L’hybride frugal

Immeuble d'habitation 18 rue Pradier à Paris

Les solutions hybrides optimisées, mêlant le biosourcé à la maçonnerie, dessinent un terrain d’expérimentation nouveau, à l’instar du bâtiment d’habitation du 18 rue Pradier conçu par l’agence MOA avec LM Ingénieur.




Au dernier Forum Bois Construction, la Galerie d’Architecture Bois/Biosourcée du XXIe siècle a vendu du rêve. LM Ingénieur et l’agence MOA en étaient. Il est évident que face à la catastrophe climatique, le monde de l’architecture et de l’industrie cherche des solutions très bas carbone qui passent par le recours aux matériaux biosourcés, aux géosourcés comme la pierre et la terre crue, au réemploi et, comme cela se profile, aux équipements résilients. Le marché public notamment scolaire est un laboratoire et heureusement, certains bailleurs voire promoteurs étendent la recherche aux habitations.

 

Magnifique raccord entre de l'architecture "moderne" et un immeuble haussmannien. © Cyrille Lallement

 

 

 

Pas de voie royale pour le bois structurel

Pour autant, avec la grimpée des taux d’intérêts, la crise de l’immobilier de logement, l’adaptation de l’industrie cimentière aux nouvelles donnes, les nouvelles règles de protection incendie, la réalité du marché actuel semble bien différente d’une progression continue vers un monde proche et inéluctable où la construction bois et biosourcée serait la norme. Cet écart entre le rêve et la réalité rappelle la situation après l’entrée en vigueur de la RT2012 censée stimuler la construction bois, et débouchant en fait en 2015 sur une grave crise de cette niche de marché.

 

L'immeuble en construction dévoile sa structure en béton. © Cyrille Lallement

 

 

 

Le béton s’impose en plancher

Paris a été durant ces 15 dernières années le théâtre d’une expérimentation continue de techniques constructives alternatives, dans le cadre d’un mouvement national. Ce mouvement était porté par le recours aux panneaux CLT notamment en plancher. Actuellement, les agences WOA et VLAU élèvent dans le quartier Bruneseau la troisième tour "en bois" de 50 mètres, la Tour Commune, si l’on laisse de côté la surélévation de la tour Watt par VLAU

Sept ans d’attente depuis le concours, des tergiversations à n’en plus finir et de nouveau une tour mixte, en structure béton, avec des planchers en CLT. Marco Maxit, WOA : "Il faudrait sans doute faire plutôt comme pour la tour Wood Up juste à côté : une structure en BLC et des planchers en béton".

 

Sur cour, la FOB accueille la projection de chanvre selon les nouvelles règles professionnelles. © Cyrille Lallement

 

 

 

L’esprit de la RE2020

Le doute s’installe, car WOA signifie Wood Oriented Architecture et WOA n’est de loin pas seul à réfléchir pour développer une pratique architecturale pratique intégrant du béton, au-delà des utopies et du malgré nous. La mixité qui se profile parfois risque de tourner à un recours massif et injustifié aux biosourcés, juste pour éponger le carbone d’une structure en béton. Et ça, c’est pas frugal. Par exemple, je construis quelques étages supérieurs en bois pour atténuer le bilan carbone des étages inférieurs en béton. L’industrie du bois et les charpentiers n’y voient pas d’inconvénient, et on le comprend bien, mais on n’est pas du tout dans l’esprit de la RE2020 et des enjeux climatiques, ni de l'économie de matière.

 

Projection de béton de chanvre. © Cyrille Lallement

 

 

 

Au-delà du béton et de la charpente

Rajouter un peu de bois et de biosourcé pour pouvoir continuer à construire comme avant, c’est compréhensible puisque le marché français de la construction s’est structuré depuis longtemps autour du béton. Et au moins, dans ce cas, il y a de la charpente, et une forme d’optimisation économique en attendant que le gouvernement sous pression ou sous idéologie obscurantiste n’allège la RE2020 version 28 et 31. À vrai dire, il y a de multiples options techniques et le cas de la rue Pradier 18 à Paris 19e en fournit un bon exemple, même si l’opération fait partie des résidus RT2012 (tout de même avec le Plan Climat parisien…).

 

 

 

Un immeuble marquant

Premier constat, c’est un beau bâtiment, noble, avec une façade en pierre qui met en valeur sa profondeur un peu comme pour les exemples récents de pisée préfa (Déchelette) ou de béton de chanvre préfa (RamDam). De façon très tendance, le plaisir visuel est augmenté par le contraste avec les menuiseries en pin du nord (Menuiseries Moreau), auxquelles s’ajoute des stores en bois. Pour le reste, le bois est surtout présent en FOB sur cour, support de béton de chanvre. Le plancher en PVC imite très bien le parquet en chêne. Avec un prix de construction au m2 de 2 700 euros environ, dont 500 selon l’agence MOA de surcoût parisien, et des logements à loyer intermédiaire avec quelques PLS, l’effet global est tout de même saisissant.

 

 

 

Une enveloppe travaillée

La structure est en béton sur poteaux de 20x20 cm parfois noyés dans le béton de chanvre qui prolonge en façade la pierre naturelle, ou la FOB côté cour. L’interaction entre MOA et LM Ingénieur a permis d’optimiser l’isolation de façade, et surtout de la rendre perspirante.

Laurent Mouly, ingénieur thermique et environnement de LM Ingénieur, insiste sur le travail d’enveloppe qui traque les ponts thermiques afin de réduire les exigences de performances thermiques des parois opaques. Parce que la pierre biseautée de façade devient de temps en temps trop fine, un vide d’air est ménagé entre elle et le béton de chanvre projeté sur Nergalto. À l’intérieur, une simple plaque Fermacell assure la planéité, la résistance et la migration de vapeur.

 

 

 

Le béton de chanvre dans l’équation climatique

Même si le permis date, les règles professionnelles de la construction chanvre sont parues l’été dernier et ce chantier est l’illustration que l’on n’en restera pas au prototype de la rue Myrha de l'agence NXNW, du bâtiment près de la station Marx Dormoy par Barrault Pressacco et de quelques autres essais. Le chanvre arrive à Paris ! On le voit ici associé à de la pierre régionale, et de la FOB. En soi le chanvre compense plus ou moins le carbone de son "béton". L’équation générale de ce nouvel immeuble aurait sans doute du mal à passer la RE2025, mais elle est déjà RT2012 – 34 % en consommations énergétiques Bbio et Cep. En troquant les poteaux en béton contre une ossature en BLC, peut-être que ça pourrait marcher…

 



Source : batirama.com/ Jonas Tophoven / © Cyrille Lallement
 

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
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