Le Club Urbanisme Bâti et Biodiversité* mène depuis des années une réflexion prospective sur le sujet de l’intégration de la biodiversité dans les pratiques d’urbanisme et le bâtiment. Ses 26e Rencontres ont permis de mettre en lumière la construction en terre crue. Et notamment un sacré pari, lancé par Cycle Terre, pour le Grand Paris de demain.
L’Agence d’architecture Joly et Loiret s'emploie à promouvoir ces matériaux à la fois locaux et aussi peu transformés que possible. Paul-Emmanuel Loiret a approfondi sa démarche en cofondant un atelier de recherche, d’expérimentation et de pédagogie dont l’objet est de participer à la MUtation Ecologique de nos milieux de vie. MUE-Expériences co-conçoit et co-construit des projets dans le domaine du design, des édifices, de l’aménagement des territoires et des « paysages post-carbone ».
« L’acte de construire génère une forte production de GES : quasi 20 % des émissions françaises sont liés à la fabrication et la mise en œuvre des matériaux de construction », rappelle-t-il, « Et la vie du bâtiment est responsable d’une autre part importante des émissions. Travailler avec des matériaux très faiblement carbonés, car peu transformés, permet de limiter les émissions. Et dans certains cas, cela participe à limiter l’artificialisation des sols. Car les constructions nouvelles utilisent la plupart du temps des parcelles agricoles ou naturelles, autour de 70 000 hectares par an ! »
Partant de là, comment construire à grande échelle avec des matériaux faiblement transformés et n’ayant que peu d’impact sur les sols ?
La Maison du parc, créée en 2010 à Milly la forêt. Elle a été conçue de façon à offrir des supports de nidification en façade, avec des nichoirs amovibles, à placer à différentes hauteurs sur le bardage en bois. Les premiers matériaux de terre crue utilisés ont été testés à cette occasion (briques d’adobe et enduits).
Les déblais représentent environ 90 % des déchets urbains. L’idée de construire avec les déblais des chantiers du Grand Paris a germé il y a 5 ans et a bien poussé depuis : « Nous avons évalué que d’ici 2030, seront extraits en Ile de France 4 à 500 millions de tonnes de terres, dont l’essentiel ne sera pas recyclé. L’idée est de réintégrer de la terre dans la construction. Cette terre est le principal matériau dont dispose la région. En sélectionnant les terres adaptées, nous obtenons une ressource de matériaux de construction très faiblement carbonés et déjà extraits. »
Entre 2020 et 2026, environ 35 millions de tonnes de terre seront extraits chaque année. Depuis 2016, les sites de stockage ont été recensés autour de Paris. Les différents types de terres ont été analysés avec le laboratoire CRAterre (Centre international de la construction en terre) et Amàco, un centre de ressources pédagogiques qui accompagne les pros de la construction, de l’architecture et du design dans la conception et la réalisation de projets transformant les matières naturelles disponibles localement en matériaux de construction.
Les résultats, rendus publics lors de l’exposition « De la matière au matériau » **, présentent 12 mélanges de terres sélectionnés pour produire des matériaux à couler, comprimer, extruder, etc. Quasiment toutes les techniques de terre crue connues sont utilisables.
Parmi les expérimentations menées pour valider les produits, citons un groupe scolaire de Villepreux, près de Versailles, dont les murs de refend ont été réalisés avec ces différents matériaux : adobes, torchis, enduits de finition, …
Le projet Cycle Terre s’étoffe encore un peu plus quand, en 2017, l’agence d’architecture gagne un appel d’offre européen, qui va aider à financer le développement, à Sevran, d’une fabrique de matériaux recyclant une grande quantité de terres de déblai des chantiers du Grand Paris. Le modèle économique de cette société coopérative devrait être positif dès la deuxième année.
« Ce projet permet à la fois de former les personnes en réinsertion employées à la Fabrique, et de sensibiliser et former des acteurs de la construction, entrepreneurs, architectes et maîtres d’ouvrage. En parallèle, il aidera à faire évoluer la réglementation, car la construction en terre crue manque encore d’un cadre législatif qui permette une assurabilité du bâtiment », souligne P.E. Loiret.
Une ligne de production de briques de terre crue.
Pour la construction en terre crue de nouveaux quartiers du Grand Paris, Cycle Terre valorisera 10 000 T/an de terres excavées non polluées. Récupérées par la société ECT sur différents chantiers d’Ile de France, dans un rayon de 30 km, elles sont tracées, analysées et préparées. Une fois séchées, concassées et séparées selon leur couleur et leur granulométrie, elles seront envoyées à la Fabrique (dont le bâtiment est encore en chantier), où elles seront mélangées selon les produits à obtenir.
Ce process, mi artisanal-mi industriel, devrait à terme employer 15 personnes et produire environ 10 tonnes de matériaux par an, à destination de l’Ile de France.
Dès octobre 2021, seront livrées des briques de terre comprimée (30X15X10 cm) pour le doublage de façade et le cloisonnement, ainsi que des panneaux extrudés et des enduits. La très faible empreinte carbone de ces terres crues et les très faibles impacts, liés d’une part à l’extraction de la matière et d’autre part à l’imperméabilisation des sols, sont des atouts majeurs.
Ces matériaux subissent les essais techniques nécessaires à leur assurabilité. Et un guide de mise en œuvre de ces matériaux est en cours de publication (fin janvier). Dans les années à venir, il est envisageable de construire des millions de mètres carrés en réemployant ces terres de chantier, plutôt que de les stocker.Utiliser les granulats des sols de façon locale est généralisable et tout à fait dans le sens d’une architecture régénérative.
Reformulation de terres extraites pour la construction.
*Animé par la LPO, association qui agit pour la biodiversité, le Club Urbanisme Bâti et Biodiversité réunit des acteurs publics et privés de l’urbanisme et du bâtiment, notamment des constructeurs et aménageurs comme Bouygues Construction, Rabot-Dutilleul, ou Eiffage.
** L’exposition « Terres de Paris, de la matière au matériau » s’est tenue du 13 octobre 2016 au 8 janvier 2017, au Pavillon de l’Arsenal de Paris.