En 2017, pourquoi faut-il un Prix des Femmes Architectes ? Est-ce que les divers prix d’architecture ne suffisent pas ? Après tout, aujourd’hui plus de 40% du total des diplômes décernés par les écoles d’architectures d’Europe reviennent à des femmes. Oui, mais la reconnaissance professionnelle ne suit pas aussi vite.
Lancé en 1979, le prestigieux Prix Pritzker a été remporté par une femme – Zaha Hadid - pour la première fois en 2004. Depuis, seulement deux autres femmes – Kazuyo Sejima en 2010 et Carme Pigem en 2017 – ont reçu le Prix Pritzker.
Quant au Prix de l’Equerre d’Argent, depuis 1983, il a accordé une mention spéciale à Françoise-Hélène Jourda en 1987, une mention à Brut d’Architectes en 1992, une mention à Sophie Denissof en 1996, une mention à Catherine Dormoy en 1998, une mention, spéciale tout de même, à Zaha Hadid en 2001, …
Il faut attendre 2003, pour que l’Equerre d’Argent distingue une femme : Claire Piguet avec Yves Lyon pour l’Ambassade de France à Beyrouth. Depuis 2003, l’Equerre d’Argent est devenue quasi-paritaire ou presque. Mais il reste de la place pour un prix d’architecture distinguant des femmes.
Remise des Prix des Femmes Architectes 2017 au Pavillon de l’Arsenal, de gauche à droite, Sophie Berthelier (Femme Architecte 2017), (Prix de l’œuvre originale), (Présidente de l’ARVAH), Marie Blankaert (Mention Prix Jeune Femme Architecte 2017). ©PP
Le Prix des Femmes Architectes a été créé par l’Association pour la Recherche sur la Ville et l’Habitat (Arvha) en 2013. Depuis, il rencontre un succès croissant : 108 participantes et 448 projets en 2013, 173 participantes et 692 projets en 2015. Cette année, la compétition a été ouverte du 1er juin au 30 septembre 2017.
Quelque 280 architectes se sont portées candidates et ont présenté 820 projets au total. Lundi 11 Décembre, l’Arvha a décerné les Prix des Femmes Architectes 2017 au Pavillon de l’Arsenal à Paris.
Le Jury était composé de Béatrice Auxent ex-présidente et conseillère du CROA Haut de France, des lauréates du Prix 2016 : Véronique Joffre, Ingrid Taillandier, Tania Concko, Amelia Tavella, de Silja Tillner architecte autrichienne membre fondatrice du Women in Architecture de Vienne, de Fulvia Faggoto architecte italienne membre fondatrice de l’Association Donne Architetto, d’Eva Alavarez, architecte espagnole professeur à l’université polytechnique de Valence et de Catherine Guyot directrice de l’Arvha. Il s’est réuni le 31 Octobre et a alloué quatre prix et trois mentions spéciales.
Dominique Marrec, au centre, Mention Spéciale Femme Architecte 2017, a cofondé en 1193 et cogère l’agence d’architecture ECDM Architectes. Elle a notamment été distinguée cette année pour le bâtiment administratif du centre bus RATP à Thiais. ©PP
En 2017, les quatre prix sont : Jeune Femme Architecte (moins de 40 ans) décerné à LA Architecture, avec une Mention Prix Jeune Femme Architecte allouée à Marie Blankaert, Œuvre Originale décernée à Cécile Mescam, Femme Architecte (plus de 40 ans) décroché par Sophie Berthelier, avec une Mention Spéciale à Dominique Marrec et le Prix International qui revient à l’espagnole Carme Pino, avec une Mention Spéciale à la sud-africaine Carin Smuts.
La suite de cet article se concentre sur Marie Blankaert et LA Architecture.
La concertation et la participation des futurs habitants d’une rénovation ou d’un projet de construction sociale comptent beaucoup pour Marie Blankaert. Elle y voit une condition nécessaire à la bonne conception d’un projet de logements. ©BLAU
Marie Blankaert est très fière des entreprises et des compagnons avec lesquelles elle mène ses chantiers. Notamment celles qui ont travaillé à la rénovation de l’îlot Stephenson à Tourcoing avec elle pendant quatre ans. ©BLAU
Marie Blankaert a créé la société BLAU en février 2013 pour développer son projet de vie professionnelle. "Il s'agit de produire une ville haute qualité urbaine, une architecture de haute qualité humaine. L’agence réalise de nombreuses études urbaines en aménagement comme en renouvellement urbain à l’échelle du quartier comme celui de la communauté de communes" indique la jeune femme.
"L’agence a terminé récemment une étude de Rénovation urbaine d’un quartier de Grands Ensembles, le quartier Baudimont à Arras, réalisée en co-création avec les habitants : 65 ateliers ont permis de dessiner un projet de renouvellement partagé entre habitants et acteurs de la fabrication urbaine.
L’agence réalise également deux autres études de rénovation urbaines à Arras et Escaudain-Lourches-Roeulx dans lesquelles les habitants sont intégrés à des degrés différents, allant de la participation à la co-construction. Côté architecture, l’agence travaille actuellement sur plusieurs projets de logements, restaurants et hôtels, notamment des projets de 10 à 120 logements sur des territoires en mutations sur l’ensemble du territoire de la Métropole Européenne de Lille ».
L’Îlot Molière est un projet d’accession très sociale à Lille. Il a été conçu par Marie Blankaert et BLAU, son cabinet d’architecture, à partir d’un système constructif à ossature bois. ©BLAU
« En 2012, le Groupement d'Intérêt Public Lille Métropole rénovation urbaine rencontre la mairie de Roubaix, l'aménageur la SEM Ville Renouvelée, le promoteur Nacarat et l'entreprise Création Bois pour lancer un projet de construction de logements en Accession Très Sociale. La finalité de cette expérience est de permettre aux ménages gagnant le SMIC de pouvoir accéder à la propriété.
Pour faire ce projet, le groupe cherche un architecte acceptant de travailler avec un système constructif et des matériaux imposés par le constructeur. Ayant l'expérience des projets à petits budgets … et de l'expérimentation de trois systèmes constructifs pour réduire les coûts de réhabilitation des maisons Stephenson à Tourcoing, je rejoins l'équipe du projet.
Le concept du projet Molière s'appuie sur des contraintes réglementaires et constructives desquelles je ressors des atouts. Le respect de la bande non aedificandi en pourtour d'îlot et de la trame constructive m'amène à proposer une évolution du béguinage historique flamand. Les maisons double-orientées, s'organisent autour d'une placette largement plantée. En façade, les habitations se ressemblent mais quelques détails les distinguent.
A l'intérieur les futurs habitants choisissent les finitions dans une palette prédéfinie et pour réduire les coûts d'accession, quelques travaux restent à la charge des futurs propriétaires. C'est aussi une manière pour eux de s'approprier leur habitat ».
LA Architecture a été créé en 2009 par Linda Gilardone, assise à gauche, et Axelle Acchiardo, debout à côté d’elle. Depuis, outre ses fondatrices, l’agence compte 10 personnes de plus, dont 8 architectes et un rare spécimen à la fois architecte et ingénieur. ©PP
En 2009, après avoir mené des carrières séparément à Paris et à l’étranger, Axelle Acchiardo et Linda Gilardone fondent LA Architectures. L’une de leurs plus belles réalisations jusqu’à présent est « une opération de 35 logements locatifs sociaux, lancée en 2011 par l’OPH de Montreuil, conçue dans le cadre de la résorption de sites d’habitats précaires, répartis en 18 et 17 logements sur deux sites du quartier Branly-Boissière à Montreuil.
Sur cette opération, le terrain d’assiette s’inscrit dans un îlot urbain aux volumes bâtis variés et hétérogènes, allant du pavillon aux ensembles collectifs de grande échelle. Sur rue, se développent deux corps de bâtiment en R+2+A, de part et d’autre d’une faille mettant en relation la rue et l’intérieur de l’îlot. Ces deux bâtiments, par leur hauteur et leur profil crénelé s’insèrent dans l’épannelage varié et hétéroclite de la rue et du quartier. Au fond de la parcelle, se développe un petit immeuble R+2.
Lors de la remise des prix, Axelle Acchiardo, à gauche, avait du mal à trouver ses mots. Elle a tout de même remercié les donneurs d’ordres qui ont fait confiance à une toute jeune agence qui n’avait pas encore livré d’opération, créée par deux jeunes femmes d’une trentaine d’années : l’APIGE (Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice), l’OPH de Montreuil pour 35 logements et un marché de travaux de l’ordre de 4 millions d’Euros, Immobilière 3F pour une trentaine de logements à l’Haÿ-les-Roses. Axelle Acchiardo souligne que ces trois donneurs d’ordre publics les ont admises à concourir sur la foi de leur talent et de leur vision, en dépassant le seul critère du Chiffre d’Affaires de l’agence. En plus, elles ont remporté ces concours. ©LA Architecture
L’ensemble des 18 logements donnent sur la cour intérieure plantée, poumon et centre névralgique de l’opération par les nombreux usages qu’elle concentre : vues, espaces verts, potagers, vélos, circulations, terrasses communes et privatives.
Les espaces extérieurs, jardins, cheminements, escaliers et passerelles sont à la fois des espaces servants et des espaces servis. Ils structurent l’organisation du projet, desservent l’ensemble des logements, et forment des espaces partagés. Vivre en ville comme dans un village, créer une opération connectée au sol, c’était notre vision d’une autre manière d’habiter en logement collectif dans un quartier urbain résidentiel en très proche banlieue parisienne.
Le bardage vertical qui a été choisi est un pin traité Classe 3, avec adjonction d’une pigmentation noir en autoclave. Ce procédé permet un grisaillement naturel du bois. Cette opération en ossature bois est labellisée BBC Effinergie Classe A. Le solaire thermique couvre 30% des besoins annuels de chauffage et de production d’ECS.
L’opération de 18 + 17 logements locatifs intermédiaires à ossature bois, construite par LA Architecture à Montreuil intermédiaires offre un autre modèle d’habiter : un projet pour tous, pouvant générer du lien social, du partage et de l’échange. Une forme urbaine du hameau vertical. ©LA Architecture / Charly Broyez