Légende photo : Sur cet immeuble tertiaire équipé d'un chiller au HFO 1234ze, un fluide classé A2L, la conception du système indirect – fluide frigorigène / eau – permet de s'affranchir des limites de charge et du périmètre de sécurité. ©Daikin
Trois ans après l’entrée en application de la directive européenne F-Gas qui a pour objectif de réduire de près de 80 % les fluides réfrigérants en usage en Europe en 2030, ses effets commencent à se faire durement sentir.
Le bannissement a pour principal effet de renchérir considérablement les fluides qui étaient les plus employés dans les secteurs clés des activités de froid. À savoir l’industrie agro-alimentaire et aussi le stockage réfrigéré et la distribution de produits frais.
Le R-404A affiche désormais des montants pratiquement dix fois plus élevés qu’il y a quelques années. La chose était sue, annoncée, mais la substitution des fluides dans les installations demande des investissements importants.
D’autant, comme l’exprime Luc Darbonne, PDG de l’entreprise Darégal, président du syndicat des entreprises des glaces et surgelés et représentant de l’industrie agro-alimentaire (Ania) lors d’une table ronde du dernier congrès annuel de l’AFCE, « les mises à niveau des installations ne dégagent aucun profit, aucun retour financier. Et nous n’avons pas le droit de nous tromper ! ».
Le choix d’un fluide et d’un système de froid engage un industriel pour une trentaine d’année. D’ailleurs, dès le début des années 2010, certains propriétaires d’installations avaient investi dans des solutions de maîtrise de l’énergie et de régulation de puissance… Le surcoût des fluides annule ces efforts.
Le problème paraît réellement aigu. Alors que ces entreprises doivent décider de modifier leur système de réfrigération ou congélation, après près de dix ans de débats sur ce sujet, les standards techniques ne sont toujours pas calés.
Paul de Larminat, expert indépendant, a redonné cette année encore le panorama des possibilités de substitution, mais en soulignant : « Il n’y a pas une solution passe-partout, mais une variété de choix possibles. »
En clair, pour remplacer les classiques HFC R-22, R-410A ou R-134a sur des équipements existants, il faut en passer par une expertise de l’installation pour déterminer le meilleur compromis afin de maintenir la puissance volumétrique et le coefficient de performance. Un vrai casse-tête !
Exemple. Pour la substitution du R-404A, un fluide qui affiche un potentiel de réchauffement de la planète (PRP) de 3 922 eqCO2, les spécialistes proposent huit formules de substitution. Résultats : elles ne permettent qu’une réduction d’environ 50 % du PRP, affichent de variation de performance de 10 à 20 %. Et ces solutions demeurent provisoires.
Jean-Marc Callois, délégué ministériel aux entreprises agroalimentaires, dresse un état des lieux peu rassurant : « Il existe un problème de dispersion des installations pour la conservation du lait ou de la viande ; 40 % utiliseraient des gaz déjà interdits... Nous avons en fait peu de connaissances fines du parc… »
Pour rajouter une couche de difficultés, Jean-Pierre Collignon, inspecteur général de l’Éducation nationale, conjuguait abattement et désarroi devant l’assistance : la période d’incertitude sur les fluides et les systèmes frigorifiques ne permettent pas de rédiger les futurs référentiels de formation professionnelle initiale dans les lycées techniques, et les établissements n’ont pas les équipements adaptés pour l’entrée dans la vie active d’ici trois à cinq ans.
Jean-Luc Carré, président du Snefcca, syndicat des frigoristes et cuisinistes professionnels, tire déjà les conséquences : « Nous avons de grosses difficultés à trouver des professionnels compétents. » La réponse de Jean-Pierre Collignon n'est pas tendre. « Les formations industrielles ne recrutent pas », expliquant que le monde professionnel a aussi sa responsabilité : « Si vous n'êtes pas attractifs, ils ne viendront pas chez vous. » Il conclut même que la formation continue lui paraît plus adaptée.
Ces affres autour du choix des fluides concernent aussi le résidentiel, mais selon une grille de lecture qui s'articule autour de la sécurité dans les immeubles recevant du public. Explication : l'abandon des fluides à PRP élevé dans les installations de conditionnement d'air ou de climatisation oriente les industriels vers des réfrigérants dit HFO ou à bas PRP – telle R-32 - qui sont classés inflammables, soit A2L.
Spécialiste des fluides reconnu, Denis Clodic est venu dédramatiser la chose en soulignant combien les études de risques montraient qu'il était nécessaire que le volume soit important, dans des conditions de température élevée et de déclenchement de flamme bien précise – pas trop près, pas trop loin… La norme EN-378, parue en 2017, traite ce sujet et indique les données d'inflammabilité et de limite de charge.
Après des mois de discussions, la démonstration des laborantins et les techniciens est pas passé dans la réglementation incendie. Le ministère de l'Intérieur a accepté de modifier les CH35 pour les bâtiments recevant du public de catégories 1 à 4 sur la base des travaux d'expertise de l'Ineris, institut chargé d’étudier les risques.
Cependant, de sévères mesures restrictives sont rendues obligatoires pour les systèmes directs : une charge maximale de fluide selon la hauteur de la canalisation dans la pièce, un système de détection de fuite, une ventilation vers l'extérieur, des distances de sécurité de 1, 2 ou 4 m vis-à-vis de chaque raccord, selon le diamètre des canalisations… Les systèmes indirects ne sont soumis à aucune limite de charge, sauf l'ammoniac (150 kg).
Ces mesures seront applicables en 2019. Elles devraient entraîner d'importants surcoûts, voire rester en butte à certaines incompatibilités réglementaires (l'étanchéité à l'air des constructions…).
Reste à traiter le cas des immeubles de grande hauteur recevant du public (IGH-ERP) de catégorie 5. Les discussions se poursuivent.
Source : batirama.com / Bernard Reinteau