Aujourd’hui, malgré les difficultés conjoncturelles, la filière française de la construction bois est structurée. Elle dispose de règles professionnelles, s’appuie à la fois sur la CVO (contribution volontaire obligatoire) en amont et sur la taxe affectée en aval.
Stockage de carbone, isolation thermique, chantiers propres, cycles courts : en principe, tout converge pour que la construction bois prenne solidement sa place en France comme mode constructif courant.
Ce n’était pas du tout le cas il y a quarante ans. Au moins, les donneurs d’ordre étaient parfois ouverts à l’expérimentation, comme le signifie bien l’existence en plein Paris du Centre Pompidou.
Arrive de Gdansk une jeune étudiante Polonaise qui s’inscrit dans l’air du temps mais propose une déclinaison radicalement différente en utilisant du bois. Au Blanc-Mesnil, le quartier de La Pièce Pointue porte bien son nom.
En 1986, le jeune atelier d’architecture qu’Iwona Buczkowska fonde en 1980 réalise aux portes de Paris, à Ivry, Les longs sillons : 96 logements sociaux sur 15 000 m2, en béton. Son approche s’inscrit dans la continuité des réalisations téméraires de Jean Renaudie dans la même ville.
Au même moment démarre l’aventure de la réalisation de ces 225 logements sociaux tout à fait inhabituels du Blanc-Mesnil, sur 3 hectares, qui s’étendra sur une décennie. Cette fois, l’architecte franchit le pas, tout sera en bois (hors parkings et commerces).
Et 20 ans plus tard, le bailleur social a fait remplacer les garde-corps par une solution standard, gommé la colorimétrie. Rien de plus courant. Mais il y a pire : à l’occasion d’un changement politique de l’équipe municipale, le quartier de la Pièce Pointue est menacé. Selon l’architecte, il est question de modifier le PLU afin de permettre une plus grande densification urbaine près de la gare RER de Blanc-Mesnil.
L’architecte Françoise-Hélène Jourda aimait prendre le contrepied des idées reçues en affirmant qu’elle construisait pour trente ans. Cette durée de vie de plus en plus limitée se constate particulièrement avec les ouvrages récents. Pas tant pour des raisons de ruine, mais simplement par inadéquation.
Au moins, la Pièce Pointue pourrait être un chantier de démolition-recyclage exemplaire. Il n’empêche qu’il s’agit d’un témoin historique des premiers pas franciliens de la construction bois, qui est couronné par de nombreux prix. Et que ce qui est remis en cause, ce n’est pas forcément le manque de densité, mais sans doute aussi l’approche alternative dont témoigne toujours ce projet.
Le soupçon se renforce par le risque de démolition qu’encoure également, actuellement, un autre ouvrage majeur de l’architecte, tout bois lui aussi : le collège Pierre Sémard à Bobigny, toujours près de Paris.
« Pour ce bâti de quatre niveaux, 48 arcs paraboliques en lamellé-collé, portent les planchers suspendus, créant ainsi partout des plans libres qui permettent d’éventuelles adaptations ultérieures de l’édifice », explique l’urbaniste Jean-Pierre Lefebvre dans un essai en ligne dédié à l’architecte polonaise.
L’approche technique a déjà permis de faire passer en 2008 la capacité d’accueil de 600 à 700 élèves. Cette fois, le conseil général ne semble pas vouloir combler les vides restants pour adapter une nouvelle fois le collège à l’évolution de ses attentes.
Une destruction presque complète est envisagée, contre laquelle la filière bois se mobilise avec une pétition qu’ont déjà signée plus de mille personnes, dont un grand nombre d’architectes français prestigieux, souvent plutôt réservés quant à l’utilisation du bois dans la construction.
« Ce qui ne nous détruit pas nous rend plus fort » : l’adage cadre bien avec cette situation où la menace permet de braquer les projecteurs sur le patrimoine singulier de la construction bois en France.