Depuis plus de dix ans, les exportations vers la Chine de grumes de chêne décollent et inquiètent la filière bois. Les scieries souvent familiales ont de plus en plus de mal à s’approvisionner, alors que la récolte totale de chêne dépasse les 2 millions de m3 par an. Pressée par ses adhérents pour agir, la fédération des scieurs, FNB, a aidé à la mise en place d’un label UE qui pouvait s’appliquer en vente publique de lots de chêne.
En clair, les ventes publiques de l’ONF, pour la forêt domaniale et les communes forestières, n’étaient alors ouvertes pour certains lots qu’à des acheteurs ayant signé le Label UE, et s’engageant à ne pas exporter les grumes de chêne achetées hors de l’Union Européenne. Une structure de la FNB, l’APECF, gérait la labellisation des entreprises.
L'or vert français file entre les doigts de la filière bois.
Comme une partie des exploitant forestiers ont quitté la FNB dans le contexte des dissensions internes autour du chêne, ces derniers n’ont pas apprécié la clause du label selon laquelle l’entreprise labellisée s’engageait à ne pas faire exporter hors de l’UE, y compris les chênes achetés ailleurs qu’à l’ONF, notamment chez les propriétaires forestiers privés. S’ajouta ensuite une autre règle, selon laquelle un acheteur labellisé devait s’assurer du fonctionnement sous label de son acheteur.
Le syndicat des exploitants forestiers a poursuivi l’ONF et obtenu gain de cause une première fois en 2018, devant le Conseil d’Etat. Mais la nouvelle formule du Label UE reprenait les clauses qui fâchaient les exploitants de SEFB (Syndicat des exploitants de la filière bois, NDLR) et la bataille juridique a continué. A présent le Conseil d’Etat annule le Label UE version 2018.
On trouve des chênes en Ukraine ou en Croatie, mais pour le marché chinois, le chêne de provenance française a la cote.
Cette décision de justice a pour conséquence qu’en théorie, des entreprises lésées par le Label UE pourraient se tourner vers l’ONF ou l’APECF et demander des dommages et intérêts. Tout récemment, les acteurs de la filière bois ont signé un accord sur le chêne qui brandit le Label UE comme arme contre l’exportation des grumes de chêne hors de l’UE, et incite à une application de ce label au monde de la forêt privée.
L’accord ne semble pas remis en cause, dans le sens où l’ONF a créé en juillet 2021 un nouveau Label UE pour les ventes de gré à gré, qui ne comporte pas les clauses qui fâchent SEFB. Par ailleurs, comme l’ancien Label UE est annulé, la clause qui y exclue des entreprises « fautives » n’est plus applicable. Bref, pour les ventes de gré à gré, l’ONF dispose d’un outil en prolongement de celui qui a été annulé, et SEFB semble s’en satisfaire.
Chêne employé pour la gare TGV d'Aix, collage par l'entreprise Simonin spécialisée dans le collage du chêne.
Reste à développer un Label UE adapté aux ventes privées. SEFB, qui regroupe des acteurs qui comptent pour une part importante des exportations de bois, incite les fédérations de l’amont forestier à développer ce nouveau label ensemble. Mais il semble que ce label sera négocié dans le cadre de France Bois Forêt dont SEFB est exclu.
Donc sans que les exploitants forestiers de SEFB soient présents dans le tour de table. Les exclure encore, c’est courir le risque de procédures de demandes de dommages et intérêts adressés à l’ONF. Les inclure, c’est briser un tabou et accepter de fait une scission de la FNB.
Lamellé-collé de chêne pour un escalier, collage par l'entreprise Simonin.
Il est difficile de constater si les exportations de grumes de chêne vers la Chine sont reparties à la hausse en début d’année, car le mois de janvier était très faible à cause du nouvel an lunaire. En principe, les conditions sont favorables, avec un Label UE moins contraignant et pas encore en place pour la forêt privée, un accord chêne qui tente de compliquer l’export de grumes de chêne sans imposer des contraintes drastiques, un prix de chêne explosif, une forte demande chinoise de chêne français.
En plus, depuis le 1er janvier, la Russie taxe ses exportations de grumes vers la Chine de l’équivalent de 250 euros/m3, ce qui incite les Chinois à venir s’approvisionner en France. Si ce n’est que la guerre en Ukraine rebat les cartes pour tout le monde.