Faire face aux pénuries d’eau actuelles et à venir est une gageure. Après être tombées dans l’oubli pendant des décennies, les techniques des Anciens pour collecter et conserver l’eau de pluie sont remises au goût du jour. Dans la région de Nîmes, il tombe à peine 700 mm de pluie par an, les sources sont rares et l’eau souterraine se trouve loin de la surface. Entre le 18ème et le début du 20ème siècle, les vignerons cultivateurs ont construit dans la garrigue des dizaines d’édifices en pierre sèche, dits « capitelles » dans le Gard. Quelque 650 de ces bâtiments ont été recensés autour de Nîmes, abris pour les animaux et l’homme ou destinés à récupérer l’eau de pluie, par l’orientation du ruissellement du toit ou du faîtage des murs vers une citerne. Sur le site de Font Aubarne, planté d’oliviers sur un hectare, des murs de soutènement et de clôture ainsi qu’une capitelle-cuve (pour le stockage des récoltes) datant du XVIII ou du XIXe siècle ont d’abord été restaurés sur 3 ans, dans le cadre de stages d’insertion. Maurice Roustan, technicien formateur, président de la Confrérie des bâtisseurs en pierre sèche et de l’Association de sauvetage, d’entretien et de restauration du patrimoine urbain et rural (l’Aserpur), basée à Nîmes, a également encadré ce chantier de création d’un ensemble : « 8 personnes ont travaillé durant 4 mois.L’impluvium et des murs de la capitelle-citerne représentent 85 % du temps passé ». Les 3 techniques de récupération de l’eau pluviale sont utilisées :
1 • La pose des pierres du toit selon une inclinaison inversée, permettant d’orienter l’eau vers l’intérieur, dans la citerne.
2 • La création d’une surface dallée en pente, permettant de drainer l’eau dans une rigole qui la dirige vers un bassin de décantation, avant d’être stockée dans la citerne (impluvium artificiel).
3 • La récupération de l’eau de ruissellement du talus contre lequel s’appuie la capitelle citerne, selon la pente naturelle (impluvium naturel).
Pour contenir environ 5 000 litres d’eau, le bâtiment doit mesurer 2 m sur 2 m, sur une hauteur de 3 m. La construction est semi-enterrée pour que la poussée de l’eau stockée soit en partie compensée par le sol. Les murs poids, de 0,8 m d’épaisseur (1,6 T/m3), sont calculés pour supporter cette poussée. L’ensemble pèse environ 4,5 tonnes la citerne pleine. « On utilise les pierres trouvées sur place, qui proviennent des dérochages successifs réalisés pour cultiver la terre, ou du rocher qu’on a égalisé. Le matériau ne manque jamais ! » conclut Maurice Roustan.
Source: batirama.com / Emmanuelle Jeanson
2 • Au bout d’une semaine, le mur de l’impluvium (à gauche) est édifié. Les pierres de la base sont les plus grosses. Le calcaire « de découverte », fragile, ne permet pas de retouche importante.
3 • La porte de soutirage est orientée à l’ouest, pour limiter l’exposition de l’eau au soleil. Une grosse pierre plate marque le seuil. Les murs de la capitelle et de l’impluvium sont réalisés en pose croisée. Des clefs de boutisse, formées de trois pierres longues croisées et crochetées les unes aux autres, relient les deux parements et les stabilisent.
4 • Après 3 semaines, le linteau de la porte va être monté. Une tuile de terre cuite traversante sert de trop plein.
5 • Les murs sont à hauteur de la voûte. Le mur poids de l’impluvium mesure 6 m par 3 m. La rigole de terre cuite, posée dans l’épaisseur du mur, est protégée des débris végétaux. Le sommet sera couvert d’une pente de lauzes de calcaire
6 • Un linteau cintré en pierres clavées est réalisé grâce à un gabarit et un coffrage. Atypique de ces constructions, il a ici une valeur essentiellement pédagogique.
7 • La voûte en encorbellement est réalisée de l’intérieur, à l’aide d’une échelle, sans coffrage. Les lauzes de calcaire sont inclinées vers l’intérieur pour diriger la pluie vers la citerne.
8 • Le bâti achevé, l’enduit intérieur est réalisé par trois couches de mortier spécial piscine et une couche d’enduit d’étanchéité sanitaire.
9 • L’accès à la citerne est protégé par une porte de bois.
10 • L’ensemble achevé, agrémenté d’un escalier, s’intègre au paysage
La filière se structure
Claire Cornu, responsable du secteur pierre sèche à la Chambre des Métiers du Vaucluse, œuvre pour la structuration et l’organisation de la filière pierre sèche depuis 6 ans.
C’est à elle que l’on doit l’annuaire des praticiens de la pierre sèche, première étape d’identification du savoir faire au niveau national. « De nombreuses associations locales font un travail remarquable de sensibilisation au patrimoine et au paysage. Avec, notamment, les Artisans bâtisseurs en pierre sèche des Cévennes (ABPS), la Confrérie des bâtisseurs en pierre sèche et les Muraillers de Provence, nous travaillons à identifier et à structurer les artisans muraillers, aujourd’hui éparpillés tant géographiquement que dans plusieurs corps de métier. Il s’agit d’établir une filière professionnelle, qui n’a pour le moment qu’une reconnaissance fragile. Sans normes ni règles, il est difficile de créer un marché.Avec l’Ecole nationale de travaux publics de l’Etat (ENTP) de Lyon, laboratoire de génie civil reconnu, nous sommes engagés depuis 2004 dans « l’analyse des caractéristiques des systèmes constructifs non industrialisés ».
Un guide des bonnes pratiques
Cet opus, qui devrait être disponible en 2007, sera une étape décisive car, validé par le CSTB, il fera office de référence avec le « Guide des bonnes pratiques professionnelles », en cours de rédaction par la Capeb et les 3 associations de professionnels. » La pierre sèche, tout en restant une niche qualitative, attire de plus en plus d’amateurs d’authenticité. Technique traditionnelle par excellence, elle s’harmonise aussi avec les matériaux et les architectures modernes. L’avenir s’ouvre donc à elle et les professionnels doivent se préparer à répondre aux sollicitations du marché. « Notre prochain cheval de bataille est la qualification des formateurs et des hommes de terrain, réclamée par les professionnels, qu’ils soient concepteurs ou artisans », annonce Claire Cornu.
INFOS PRATIQUES
EN SAVOIR PLUS
De nombreux sites Internet et ouvrages traitent de la pierre sèche comme partie intégrante du patrimoine et du paysage. Pour une approche plus pratique de la technique, deux « incontournables » :
CD Rom : « Les murs en pierre sèche », édité par la Chambre des Métiers de Lozère, disponible à la Chambre des Métiers du 48 et auprès des ABPS.
Livre : « La restauration des murs de soutènement en terrasses », Cahiers Pratiques du Parc National des Cévennes (2002), disponible au Parc et auprès des ABPS.
STAGES DE FORMATION
Les stages de sensibilisation à la technique de la pierre sèche de 3 ou 4 jours fleurissent. La plupart sont tout public et tous n’apportent pas les notions suffisantes pour se lancer dans un chantier en pierre sèche. Pour une formation de qualité, les valeurs sûres restent les associations professionnelles, qui respectent une charte de qualité et ont également pour objet de transmettre leur savoir faire: les ABPS, la Confrérie des bâtisseurs en pierre sèche et les Muraillers de Provence. La Capeb de chaque département est susceptible d’organiser des stages à la demande de ses adhérents |
Quelques sites
Chambre des Métiers du 84 : www.cm-avignon.fr , rubrique pierre sèche
Réseau européen des pays de la pierre sèche : www.lcm.fr/reppis ,
Réseau écobâtir : reseau-ecobatir.asso.fr