Elles ont été acceptées avec suivi du retour d’expérience depuis mars 2012 par la Commission Prévention Produits mis en œuvre (C2P) de l’Agence Qualité Construction. Ces règles professionnelles pour la mise en œuvre des enduits sur supports composés de terre crue ont nécessité un travail de très longue haleine.
Pas moins de 80 professionnels de la France entière y ont participé, soutenus notamment par la Fédération Française du Bâtiment (FFB), la Fédération Nationale des Scop du Bâtiment, l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE) et le Réseau écobâtir (voir encadré page 33).
Un peu d’histoire. En effet, tout débute en 2006, lors des travaux de révision du NF DTU 26.1 “Travaux de bâtiment – Enduits aux mortiers de ciments, de chaux et de mélange plâtre et chaux aérienne” où les discussions entre professionnels ont fait prendre conscience qu’aucun document ne couvrait la construction en terre.
Surtout, compte tenu de la diversité des supports et des enjeux sur la préservation du patrimoine, il était indispensable de disposer d’un document spécifique de cette mise en œuvre, leur permettant ainsi d’assurer leurs ouvrages plus facilement et de poursuivre leur activité.
Car, rappelons que le patrimoine français compte déjà un grand nombre d’édifices en terre (maisons, fermes, écoles, etc.), notamment en Normandie, en Bretagne, dans le Sud-Ouest ou en Auvergne et Rhône-Alpes, respectivement les régions de prédilection du torchis, de la bauge, de l’adobe et du pisé.
«Quelque 2 à 3 millions de logements en terre crue sont recensés en France, indique Nicolas Meunier (voir encadré), chef de file FFB de la rédaction des règles professionnelles. Ces constructions diverses et variées (terre-paille, blocs comprimés, murs en pierre maçonnées à la terre, etc.) font régulièrement l’objet de rénovations et la mise en œuvre d’un enduit peut être source de questions et de désordres !»
La création d’un groupe de travail dédié. Le besoin des règles professionnelles s’est fait d’autant plus sentir que, comme l’explique ce maçon spécialiste et passionné de la construction en terre crue : «dans la terre, il y a de l’argile, du sable, des graviers… c’est un matériau à changement de phase.»
Il ajoute : «quand on applique un enduit sur la terre, on peut modifier les caractéristiques du support et donc le confort de la maison car un mur doit être étanche à l’air et aux intempéries mais doit aussi respirer. Nous nous sommes donc battu afin que l’on reconnaisse les caractéristiques du matériau terre. Il faut appliquer des enduits poreux à la vapeur d’eau – et il en existe une grande variété – et, surtout, éviter l’application d’enduits ciment totalement étanches».
C’est alors que dès juillet 2011, quatre réunions sont organisées en présence de 56?maçons venus des quatre grandes régions françaises de la construction en terre crue pour expliquer leurs savoir-faire. «Nous avons travaillé sur 7 types de supports différents (voir page suivante), plus ou moins argileux et limoneux et il fallait mettre à plat toutes nos techniques et nos méthodes», précise Nicolas Meunier.
Un cadre et deux tests imparables. Un vrai travail d’échanges a ainsi été opéré afin d’aboutir à la définition d’un cadre précis pour ces règles professionnelles. «Ces réunions ont permis de répondre à de nombreuses questions comme comment valider la qualité de l’accroche et le bon dosage en terre», ajoute Nicolas Meunier.
L’ENTPE a notamment mis au point deux tests imparables pour les maçons ne connaissant pas le matériau. «Il peut s’agir aussi de maçons qui travaillent dans une autre zone que la leur et qui ne connaissent pas les caractéristiques de la terre locale», précise Nicolas Meunier. Ces tests permettent donc de connaître avec certitude si la teneur en argile est suffisante et la qualité de l’accroche afin de bien préparer l’enduit.
Une obligation de résultats et non de moyens. Ces règles professionnelles encadrent désormais ces savoir-faire transmis auparavant oralement aux maçons en formation. «Ces règles complètent le DTU Enduits et se présentent sous la forme d’une obligation de résultats et non pas de moyens. On n’impose pas, par exemple, une quantité de sable déterminée et les fourchettes sont larges. Cela nous permet d’expérimenter une terre que l’on ne connaît pas, d’y ajouter certains éléments, comme des fibres, ou du ciment Prompt dans les enduits à base de chaux», renchérit Nicolas Meunier.
Diverses publications. Très attendue par les professionnels du secteur, une première version des règles professionnelles pour la mise en œuvre des enduits sur supports composés de terre crue a été publiée par la FFB dans le cadre de son programme recherche développement métiers (PRDM). Le Réseau écobâtir va publier, au mois de septembre prochain, une version qui contiendra 54 fiches illustrées décrivant précisément des mises en œuvre d’enduits intérieurs et extérieurs à base de chaux ou de terre, sur les 7 types de supports en terre crue sur lesquels interviennent les maçons. Diffusé via les réseaux de la FFB, de l’ENTPE et des Scop, ce document essentiel permettra également aux Maîtres d’ouvrages et aux Maîtres d’œuvre de faire les bonnes préconisations !
Les règles professionnelles pour la mise en œuvre des enduits sur supports composés de terre crue présentent les pratiques usuelles en matière d’exécution d’enduits intérieurs et extérieurs destinés à protéger et embellir des murs de plus de 10 ans d’existence et construits selon sept techniques bien distinctes…
Il s’agit de mettre en œuvre un matériau de remplissage constitué de terre crue limono-argileuse, contenant peu de sable, pouvant se fissurer au séchage, raison pour laquelle elle est mélangée à une fibre végétale (souvent de la paille).
Avec une teneur en eau comprise entre 15 et 35%, le torchis est mis en œuvre à l’état plastique à l’aide d’une structure d’accroche en bois solidaire de la structure porteuse (colombage). Généralement d’épaisseur comprise entre 8 et 15 cm, le torchis est une technique qui se rencontre plus particulièrement en Normandie et en Lorraine.
Matériau de remplissage composé principalement de terre crue argileuse liquide mélangée à de la paille, la terre-paille est mise en œuvre entre des coffrages autour de la structure en bois porteuse. Les murs extérieurs ont environ 35 cm d’épaisseur, les murs intérieurs peuvent être plus fins.
Particulièrement prisée aux XVIIIe et XIXe siècles, la construction en bauge consiste en la mise en œuvre, à l’état plastique, d’une succession de couches d’un matériau porteur composé d’un mélange de terre crue limono-argileuse et de fibres végétales. Ce type de mélange comporte une teneur en eau comprise entre 15 et 30%. La réalisation des murs ne nécessite pas obligatoirement de coffrage.
Dans ce cas, une découpe de la surépaisseur des murs sera réalisée à l’aide d’un outil tranchant, telle une houe, de manière à obtenir une bonne planéité. Selon la granularité de la terre, l’élasticité du mélange et le savoir faire du maçon, la hauteur de chaque couche peut varier entre 50 et 120 cm pour une largeur de mur comprise entre 50 et 80cm. Les territoires de prédilection de ce type d’ouvrages sont la Normandie et la Bretagne.
La technique du pisé, caractérisée par son aspect unique en couches, consiste à compacter et damer de la terre humide (teneur en eau entre 5 et 20%), par lits successifs, dans un coffrage sur une épaisseur pouvant aller jusqu’à 50 cm. La terre utilisée contient très souvent des sables et des graviers et provient généralement du chantier (ou à proximité). A l’heure actuelle, le pisé est très présent en Rhône-Alpes (40% du patrimoine rural), Auvergne et Limousin.
La technique des pierres maçonnées à la terre utilise les pierres ramassées dans l’environnement proche du chantier. Très rarement rectifiées, ces pierres brutes sont hourdées à l’aide d’un mortier soit exclusivement en terre crue, soit “mixte” : terre crue à l’intérieur du mur et chaux à l’extérieur du mur. Les murs réalisés à l’aide de cette technique ont généralement une épaisseur minimale de 40 cm.
Les blocs de terre compressée sont obtenus par compression, dans des presses, de petits éléments de terre tamisée humide. Les blocs sont ensuite démoulés et stockés jusqu’à utilisation, où ils seront hourdés à l’aide d’un mortier. Assez récente, la technique des BTC se répand sur tout le territoire.
L’adobe représente une maçonnerie de petits éléments obtenus par moulage de terre relativement fine, plutôt argileuse et limoneuse, sans cailloux ni graviers, de consistance plastique. Une fois séchés, ils sont ensuite mis en œuvre à l’aide d’un mortier de même nature que les briques formées.
Cette technique s’utilise aussi bien pour la réalisation de cloisons (épaisseur de 5 à 30 cm) que de murs porteurs (jusqu’à plus de 30 cm). Les territoires de prédilection de l’adobe sont l’Aquitaine et Midi-Pyrénées.
Les règles professionnelles, telles qu’elles sont publiées à l’heure actuelle, établissent et décrivent les pratiques usuelles de mise en œuvre d’enduits intérieurs comme extérieurs sur des murs en terre crue de plus de dix ans d’existence. Y sont abordées notamment la préparation du support et la mise en œuvre elle-même.
Avant la réalisation de tout enduit sur support en terre crue, il est indispensable que l’entrepreneur visite préalablement le chantier afin de bien comprendre :
dans lesquels sont situées les murs ou cloisons à enduire et ainsi faire les bonnes préconisations dans son devis.
Pour la pérennité de l’enduit, sa mise en œuvre doit être réalisée entre 5 et 30°C, s’il contient de la chaux et au-dessus de 0°C, s’il contient de la terre. Pour la même raison, les travaux seront évités en période de vent surtout s’il fait chaud et sec. L’ensemble de ces préconisations est valable autant pour les enduits extérieurs qu’intérieurs si ces derniers sont soumis à ces mêmes facteurs (exemple d’un bâtiment non chauffé l’hiver).
Avant la mise en œuvre de l’enduit, le support en terre crue doit être stable, non pulvérulent, propre et résistant à la frappe. Il doit également être exempt de problèmes liés à l’humidité. Une manière de s’assurer de ces divers points est de purger le support de tout ce qui n’est pas stable. Un renformis sera ensuite prévu afin d’aplanir le mur avant application de l’enduit final.
En tout état de cause, de manière à notamment éviter l’éclatement ultérieur de l’enduit, des essais seront effectués pour apprécier l’adhérence de l’enduit sur le support (qu’il s’agisse du support en terre crue, des bois des colombages, etc.).
Dans le cas où les matériaux du support et les constituants du mortier ne sont pas parfaitement connus de l’enduiseur, il est obligatoire de réaliser des essais des tensions de retrait au séchage et des essais de résistance au cisaillement de l’enduit, essais et réalisation des échantillons précisément expliqués dans les règles professionnelles.
Selon les besoins, le mortier peut comporter du sable, de la terre, de la chaux hydraulique naturelle ou aérienne, de l’eau, éventuellement complétés de granulats autres que le sable, de fibres végétales ou animales, de ciment prompt ou artificiels (dans une certaine limite) et autres adjuvants liquides ou en poudre.
Deux mises en œuvre sont possibles sur les façades exposées aux intempéries :
En fonction de la composition de l’enduit (chaux/sable ou terre), les règles professionnelles précisent les compositions types de chacune des couches à mettre en œuvre ainsi que la manière de réaliser l’humidification du support.
Nicolas Meunier Maçon |
« Il faut une certaine sensibilité »
Nicolas Meunier, 54 ans, exerce le métier de maçon depuis 1988 en Rhône-Alpes (Chambles). Après avoir obtenu son bac, il travaille deux ans dans une entreprise de maçonnerie puis chez un architecte. En 1981, il part faire son service national au Mali où il découvre les techniques de l’adobe et du bloc comprimé…
«Ces deux années au Mali m’ont fait prendre conscience de l’intérêt du matériau terre au niveau local, que ce soit économiquement, socialement, il s’inscrit dans une logique que l’on appelle maintenant de développement durable», explique le maçon qui précise que «c’est aussi un matériau très agréable à travailler et techniquement passionnant, que ce soit thermiquement ou mécaniquement, par exemple en zone sismique».
A son retour du Mali, il participe, dans les années 80, aux travaux de l’Isle-d’Abeau, un quartier expérimental situé à 30?km de Lyon, composé de 65?logements sociaux édifiés en terre. Une expérience inoubliable qui lui a permis de se familiariser avec une technique de développement durable correspondant à sa région, riche en constructions de ce type. «J’y ai découvert le pisé et j’ai construit une première maison en pisé en 1988», précise Nicolas Meunier.
Aujourd’hui, il gère une entreprise de 4 personnes, spécialisée uniquement dans la construction et la rénovation en terre. «Je refuse les travaux de maçonnerie conventionnelle car il y a suffisamment de demandes dans la rénovation d’édifices en terre», ajoute le maçon. Ce passionné est aujourd’hui désireux de transmettre son savoir-faire.
Il a créé son site internet (www.construction-pise.fr) avec notamment une rubrique “Transmission de savoir-faire” en cours de rédaction et de présentation.
«Dans ce métier, on bâtit avec une matière que l’on redécouvre chaque fois et pour laquelle, on développe une certaine sensibilité», termine Nicolas Meunier, heureux de souligner que de nombreux jeunes sont aujourd’hui très intéressés par ce matériau, ce qui permet aussi de revaloriser le métier…
Association loi 1901 à direction collégiale, le Réseau écobâtir est un réseau d’acteurs de la construction écologique qui s’engagent à adhérer et respecter une charte s’articulant autour de trois fondements :
Les adhérents du Réseau écobâtir peuvent être des fabricants de matériaux, des revendeurs, des architectes et maîtres d’œuvre, des entreprises et artisans, des usagers, etc. Les membres sont cooptés au vu de leurs actions pour promouvoir les valeurs décrites par la Charte. Beaucoup de membres sont représentants d’associations régionales ou de réseaux locaux.
Tout ceci en mettant en évidence les expériences existantes, leurs performances techniques, sociétales, culturelles et environnementales.
Merci de ce reportage. J'ai bien connu la brique adobe au Tchad puis dans tous les pays africains. J'ai tenté de la promouvoir, mais sans succès, dans les années 1968-1976. Aussi je me réjouis de voir que d'autres y arrivent.
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Salut et merci de ce guide complet !