Tramayes: le dossier exemplaire d’une réhabilitation avec ITE refusée par l'ABF

Tramayes: le dossier exemplaire d’une réhabilitation avec ITE refusée par l'ABF

La réhabilitation de l’ancienne gendarmerie de Tramayes (71) a fait l’objet d’une longue lutte administrative entre un maire et un architecte des Bâtiments de France (ABF) opposé à la prescription d'une ITE*. Récit.




* Isolation thermique par l'extérieur

 

Légende photo : La commune de Tramayes est située en région Bourgogne - Franche-Comté, à 16 km de Cluny et 25 km de Mâcon. Elle compte 1 060 habitants. L’ancienne gendarmerie est située en bas à droite de l’image (voir la flèche), au tout premier plan. À gauche, le château de Tramayes est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

 

Le dossier de l’ancienne gendarmerie de Tramayes (71) s’ouvre il y a une dizaine d’années. À l’époque, plusieurs locataires se partagent le bâtiment : un médecin et un dentiste en occupent le rez-de-chaussée et trois particuliers habitent à l’étage.

 

Mais lorsque la municipalité crée une maison de santé pluridisciplinaire, le médecin et le dentiste y déménagent. La commune décide alors de libérer entièrement le bâtiment bi-centenaire pour le revendre à un professionnel de l’immobilier. « Mais nous n’avons eu aucun retour » se souvient Michel Maya, maire de Tramayes.

 

En 2014, bien décidée à sauver le bâtiment, la commune se tourne vers le Conseil en Architecture, Urbanisme et Environnement (CAUE) pour définir un projet de rénovation. Puis, en 2015, la commune de Tramayes étant labellisée “Territoire à énergie positive pour la croissance verte”, elle choisit de placer dans ce cadre la réhabilitation de l’ancienne gendarmerie. « Nous avons demandé un financement au ministère de l’Environnement pour financer la rénovation de ce bâtiment » raconte le maire.

 

 

Michel Maya, le maire de Tramayes, est ingénieur mécanicien de formation. Diplômé des Arts et Métiers, il a passé 37 ans en tant qu’enseignant à l’ENSAM de Cluny. Son parcours l’aide à mieux comprendre les enjeux techniques des dossiers de la commune qui envisage de devenir Territoire à énergie positive pour la croissance verte en 2050. Michel Maya est satisfait : « Nous avons neuf appartements en construction dans l’ancienne gendarmerie et sept sont déjà réservés ».

 

Une convention signée avec Ségolène Royal

 

En juin 2015, une convention est signée avec Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement et de l’Énergie. Ce document prévoit que l’ancienne gendarmerie de Tramayes intègrera des solutions écologiques assez audacieuses, en particulier l’isolation thermique des murs par l’extérieur (ITE).

 

Cependant, ayant quelques doutes sur la rentabilité économique du projet, la municipalité de Tramayes prend contact avec le conseil régional de Bourgogne. Avec cet appui, décision est prise de confier un diagnostic et une étude de faisabilité à un architecte. Celui-ci rend sa copie et met en évidence l’aspect très tendu du budget en raison des exigences environnementales assez poussées liées au projet.

 

« Le coût d’investissement était assez lourd. Mais, étant donné que le bâtiment rénové devait abriter des logements sociaux à loyers bas, le conseil régional de Bourgogne mettait lui aussi la main à la poche » se remémore Michel Maya. La commune de Tramayes décide donc d’y aller. Elle engage une nouvelle consultation auprès d’un deuxième architecte. Celui-ci élabore un projet complet de rénovation. Et un permis de construire est déposé.

 

 

D’une grande banalité, le bâtiment d’origine était revêtu d’un enduit ciment gris sur l’ensemble de ses façades, ne laissant voir aucune modénature, aucune pierre d’angle, aucune pierre de fenêtre…

 

Coup de théâtre en 2016 : le permis de construire est refusé

 

En 2016, alors que l’instruction du permis est en cours, le Service départemental de l’Architecture de Saône-et-Loire émet un avis négatif. « Ce refus portait essentiellement sur l’isolation par l’extérieur de la façade Sud de l’ancienne gendarmerie, celle-ci se trouvant face au château de Tramayes, un monument inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques » précise Michel Maya.

 

S’en suivent des échanges de nouveaux courriers avec le ministère de l’Environnement, celui-ci confirmant la réalisation de l’isolation par l’extérieur. Ségolène Royal précise même qu’elle va donner la consigne aux services de l’État.

 

Mais le dossier est compliqué car le refus de permis de construire est motivé par un “avis conforme” de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF). Explication… Lorsqu’une commission d’accessibilité ou une commission incendie délivre un “avis simple” négatif, le maire d’une commune peut passer outre : il est dans son droit. Mais il endosse la responsabilité de son choix en cas de problème d’accessibilité ou d’incendie dans le bâtiment visé. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un “avis conforme”, personne ne peut s’y opposer : ni le maire, ni le préfet, ni même une ministre.

 

 

La municipalité de Tramayes a lutté pour maintenir son projet d’isolation extérieure des murs de l’ancienne gendarmerie en matériaux biosourcés. Ce choix lui a permis de refaire les façades tout en garantissant de bons résultats énergétiques. L’ITE est en effet recommandée pour les murs en pierre car elle évite les ponts thermiques et facilite la gestion du confort d’été (inertie des murs). Mais surtout, elle n’ampute pas les espaces intérieurs : à Tramayes, l’ITE permet de gagner 15 m2 par niveau, soit 45 m2 au total.

 

Une décision suivie par la préfecture de région Bourgogne

 

« Nous étions véritablement dans une position de refus » rappelle Michel Maya qui décide d’actionner la voie administrative pour débloquer la situation. Il saisit donc la commission régionale du Patrimoine et des sites. Mais cette instance, présidée par la préfecture de région Bourgogne, laisse penser, à travers ses remarques, qu’elle est plutôt encline à suivre la décision de l’Architecte des Bâtiments de France.

 

« Un membre de la commission m’a même dit que, s’agissant de vieilles pierres, il faudrait interdire l’isolation des murs par l’extérieur à la proximité d’un monument historique » se remémore Michel Maya.

 

Le maire n’est donc pas surpris de recevoir, après coup, la décision de la commission qui confirme la position du service départemental de l’Architecture. C’est un refus.

 

La commune maintient son permis de construire et se met hors la loi en 2017

 

La municipalité de Tramayes est coincée. Nous sommes en juin 2017 et l’instruction du permis de construire arrive bientôt à son terme. En accord avec le conseil municipal et après avoir consulté un cabinet d’avocat, Michel Maya décide lui-même d’accorder le permis de construire à la commune.

 

La décision, envoyée au contrôle de légalité, déclenche la réaction du préfet : « Il m’a renvoyé mon courrier en rappelant que l’Architecte des Bâtiments de France avait émis un avis négatif et qu’il avait un “avis conforme”. Il me demandait donc de retirer ce permis de construire, disant que l’on ne pouvait aller contre la décision de l’ABF ». Examinée au conseil municipal de Tramayes, la missive du préfet débouche sur une nouvelle décision : celle de maintenir le permis de construire.

 

L’élection présidentielle de 2017 rebat les cartes : Michel Maya écrit au ministre de la Culture et au ministre de la Transition écologique - des changements étant survenus dans ces ministères - dans l’espoir d’obtenir des retours et des soutiens. Mais cela ne fonctionne pas.

 

« Le 30 juin 2017, je confirme l’acceptation du permis de construire » lâche Michel Maya. Et le préfet n’a plus le choix : il constate que le maire de Tramayes ne veut pas se plier et qu’il est hors la loi. Il l’attaque donc devant le Tribunal Administratif de Dijon, comme le veut la procédure. Michel Maya s’y attendait. Il avait préparé cette nouvelle phase avec son avocat. Les deux parties tentent donc de défendre leur point de vue en justice.

 

 

L’isolation par l’extérieur (ITE) du bâtiment a été confiée à la SAS Nugues, basée à Dompierre-les-Ormes (71). Les panneaux réalisés pour la plupart en fibres de bois ont été découpés et assemblés en atelier puis amenés sur le chantier, distant d’une trentaine de kilomètres, par camion.

 

Première manche au Tribunal Administratif de Dijon

 

« Chacun a fait valoir ses arguments. Malheureusement, fin novembre 2017, le président du TA de Dijon m’a interpellé en audience : “Monsieur le maire, vous voulez faire quelque chose qui va dans l’air du temps. Vous êtes en train de lutter contre le dérèglement climatique. Vous utilisez des matériaux bio-sourcés et innovants pour lutter contre la précarité énergétique. Vous faites des logements sociaux à faibles loyers mais de qualité. Vous avez un super projet. Mais vous avez un avis négatif de l’ABF. Vous n’avez pas démontré qu’il commettait des erreurs de jugement et comme il a un “avis conforme”, nous sommes obligés de suivre son avis. En conséquence, vous devez retirer votre permis de construire ». Nouveau refus.

 

Prenant à la lettre les propos du président du Tribunal Administratif de Dijon, Michel Maya et son avocate se mettent en tête de démonter l’argument de l’Architecte des Bâtiments de France. Ils choisissent d’aller en appel. Michel Maya n’y va pas de gaieté de cœur : « Vous comprenez bien la position du maire. Il est difficile pour lui de se mettre à dos les services de l’État. Être en porte-à-faux avec l’ABF avec lequel nous travaillons régulièrement sur de nombreux sujets, c’est délicat. Se montrer en conflit ouvert, ce n’est pas simple… Malgré tout, nous décidons d’y aller plus franchement ».

 

 

Les panneaux en fibres de bois mesurent de 24 à 30 cm d’épaisseur. Ils revêtent majoritairement la façade, sauf aux séparations de niveaux où un autre matériau est utilisé afin de limiter les risques de propagation du feu en cas d’incendie.

 

Deuxième manche devant la Cour administrative d’appel de Lyon

 

Devant la Cour administrative d’appel de Lyon, Michel Maya interpelle l’ABF qui déclarait : « L’isolation par l’extérieur est nuisible aux bâtiments en pierre ». Le maire de Tramayes extirpe de son dossier des études du Cerema et de Maisons paysannes de France qui démontrent, au contraire, que pour les maisons en pierre, l’isolation extérieure avec des éléments bio-sourcés est meilleure que l’isolation par l’intérieur pour tous les ponts thermiques et l’isolation d’eau.

 

« Nous avons donc demandé à l’ABF de prouver ce qu’il avançait. Et là, ils n’ont rien pu mettre en face » dit le maire. Autre assertion contestée : la commission régionale des sites, dans ses conclusions, avait écrit que le projet de rénovation de l’ancienne gendarmerie de Tramayes était contraire à la loi de Transition énergétique.

 

« Nous avons plaidé au tribunal en disant que nous avions des écrits de Ségolène Royal - à l’origine de la loi - qui nous encourageait dans notre projet. Nous avons demandé à nos adversaires de prouver que nous contrevenions à un article de la loi. Là encore, les arguments en retour se sont révélés un peu secs… » sourit Michel Maya.

 

Au final, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon pointe que l’Architecte des Bâtiments de France est sorti de son champ de compétences pour émettre son avis. S’il est bien entendu que l’ABF puisse émettre un avis concernant l’aspect visuel des bâtiments, il n’est pas compétent pour juger des parties techniques d’isolation. Ce n’est pas son cœur de métier. Et il sort de ses compétences en prescrivant de l’isolation intérieure plutôt que de l’isolation extérieure. Grâce à cet argument, la commune de Tramayes gagne en appel. Et le permis de construire est donc validé en mars 2019.

 

 

Tramayes étant classée en zone 3 pour le radon, la commune a demandé au Cerema de l’aider à bien maîtriser ce problème. Les représentants du Cerema sont venus effectuer des mesures de radon sur les bâtiments existants (état zéro). Ensuite, ils sont intervenus avec la maîtrise d’œuvre pour l’élaboration des Comités de Coordination des Programmes Régionaux d'Apprentissage et de Formation des entreprises (CCPP) afin de donner des consignes lors des travaux au niveau du radon.

Des bâches plastiques ont été posées au sol de manière à tout isoler. L’étanchéité doit être parfaite pour éviter les retombés de radon dans le logement. Le Cerema a également mené des formations, à la fois pour les architectes et pour les entreprises.

 

L’État va-t-il former un pourvoi en cassation ?

 

En juillet 2019, le préfet de Saône-et-Loire se rend à Tramayes avec l’architecte en chef des Bâtiments de France - et non plus la personne qui avait instruit le dossier. Une discussion s’engage.

 

L’architecte en chef des Bâtiments de France interroge Michel Maya :« Allez-vous déposer un nouveau permis de construire ? ». Celui-ci répond : « Madame, en ce qui nous concerne, l’affaire est tranchée. Le jugement a entériné le projet. Si vous souhaitez modifier des choses à la marge, sur des fenêtres, des volets ou sur des couleurs, vous pouvez vous adresser à l’architecte de la commune. Mais je ne referai pas de dossier de permis de construire ».

 

Michel Maya s’adresse ensuite au préfet : « Tout cela est bien beau mais nous avons perdu des années en affrontements administratifs. Nous avions un plan de financement et des attributions de subvention par le conseil régional et le conseil départemental. Ce temps perdu nous situe en limite de consommation des crédits. Nous risquons de les perdre, ce qui menace le bon équilibre économique du projet ».

 

Le préfet répond : « Déposez-moi un dossier de demande de subvention et je verrai comment l’instruire ». Finalement, l’État ne souhaite pas aller en cassation. Michel Maya le regrette un peu car cela aurait permis d’établir une véritable jurisprudence. Néanmoins, le préfet de Saône-et-Loire joue le jeu et la commune de Tramayes obtient une subvention de 350 000 euros pour la rénovation de l’ancienne gendarmerie, le total de l’opération étant de 1,7 million d’euros.

 

En décembre 2019, les travaux commencent officiellement

 

Michel Maya remarque : « 350 000 euros, c’est une part non négligeable, d’autant que nous avons également pu récupérer les subventions du conseil départemental et de la Région, pour près de 600 000 euros. À ces sommes vient encore s’ajouter la subvention de 90 000 euros accordée par le ministère de la Transition écologique…

 

Notre plan de financement a donc été amélioré par rapport à la situation initiale. Nous sommes beaucoup plus sereins sur le modèle économique de notre projet : les loyers vont rembourser l’emprunt sans aucune difficulté. Il s’agit de loyers sociaux, fixés à 5,80 euros du mètre carré par mois. Nous disposons de logements T3, T4 et T5, le plus grand faisant 100 m2. Ils s’adressent à des familles à faibles revenus qui vont bénéficier d’aides au logement.

 

 

Le cabinet Chambaud Architectes a mis en musique, aux côtés des entreprises, toutes les grandes étapes de cet ambitieux projet de rénovation qui comporte un total de 9 appartements traversants, orientés Nord / Sud. La livraison finale du bâtiment est programmée pour le mois d’avril 2021

 

Un retard de seulement 15 jours avec la crise du Covid

 

Les consultations d’entreprise sont menées durant l’été et l’automne 2019, puis les travaux de l’ancienne gendarmerie commencent officiellement en décembre 2019. « Il fallait qu’il en soit ainsi pour justifier le maintien des subventions » explique Michel Maya.

 

Les travaux de désamiantage sont menés fin janvier 2020 puis l’entreprise de gros-œuvre intervient sur le chantier. C’est le moment que le Covid choisit pour survenir. Le premier confinement ne vient pourtant pas à bout du chantier. Seul un petit retard de 15 jours est comptabilisé, le temps que tous les acteurs trouvent un mode de fonctionnement du point de vue réglementaire.

 

Mais où en est-on aujourd’hui ? « Tous les planchers bois ont pu être démontés et remplacés par des planchers béton. Nous avons, actuellement, tous les corps d’entreprise - électriciens, plombiers, plâtriers, peintres… - dans le bâtiment. La toiture a été refaite. Les aménagements extérieurs vont être finalisés. L’ensemble des travaux nous sera livré fin avril 2021. Nos logements sociaux visent les jeunes ménages qui n’ont pas beaucoup de ressources. Nous sommes heureux de les accueillir, quitte à ce qu’ils se déplacent ensuite pour construire ailleurs » conclut le maire de Tramayes.

 

 

Rénovation du bâtiment avec les travaux d'électricité

 

             

Un prix national pour la réhabilitation et des ombrières acceptées par l'ABF !

 

 

En septembre 2019, une nouvelle discussion entre le maire de Tramayes et l’ABF est l’occasion d’évoquer le parking, situé à l’arrière de l’ex-gendarmerie. « Pourrions-nous y aménager des ombrières pour abriter les véhicules ? » demande le maire. L’ABF donne son accord et les ombrières sont construites, surmontées de 200 m2 de panneaux photovoltaïques. « Tout s’est bien terminé pour nous » se réjouit Michel Maya.

 

En novembre 2020, la commune de Tramayes a reçu le prix national “Ma ville, Mon artisan” dans la catégorie “Développement durable et éco-responsable” délivré par les Chambres de Métiers et de l’Artisanat.

 

« Il s’agissait de montrer comment les collectivités aident les artisans dans les thématiques du développement durable et de la reprise d’entreprise. Nous avons présenté le dossier de l’ancienne gendarmerie en soulignant que nous nous étions battus pour maintenir le projet avec l’isolation par l’extérieur. Nous savions aussi qu’une entreprise située a 30 km de Tramayes était capable de résoudre le sujet de l’ITE en pré-assemblant les éléments en atelier avant de venir les poser sur la façade du bâtiment. Nous avons fait la démonstration du bien fondé de cette méthode moderne tout en permettant à l’entreprise de bénéficier d’une vitrine locale » conclut Michel Maya.

 

 


Source : batirama.com/ Jacques Le Corre

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