décarbonées.

Sans être anti-nucléaire, on ne peut s’empêcher de remarquer que les centrales accumulent des retards et des surcoûts ahurissants et que tout miser avant tout sur le développement du nucléaire n’est peut-être pas la meilleure stratégie. Il faut en moyenne 10 ans et 10 milliards d’euros pour construire un EPR. Si les travaux sont lancés maintenant et que tout se passe bien, la France serait de toutes manières largement en retard sur ses engagements 2030. L’idée même de répandre partout des SMR ou Small Modular Reactors de 50 à 500 MWe dans les zones industrielles autour des villes … multiplie les risques de toutes sortes : accidents, terrorisme, erreur de pilotage, etc. et semble très peu rassurante. Sans compter qu’il s’agit d’une nouvelle technologie non-éprouvée.

En attendant, que risque la France en raison de son PNIEC non conforme ? Bruno Le Maire a joué sur les mots en disant que la France ne paierait pas d’amendes à l’Europe. Il oublie de préciser que si des amendes sont décidées contre la France, les montants seront déduits des contributions européennes au budget français.

EDF a créé sa filiale NUWARD le 30 mars 2023 pour développer des SMR de 340 MWe (2 x 170 MWe) et de 2 x 540 MWth dans le but de produire à la fois de l’électricité et de la chaleur pendant une durée de fonctionnement de 60 ans. © NUWARD

 

 

 

 

Les SMR

De plus, la puissance réduite des SMR ne signifie pas coût réduit. Aux États-Unis, pionnier des SMR, plusieurs entreprises sont déjà en difficultés. NuScale, la première entreprise américaine dont le design d’un SMR avait été approuvé par la NES (Nuclear Energy Commission) a annulé un gros projet. X-Energy, autre pionnier des SMR, a renoncé à son entrée en bourse et licencié une centaine de personnes. La demande d’agrément de Oklo a eté rejeté par la NES. L’évaluation des coûts des projets de TerraPower et de X-Energy par le Department of Energy américain montre des dépassements déjà importants. Ce qui met en cause leur rentabilité financière.

En France, EDF a créé sa filiale NUWARD le 30 mars 2023 pour développer des SMR de 340 MWe (2 x 170 MWe) et de 2 x540 MWth dans le but de produire à la fois de l’électricité et de la chaleur pendant une durée de fonctionnement de 60 ans. Le 29 avril dernier, l’Union européenne a approuvé une subvention de 300 M€ de l’État français pour financer le développement initial (Basic Design).

Le concept et le design du SMR de NUWARD ont été soumis à l’analyse de trois autorités de sûreté européennes : l’ASN (France), STUK (Finlande) et SUIB (République Tchèque). Leur avis a été publié le 26 septembre 2023. Le texte de 30 pages publié souligne qu’il s’agit d’un avis très préliminaire, qui sert davantage à engager un dialogue avec NUWARD portant sur la sécurité de fonctionnement qu’à figer des exigences de conception. Une seconde évaluation s’est engagée avec plus d’autorités de régulation européennes.

Mais tout ceci peut être remis en cause par le gouvernement qui sera formé à l’issu des dernières élections législatives et par la politique qu’il pourra faire accepter par une majorité des membres de l’Assemblée Nationale. En attendant, c’est le flou !

 



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
1 Commentaire
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argent
  • par archi
  • 17/07/2024 11:57:26

L’énergie électrique est chère et ça n’a pas l’air de devoir changer. Le problème des grosses centrales, c’est leur perte de charge. Cela ne viendrait à l’idée à personne d’installer sa chaudière à plusieurs kilomètres, c’est pourtant ce qu’on fait avec l’électricité : le taux de perte est énorme : 2,58! Un grille-pain de 1000 W appelle une production de 2 580 W. Au-delà du débat des pro et anti nucléaire, des déchets mortels sur des dizaines de milliers d’années qu’on va cacher à Bure faute de solution, il me semble évident qu’avant tout c’est primordial de réduire cette perte de façon drastique, il faut donc produire local. En conséquence, ça condamne plutôt le nucléaire (comme par ailleurs toutes les grosses centrales), mais surtout c’est là toute la force des ENR : en plus d’être facile à installer, rapide et sans trop de risque, ça produit partout et presque tout le temps à condition de penser à la complémentarité. Le défit est plutôt dans ce changement de paradigme qui va au-delà de la smart grid, contraire à tout ce qu’EDF a fait auparavant. Au lieu de produire en gros et « toutes fenêtres ouvertes », il faudrait produire local et gérer tout ça avec de la régulation fine et du micro-stockage à développer, par exemple la micro hydroélectricité qui existe depuis 120 ans et plus, ou la réutilisation de batteries déclassées, une solution balbutiante parmi d’autres.

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