Il suffit de dissocier le support de communication et la langue utilisée.
Voici le second épisode de notre feuilleton sur la domotique. Il est consacré aux langages que parlent tous ces équipements domotiques. On les appelle protocoles de communication. Ils sont nombreux.
Aucun d’entre eux ne s’impose réellement face aux autres. Ce serait trop facile. Un domoticien, par force, est polyglotte et son apprentissage des langues semble sans fin. De nouveaux protocoles apparaissent en effet régulièrement.
L’échange de données entre deux appareils est gouverné par un ensemble de règles et de conventions qui constituent le protocole de communication. En réalité, il s’agit d’un empilement de règles ou de couches de règles.
Chaque couche se charge d’une fonction particulière. La norme internationale OSI et le protocole TCP/IP utilisé pour internet, disposent chacun de 7 couches. En principe ces couches sont indépendantes. C’est le cas dans le modèle OSI, mais pas tout à fait en TCP/IP.
Les 6 premières couches concernent les fonctions de réseau et organisent l’échangent des données. La septième est la couche d’application, c’est celle qui permet de donner un sens aux données échangées.
Sans cette septième couche, les réseaux ne transportent pas de sens, mais des données en vrac. Voici encore une analogie qui nous vaudra certainement de nombreuses critiques. Lorsque deux personnes parlent, les couches 1 à 6 constituent le support physique de la communication, en l’occurrence la modulation des sons et la réception des sons.
La couche 7, c’est la langue dans laquelle ces deux personnes parlent et qui leur permet de transformer en message avec du sens, tous les sons émis et reçus.
Dans la vraie vie, deux personnes peuvent utiliser le même support physique de communication avec des langues différentes. Elles peuvent parler anglais, français, allemand, etc.
Et à l’inverse, elles peuvent utiliser des supports physiques différents avec la même langue : le français est parlé, écrit, lu, projeté sur un écran, chanté, … Dans leur majorité, les protocoles domotiques ne fonctionnent pas de cette manière. Ils ont tendance, soit à ne pas s’occuper du sens, gérant seulement l’échange de données. Soit, et c’est encore pire, à associer étroitement support physique et langue.
C’est bien sûr le cas des protocoles propriétaires, mais pas seulement. Dans l’univers domotique des protocoles dits ouverts, on aboutit régulièrement à une situation où le français ne peut être que parlé, mais n’existe pas à l’écrit. Si vous voulez écrire, c’est possible seulement en allemand. Une projection ? En Norvégien ou rien.
Il serait bien plus logique de dissocier support physique et langue. De manière à ne pas réinventer la roue à chaque fois que l’on veut, probablement pour des raisons légitimes, développer un nouveau support physique de communication.
ZigBee, par exemple, piloté par the ZigBee Alliance, est un protocole de communication sans fil qui parle, mais ne dit rien d’intelligible, pour l’instant. De manière peu gourmande en énergie et avec une grande efficacité, il assure le bon transfert des données d’un point à un autre, sans du tout s’intéresser à leur sens, jusqu’à présent.
C’est notamment ce qui permet à deux applications domotiques, les systèmes Wiser de Schneider Electric et Pluzzy de Toshiba, d’utiliser tous deux ZigBee, tout en demeurant parfaitement incompatibles. Ces deux fabricants utilisent les couches 1 à 6 de Zigbee pour transmettre les données. En l’absence de 7e couche unifiée, ils ont développé chacun la leur pour interpréter les données et créer du sens.
Z-Wave, un protocole sans fil, concurrent de ZigBee, possède en plus des profils d’appareils. Autrement dit, il s’occupe non-seulement de transmettre les données, mais aussi de la langue : il a créé sa 7e couche.
Malheureusement, ce n’est pas un protocole parfaitement ouvert. Pour l’utiliser, il faut acquérir une licence auprès de Sigma Designs. Z-Wave était très rare en France, jusqu’à ce qu’Orange décide d’en faire le protocole de communication de son système domotique Homelive en 2014.
Malgré l’existence de cette 7e couche dans Z-Wave, tout n’est pas idéal. Il n’est pas possible d’ajouter un appareil Z-Wave non-Orange au système Homelive. Il sera reconnu, mais ses possibilités ne seront pas nécessairement exploitées en totalité. Legrand est membre de Z-Wave Alliance, tout comme Fakro, Danfoss, Devolo, Honeywell et Somfy. Legrand et Somfy ne proposent aucun produit compatible Z-Wave en France.
ZigBee, pour sa part, se focalise sur le transfert des données. Il possède ce que l’on appelle une « Mesh structure » ou structure maillée. Chaque point du réseau est à la fois émetteur et récepteur. Si des données doivent aller du point A au point C, elles passeront par D ou E pour atteindre C dans le cas où B est indisponible.
De plus, l’émetteur attend un message d’acquittement de la part du récepteur. S’il ne le reçoit pas, il émet à nouveau son message. Donc, avec ZigBee, comme avec Z-Wave qui possède la même structure maillée, les données parviennent toujours à bon port. C’est un atout.
L’absence de 7e couche unifiée est un problème. Toujours dans notre analogie, si deux personnes utilisent la même ligne téléphonique – le support physique – mais ne parlent pas la même langue, chaque personne reconnaît que l’autre parle, mais aucun dialogue n’est possible. Pour palier cette absence, deux univers se sont déjà préoccupés de créer une langue fonctionnant en couche 7 de ZigBee : BACNet et l’éclairage domestique.
ZigBee est officiellement la version sans fil du protocole BACNet utilisé en GTB. Les objets et les profils BACNet – la langue de ce protocole – sont en effet “mappés”, c’est-à-dire codifiés, dans la couche 7 de ZigBee.
De leur côté, les principaux fabricants mondiaux de sources lumineuses à usage domestique – Philips Lighting, Toshiba, Panasonic, Osram, General Electric, … -, rassemblés dans la Conected Lighting Alliance, ont créé en 2012 les spécifications ZigBee Light Link. C’est-à-dire une 7e couche consacrée au pilotage de l’éclairage domestique dans ZigBee.
Le site de ZigBee répertorie environ 250 produits ZigBee Light Link certifiés. Ils sont proposés notamment par ABB à travers sa filiale Busch-Jäger, par General Electric, Osram Sylvania, Philips Lighting avec son système Hue et d’autres produits, par Texas Instruments, des entreprises allemandes, néerlandaises et chinoises, mais aucun japonais.
On ne sait pas trop dans quelle mesure Light Link est utilisé. Les mêmes industriels, en partie, soutiennent en effet le développement d’autres protocoles de communication, dont Thread + Weave, qui poursuivent le même but : le pilotage interopérable de l’éclairage domestique à travers différentes marques de luminaires et de télécommandes.
Le fait que ZigBee, sauf exception, ne s’occupe pas de la couche applications est devenu une limitation assez sévère, notamment dans la perspective de l’explosion des objets connectés dans la maison. Si chacun parle sa propre langue, la babélisation guette.
Outre Light Link, ZigBee Alliance a développé d’autres 7e couches : Home Automation (domotique), Health Care (santé), Remote Control (télécommande)… Cela commençait à faire un peu désordonné. Il semble aussi que ce ne soit guère utilisé, notamment parce que l’interopérabilité entre ces différentes spécifications est loin d’être parfaite.
ZigBee Alliance devrait donc publier au 1er trimestre 2016, les spécifications ZigBee 3.0 qui ne changent rien aux couches 1 à 6, mais créent une couche 7 unifiée pour l’internet des objets et la domotique, tout en absorbant toutes les 7e couches spécifiques qui existent déjà dans ZigBee.
De manière à ce que deux appareils communicants sur ZigBee, puissent fonctionner ensemble, même s’ils viennent de deux fabricants différents. Avec un peu de chance, cette évolution sera présentée au salon Light+Building en mars à Francfort et nous vous la raconterons en détail.
En attendant, force est de constater que seuls deux groupes dans le monde de la domotique procèdent autrement, en dissociant la langue et le support physique : KNX et Weave. KNX est disponible sur paire torsadée, sur réseau TCP/IP, en version sans fil… mais c’est toujours la même langue.
KNX est l’un des plus importants protocoles de communication dans le monde domotique. Nous en traiterons dans un article qui lui sera entièrement consacré.
Weave, pour sa part, est une invention de Nest. On avait cru un instant qu’il associait fortement support physique – en l’occurrence la radio – et la langue. Mais depuis que Nest l’a ouvert en 2014, on s’est rendu compte qu’il permet une dissociation de la langue et du support physique.
Nest appartient à Google. Thread est un nouveau protocole de communication sans fil développé par un consortium de 220 grandes marques mondiales à fin janvier 2016, emmenées par Google.
Aux côtés de Google et de Nest, on trouve Daikin, Delta Dore, Gewiss, Intel, Legrand, LG, Osram (éclairage), Philips (tout court, pas Philips Lighting), Schneider Electric, Samsung, SolarCity (des installateurs de toits photovoltaïques + stockage d’électricité aux USA), Somfy, Velux, Viessmann... Que du beau monde.
Il faut donc se pencher sur le couple Thread + Weave de plus près, même ou surtout, si un grand nombre de ces industriels participent également à KNX et à la ZigBee Alliance. Ce sera l’objet de notre troisième article.
- -
Petite précision, Orange ne fabrique pas de produit Zwave. Orange rebrand des produits notamment Fibaro, Everspring,...