Construire avec du grisard et de l’aulne

Des vestaires en chêne communal et des ossatures en grisard

Ce qui était encore une évidence il y a cent ans devient aujourd’hui l’avant-garde de la construction climatique, exemplifiée par un projet en cours de vestiaires à Coincy-l’Abbaye, au sud de Soissons.




L’une des présentations les plus originales de la Galerie de l’Architecture Bois/Biosourcée du XXIe siècle, dans le cadre du 14e Forum Bois Construction au Grand Palais du 26 au 28 février 2025, était l’exposition conjointe de l’agence Vivarchi et de la nouvelle scierie Forêt Vivante d’Anizy, dans l’Aisne. 

Il est question d’un projet de vestiaires et club house réalisé avec le bois de la commune forestière de Coincy-l’Abbaye. Depuis l’initiative d’Olivier Gaujard utilisant avec l’agence DE-SO les cèdres du Mont Ventoux pour la construction de la Boiserie à Mazan, il y a près de 15 ans, les pratiques se sont perfectionnées pour utiliser le bois là où il pousse, et permettre notamment aux communes forestières de se pourvoir d’équipements publics utilisant le bois de la commune. Cela reste compliqué quand un projet se fournit par une coupe de parcelle, et quand le bois utile ne représente qu’une partie de la coupe.

 

À la recherche du bois pour le vestiaire de la commune. © Vivarchi

 

 

Valsec en pratique

La première des particularités du projet de Coincy-l’Abbaye est le projet d’un approvisionnement communal en couvert continu, donc par prélèvements ponctuels. La seconde est que le vestiaire doit être construit avec une structure en chêne, mais que l’ossature bois qui supporte l’isolation en paille se fera en grisard. Typiquement des essences feuillues secondaires répertoriées par l’étude Valsec réalisée conjointement par FiBois Île-de-France et FiBois Hauts-de-France. Une étude présentée par Claire Caillosse de FiBois Île-de-France à la Maison de l’Architecture, dans le cadre de la nouvelle série de conférences "L’architecture sort du bois" organisée par FiBois IDF avec l’architecte et animateur Stéphane Cochet.

 

Grumes d'aulnes en bord de route, transformées en bardages. © Vivarchi

 

 

Des essences secondaires pour le mobilier et la structure

Justement, Yvain Brochot de la Scierie Forêt Vivante y intervenait juste après. Cette nouvelle scierie atypique, installée à Anizy non loin de la forêt de Saint-Gobain, refuse notamment de scier du bois issu de coupes rases

Le terme même de Forêt Vivante renvoie au vocabulaire alternatif de forêts qui stockent du carbone sans sacrifier la biodiversité et sans virer à la monoculture. L’équipement de la nouvelle scierie, avec une scie horizontale et une scie verticale, permet de diversifier les essences feuillues ; encore faut-il trouver un preneur pour la marchandise. 

Selon Yannick Champain de Vivarchi, le recours aux essences secondaires est aisé pour l’association à laquelle l’agence participe, et qui vise à fabriquer du mobilier, Hêtre Charmé. Pour ce qui est du projet de Coincy-l’Abbaye, le bureau de contrôle a accepté d’assimiler le grisard au peuplier, ce qui n’est pas faux car il s’agit pour ainsi dire d’un peuplier sauvage.

 

Bois d'œuvre en chêne local scié par Forêt Vivante. © Vivarchi

 

 

La conception jusqu’au moindre détail

Concrètement, Vivarchi est parti des arbres disponibles de la commune, a travaillé les plans jusqu’à l’exé et a cherché un charpentier qui laisse la commune lui fournir le bois. À présent, presque tous les bois sont sciés et prêts, y compris l’aulne pour le bardage : le chantier va démarrer dans un mois et sera normalement livré en début d’année prochaine. Il ne s’agit pas d’une tour en bois mais l’aboutissement de ce chantier fera date, non pas tant à cause de l’utilisation du bois de la commune car cela devient heureusement courant, mais par sa capacité à intégrer des essences feuillues secondaires en structure et aménagement.

 

À l'entrée de la commune forestière, le vestiaire se pare d'une structure porteuse en chêne de la localité, comme cela était autrefois la règle. © Vivarchi

 

 

Associer les essences secondaires à des outils de précision

Vivarchi n’en est pas à son coup d’essai. Un chantier de rénovation lui a déjà donné l’occasion d’associer le grisard, le tremble et le frêne. Selon Yannick Champain, de Vivarchi : "Le frêne est une essence difficile, nerveuse, il vaut mieux travailler en petites longueurs et sections ». Patrick Thomas, Vivarchi : "Les grisards sont de beaux spécimen de fort diamètre, parfaitement adaptés à la transformation en bois d'œuvre". Sur ce chantier, Vivarchi avait eu recours à une scie mobile, regrettant après coup son manque de précision. Le nouvel équipement de la scierie Forêt Vivante permet de porter l’expérience de l’intégration structurelle du grisard à un autre niveau.

Cette fois, nouvelle taxe d’apprentissage prélevée sur toutes les agences d’architecture en avance sur leur temps. Pour Patrick Thomas, de Vivarchi : "La prochaine fois que nous irons marteler en forêt, ce sera avec le scieur, car lui seul peut nous faire choisir des tiges qui correspondent à une exploitation correcte sans perdre trop de matière."

 

 

Une aubaine architecturale

La diversification des essences bois dans une construction, l’agence Belus et Henocq l’a déjà pratiqué il y a dix ans pour l’internat de la Légion d’honneur à Saint-Denis : 

– charme pour les portes, 

– chêne au sol, 

– douglas en façade, 

– épicéa… 

 

Déjà, à l’époque, on percevait l’enjeu chromatique particulier. Imaginons maintenant une architecture bois orientée vers le bois local incluant les essences secondaires, à la fois en structure et en aménagement intérieur. Et même, qui sait, en faisant une part au bois dépérissant, au bleu… L’architecture bois en sera complètement renouvelée. À moins, bien sûr de tout devoir encoffrer derrière des plaques de plâtre…  

 


Source : batirama.com / Jonas Tophoven / © Vivarchi

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
Laissez votre commentaire

Saisissez votre Pseudo (votre commentaire sera publié sous ce nom)

Saisissez votre email (une alerte sera envoyée à cette adresse pour vous avertir de la publication de votre commentaire)

Votre commentaire sera publié dans les plus brefs délais après validation par nos modérateurs.

Articles qui devraient vous intéresser

Pour aller plus loin ...

Newsletter
Dernière revue
Webmagazine Matériaux biosourcés - Forum Bois Construction 2025

  magazine  

Produits


Votre avis compte
L'Etat veut-il tuer les micro-entreprises ? (20 votants)