La rénovation lourde de tours de bureaux à Bruxelles met en jeu le réemploi

La rénovation lourde de tours de bureaux à Bruxelles met en jeu le réemploi.  © Whitewood

L’agence Drees & Sommer, qui a racheté en 2019 le label Cradle to Cradle, présente à Bruxelles deux rénovations de folies manhattaniennes qui font référence en Europe en matière de réemploi, en terme "d’urban mining".




À Issy-les-Moulineaux, l’ancien siège de France 5 vient d’être rasé et reconstruit : "Les certifications et labels visés sont HQE “Exceptionnel”, E+C- niveau E1C1, BREEAM Very Good, Wired Score, Gold et WELL Silver. La démarche de réduction de l’empreinte carbone du bâtiment est notamment atteinte par des choix forts sur les équipements de production thermique par des pompes à chaleur de dernière génération, l’accent mis sur le réemploi et l’optimisation de la matière de l’exosquelette." (du béton préfa).

De son côté, BatiRIM, la plateforme digitale de Suez pour la reconstruction, pourrait fermer après cinq ans de service, d'après ce qui se murmure dans les milieux autorisés, révélant les difficultés de développement du marché du réemploi.

 

 

 

Réemploi obligatoire

À Bruxelles, le type de projet d’Issy-les-Moulineaux serait interdit. Premièrement, la réglementation est devenue passive depuis plusieurs années, notamment pour le tertiaire, et en plus, la déconstruction totale est proscrite.

 

Tour ZIN à Bruxelles : on distingue les deux tours latérales décalées et le corps central rajouté. © Befimmo/Jaspers-Eyers Architects/51N4E/l'AUC

 

 

Il y a quelques années, quand elle ne l’était pas encore et que les opérations Multi et Oxy ont commencé, détruire place de Brouckère les deux immenses immeubles de bureaux du début des années 70 revenait à ne plus disposer de PC pour reconstruire si haut, un peu comme en France. Au passage, la rénovation lourde permet d’enlever l’amiante très répandue en Belgique.

 

 

 

Cradle to Cradle et construction durable

En 2016, l’agence Drees &Sommer, spécialiste allemand de la maîtrise d’ouvrage déléguée avec 5 000 employés répartis partout en Europe et ailleurs dans le monde, travaille sur la rénovation du Multi, ce dinosaure de la place de Brouckère, trois ans avant que l’entreprise ne reprenne le label Cradle to Cradle.

 

Tour Multi, entrée, dallage en pierres recoupées et luminaire en réemploi de profilés de construction en aluminium (ROTOR) . Architecte CONIX RDBM Architects © Whitewood

 

 

Ce label créé en Allemagne en 2002 veut certifier la démarche vertueuse de produits fabriqués sans produits toxiques et de façon à être recyclés en continu. Une approche très en avance sur son temps, qui avait séduit le leader international du plafond suspendu, Armstrong, acculé par ses produits amiantés passés. Pour le reste, longtemps, la démarche Cradle to Cradle a mieux convaincu le fabricant de chaussures Adidas, dont les concurrents faisaient travailler des petits enfants, que le monde de la construction.

Mais le vent tourne avec la catastrophe climatique, et la reprise du label par Drees & Sommer lui a donné des ailes. La rénovation par défaut du Multi, du Oxy juste en face et du ZIN, à Bruxelles, injecte des produits labellisés mais rapproche surtout le label Cradle to Cradle d’une labellisation d’opérations de rénovation à grande envergure.

Pour l’instant, le credo de Drees & Sommer, c’est l’écologie profitable, qui sonne si doux aux oreilles des promoteurs constamment soumis à l’écologie punitive. Pour les labellisateurs et maîtres d’ouvrage délégués, le réemploi et le choix de matériaux vertueux est aussi, quand elle est bien faite, une source de profits.

 

 

 

Les bureaux verts à l’heure de la crise

Par exemple, c’est (entre autres) TotalEnergies qui a élu domicile au Multi rénové vertueusement, parce que cela cadre avec la politique immobilière vertueuse de l’enseigne. Tant pis si cet exemple d’écologie profitable casse un peu l’objectif de rénovation de cette tour qui devait s’ouvrir aux Bruxellois. Face aux ONG des instances européennes, TotalEnergies se barricade, le restaurant de la surélévation est privatisé, de même qu’une partie du jardin du 3e étage.

 

Espace d'accueil du ZIN, au fond la serre semi-publique, une inspiration pour les espaces publics français. © Befimmo/Jaspers-Eyers Architects/51N4E/l'AUC

 

 

 

Recyclage ROTOR

Pour Whitewood et Immobel, Drees & Sommer a procédé à une extension surélévation classique du bâtiment Multi, si ce n’est que les nouvelles façades sont réputés démontables. Pour les trois étages "publics", des pavements extérieurs en petit granit ont été refendus et un étage utilise également de beaux pavements architecturaux venant d’une banque, également rénovée. L’agence s’est adressée à ROTOR, spécialiste bruxellois du réemploi, qui a également recyclé des profils aluminium de façade en luminaires.

 

 

 

Déconstruire mais presque

Le Multi n’est qu’un coup d’essai. En face, l’Oxy mixera bureaux, commerces et logements, de nouveau pour Whitewood et Immobel. Engie s’y installe… Pour l’instant, place de Brouckère ressemble à Karkhiv, avec de multiples façades de la Belle Époque, et des trous béants derrière, comme si c’était justement ça aussi, à Bruxelles, l’interdiction de déconstruction.

Whitewood vient de racheter pour un milliard d’euros 23 immeubles communautaires bruxellois, à charge de les rénover. En principe, cela devrait booster les plateformes de ROTOR, ou d’autres qui se créent, au moins en Belgique.

 

 

 

Un ZIN pas si ZEN

Lors de son voyage de presse international, le 23 octobre, Drees & Sommer a dévoilé aussi son travail sur le ZIN, un autre immeuble mahattanien, un peu plus au nord, près de la gare Nord en train d’être aussi plus ou moins déconstruite. Il y avait deux tours à noyau béton et planchers coffrants assez légers, démontées en gardant juste les noyaux. Le béton, 30 000 tonnes, a été recyclé à 15 km et recoulé pour les surfaces horizontales (CEM III), sachant que les deux tours ont été raccordées par un édifice central formant un Z. Ici aussi, la rénovation crée des espaces mixtes : hôtel, bureaux, appartements d’étudiants, et même une serre originale ouverte au public, et dont les parties basses se referment le soir. Dans ce programme, un peu plus récent, Drees & Sommer a préconisé partout où c'était possible des produits de construction labellisés.

Cette fois, ce n’est pas une multinationale de l’industrie fossile qui a mordu, mais la Région de Flandres, qui y regroupe une partie de ses activités bruxelloises et souligne ainsi son attachement à la planète.

 

 

 

Rénovation décarbonée

Pour l’heure, en Belgique comme en France, le coût carbone des opérations de rénovation lourde est soigneusement dissimulé derrière les multiples labels environnementaux, au point que ces derniers font sourire. À deux mois de la RE2025, qui sera un véritable choc européen pour le neuf, la perspective de paliers carbone pour la rénovation reste lointaine à la fois à Paris et à Bruxelles. Et la rénovation lourde le terrain de jeu alternatif à la construction neuve de grands ensembles.

     


Source : batirama.com / Jonas Tophoven / © Whitewood

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
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