Béton bas carbone : la technologie d’Ecocem qui fera ACT

L’usine Ecocem de Dunkerque va se transformer pour fabriquer du ciment ACT dès 2026. © Ecocem

ECOCEM va industrialiser ACT, sa technologie de béton bas carbone permettant une réduction de 70 % des émissions de CO2 vs. la moyenne des ciments en France. Chronique d’une décarbonation accélérée.




Le béton, grand pourvoyeur d’émissions de CO2

Deux principaux leviers sont identifiés pour décarboner l’industrie du ciment : le Captage et le Stockage du Carbone (CSC), qui consiste à capturer le CO2 à la cheminée des usines et à le stoker en sous-sol ou à l’utiliser dans un process industriel grâce à des techniques qui commencent seulement à être testées dans quelques endroits, ne sera pas généralisable avant 2050 et demande de très lourds investissements.

La solution la plus prometteuse à court terme (et la première à mettre en œuvre) est de limiter les émissions de CO2 du ciment en réduisant drastiquement la part de clinker dans les ciments.

Le clinker représente autour de 10 % de la masse d’un béton classique mais 90 % de son empreinte carbone (pour les deux-tiers liée à la réaction chimique de fabrication du clinker et pour un tiers à l’énergie consommée par le process).

 

Massifiable à l’échelle mondiale, le ciment ACT, dont l’empreinte carbone est d’environ 200 Kg eqCO2/t (et qui en outre, consomme moins d’eau qu’un ciment traditionnel), peut être produit dans la grande majorité des cimenteries existantes sans coût supplémentaire. © Ecocem

 

 

 

 

Un défi majeur en matière d'accélération de la décarbonation

"Il est urgent de réduire les émissions de CO2 au niveau mondial. Les technologies existent pour les diviser par deux dans l’industrie cimentière d’ici 2030", résume Conor O’Riain, le directeur général Europe d’Ecocem

Les émissions liées à la construction et à l’exploitation des bâtiments ont atteint de nouveaux sommets en 2022, représentant 37 % des émissions mondiales totales de CO2.

D'ici 2050, on estime que 68 % de la population mondiale vivra dans des zones urbaines et la demande mondiale en matières premières devrait doubler d'ici 2060. 60 % des bâtiments et infrastructures utilisés à cette échéance n'ont pas encore été construits et 80 % d'entre eux se trouveront dans les pays en voie de développement. De par ses qualités, le béton est incontournable pour satisfaire aux besoins de construction, même si les techniques constructives évoluent vers moins de béton consommé (avec notamment l’impression 3D béton, ou encore l’écoconstruction mixte bois-béton).

 

Conor O’Riain, le Directeur Général Europe d’Ecocem. © Ecocem

 

 

 

 

 

Ecocem, acteur engagé

L’enjeu est de déployer les technologies de ciment bas carbone qui contiennent un taux de clinker significativement réduit, tout en garantissant des caractéristiques techniques identiques et à un coût inchangé. Si elles sont largement adoptées, ces solutions à faible teneur en carbone permettront d’éliminer 1,6 milliard de tonnes de CO2 par an et de réduire les émissions mondiales de CO2 du ciment de 50 % dès 2030.

Les équipes d’Ecocem sont convaincues du rôle de premier plan que peut jouer à courte échéance la technologie ACT de ciment à faible teneur en carbone. Elles s’emploient à la faire connaître et la diffuser sous licence le plus largement possible aux cimentiers, au travers de partenariats pouvant prendre différentes formes selon les pays et les entreprises (175 accords de confidentialité étaient déjà signés mi-juillet).

 

 

 

 

 

 

Les années décisives pour Ecocem

En France, avec ses sites de production de Fos-Sur-Mer depuis 2009 et Dunkerque depuis 2018, ce leader indépendant européen des ciments bas carbone réalise une belle croissance ces deux dernières années. Depuis sa création en 2000, ses quatre sites (deux autres sont en Irlande et aux Pays-Bas), ont produit 22 millions de tonnes de liants et de ciment bas carbone entrant dans la composition de béton prêt à l’emploi, béton préfabriqué, bâtiments, fondations et travaux spéciaux, souterrains, génie civil et ouvrages d’art, mortiers industriels (soit 18 millions de tonnes d’émissions de CO2 évitées par rapport à une production classique).

Chaque année, le groupe dédie 2,5 % de son chiffre d’affaires (de plus de 137 millions d’euros en 2023) et 20 % de son effectif global à la recherche et au développement de nouvelles technologies de ciment bas carbone. En 2022, sa technologie de fabrication de ciment à seulement 30 % de clinker est au point (après 10 ans de R&D).

 

Le site de Dunkerque fabrique des ciments à empreinte C réduite : des CEM III/A et CEM III/C depuis 2018, du CEM III/B depuis 2020 et du CEM VI depuis 2023. Y sont aussi produits Ecocem Ultra, un liant alcali-activé prêt à l’emploi à empreinte C “ultra-faible”, et du laitier granulé de haut fourneau moulu. © EJH

 

 

 

 

 

La technologie ACT : une innovation de rupture

ACT est une combinaison inédite de ciments aux taux de clinker réduits, de fillers calcaires et d’additions minérales SCM à faible empreinte carbone comme des laitiers, des argiles calcinées ou non, des cendres volantes, des fines de bétons recyclés et d’autres produits de l’économie circulaire. Mélange auquel sont ajoutés des adjuvants de type superplastifiants qui garantissent une mise en œuvre inchangée du béton frais ainsi qu’un béton plus performant et plus durable.

Grâce à l’usage optimisé de filler calcaire et d’additions minérales locales à très faibles empreintes carbone, le taux de clinker du ciment passe d’un taux moyen de 75 % à moins de 30 %. L’empreinte carbone du ciment est ainsi divisée par 3 environ, soit une réduction d’environ 70 % de l’empreinte carbone du ciment ACT par rapport à la moyenne des ciments français.

Jalousement gardée et protégée par 6 brevets, la technologie ACT est aujourd’hui une technologie mature qui affiche des performances techniques de résistance mécanique, de maniabilité et de durabilité du béton, confirmées par de multiples essais en laboratoire et éprouvées en centrale et sur quelques chantiers pilotes, comme l’opération de logements livrée par Urbis Réalisations en juin, pour Bouygues Immobilier aux Méliades, à Saint-Jean-de-Védas (Hérault).

ACT permet d’anticiper l’intégralité des seuils de la RE 2020 pour le lot Gros Œuvre (la réglementation vise - 35 % de CO2 émis par le bâtiment d’ici 2030).

Fin 2023, Ecocem a édité sa fiche de DEP (Déclaration Environnementale Produits) et début 2024, ACT a obtenu son ETE (Evaluation Technique Européenne) qui ouvre la voie à un marquage CE. Un avis Technique du CSTB est espéré pour la fin 2024.

 

 

 

 

 

 

Du ciment ACT bientôt produit à Dunkerque

Avec son partenaire CB Green, Ecocem passe sans tarder à la phase d’industrialisation, en faisant de son site de Dunkerque le fer de lance de son offensive de décarbonation. L’emplacement est stratégique pour approvisionner les grands chantiers d’infrastructures du nord de la France, de l’Île-de-France et du Nord de l’Europe.

 

L’équipement actuel : un broyeur vertical à rouleaux d’une puissance de 100 t/h (ici), des mélangeurs, des installations de stockage et des silos. © EJH

 

 

 

Et une salle de pilotage moderne. © EJH

 

 

 

 

 

L’usine va connaître des changements majeurs

Aujourd'hui d’une capacité de production annuelle de 50 000 tonnes sur 5 000 m2 de surface, elle va accueillir la construction d’un broyeur à filler horizontal, l'ajout de nouveaux mélangeurs, de nouvelles capacités de stockage, de chargement et une modification de ses infrastructures. Les travaux débutent cette année, pour une mise en production en 2026.

Ce premier ACT sera suivi par d’autres car, outre l’optimisation des performances environnementales, techniques et économiques de ses produits et technologies, le centre de R&D Ecocem et les laboratoires communs développés avec les universités Paris-Saclay et INSA Toulouse développent de nouveaux produits utilisant des technologies de rupture qui permettront à l'industrie du ciment de se décarboner encore plus rapidement.

À terme, le ciment pourrait ne plus contenir du tout de clinker, c’est en tous cas ce que visent les travaux de recherche.

Cette mutation doit s’accompagner d’une évolution de la norme, condition sine qua non pour un développement rapide des technologies de ciments décarbonés.

 

Pour ce premier démonstrateur industriel, l’ensemble du projet prévoit un quasi doublement de la surface construite, utilisant au maximum la parcelle de terrain. © EJH

 

 

 

 

 

Objectif : bilan carbone net zéro dans le domaine des matériaux de construction

Bien sûr, les émissions liées à l’usage du béton en France sont une goutte d’eau dans « l’océan » de CO2 émis au niveau mondial (les émissions liées au ciment fabriqué aux États-Unis et en Europe totalisent 7 % des émissions de CO2 globales). Cependant, l’idée défendue par Ecocem est qu’une diffusion la plus large et la plus rapide possible de la technologie ACT pourrait avoir un impact fort sur la planète : "Ecocem appelle l’industrie du ciment et les gouvernements à travailler main dans la main pour déployer les technologies existantes et réduire de 50 % les émissions mondiales de CO2 dues au ciment au cours de cette décennie même" déclare Olivier Guise, le directeur exécutif.

Pourra-t-on parler d'exemplarité de la France en matière de décarbonation du ciment ?

 

Chargement du clinker en vue de son broyage dans la cimenterie Ecocem. Substitut d’une partie du clinker dans le ciment, le laitier de haut-fourneau est un coproduit de la fonte d’ArcelorMittal, partenaire et voisin d’Ecocem sur le port de Dunkerque. 500 000 tonnes sont achetées par Ecocem cette année mais les volumes disponibles sont limités. ACT permet heureusement d’utiliser d’autres substituts disponibles en quantité. © EJH

 


Source : batirama.com / Emmanuelle Jeanson © EJH

L'auteur de cet article

photo auteur Emmanuelle JEANSON
Collaboratrice de longue date de Batirama, elle est journaliste indépendante dans la presse pro du bâtiment et de l’énergie depuis ses débuts dans le métier (qui remontent à la dernière décennie du siècle dernier !). Ses sujets de prédilection : tout ce qui contribue à une construction plus soutenable ; les techniques anciennes remises au goût du jour ; les énergies renouvelables ; aller à la rencontre des artisans et de leur quotidien, mais aussi comprendre les enjeux de l’activité industrielle.
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