Face à l’augmentation du prix des énergies, les entreprises se rassemblent pour des achats groupés

Face à l’augmentation du prix des énergies, les entreprises se rassemblent pour des achats groupés

Les prix du gaz naturel et de l’électricité flambent. Isolées, les entreprises du bâtiment ne peuvent que subir. Rassemblées, elles peuvent desserrer l’étau et regagner des marges de manœuvre.




Photo : pose d’un gazoduc © Chazelles.info

 

Commençons par une courte remise à niveau sur les acteurs et les marchés du gaz et de l’électricité en France. En ce qui concerne le gaz, aucun des vendeurs de gaz sur le marché français ne produit de gaz. Tous achètent leur gaz sur le marché de gros. Ces achats de gaz sur le marché de gros peuvent se faire de gré à gré, à la faveur de contrats à long terme de 20 à 30 ans qui, en ce qui concerne la France, couvrent l’essentiel des importations en provenance de la Russie, d’Algérie ou de Norvège.

 

Ces contrats à long terme sécurisent le prix et les volumes pour les acheteurs comme Engie, TotalEnergies, … En revanche, ils contiennent toujours une clause qui oblige les acheteurs à payer un minimum des quantités achetées, même s’ils n’ont pas de clients pour les revendre. Les distributeurs de gaz en France complètent leur approvisionnement par des achats sur les bourses à la faveur de contrats spots et à terme.

 

 

La structure du marché du gaz

 

 

Sur les marchés de gros du gaz naturel, l’indice de prix le plus représentatif est l’indice TTF (Title Transfer Facility) Natural Gas Price, établit par le hollandais Gasunie et disponible sur le site de la bourse européenne Powernext. Pour une livraison le 17 février, le montant était de 69,21 €/MWh. Il a brutalement grimpé à 123,914 €/MWh le 25 février, est redescendu aussi brutalement à 98,552 €/MWh, avant de remonter à 120,078 €/MWh le 3 mars.

 

Une fois que les vendeurs de gaz disposent d’approvisionnements, ils ajoutent les frais d’acheminement (usage du réseau payé au GRT gaz et à GRDF), leurs marges et les taxes diverses pour proposer un prix à leurs propres clients.



A l’autre bout, les consommateurs de gaz ont vu les règles de marché changer rapidement. Depuis le 1er janvier 2016, les TRV gaz (Tarifs régulés de vente, ceux dont le montant est fixé par l’Etat) ont disparu pour les copropriétés dont la consommation est supérieure à 150 MWh/an, ainsi que pour toutes les ELD (Entreprises locales de distribution, Gaz de Bordeaux, par exemple). Depuis le 1er décembre 2020, les TRV gaz ont disparu pour tous les sites non-résidentiels.

 

Enfin, au 2 juillet 2023, les TRV gaz disparaîtront pour les sites résidentiels dont la consommation est inférieure à 30 MWh/an, ainsi que pour les copropriétés et immeubles à usage principal d’habitation dont la consommation est inférieure à 150 MWh/an.

 

 

Tout cela signifie que les TRV gaz auront entièrement disparu au 1er juillet 2023 et que tout le monde devra alors opter pour une offre de marché. ©PP

 

 

Quelles sont les offres de marché en gaz ?

 

 

Sur le site du Médiateur national de l’énergie, le comparateur d’offres en gaz pour les clients professionnels, pour un local dans le 20ème arrondissement de Paris, consommant 22 000 kWh/an et pour un prix fixe de 12 mois, annonce le 3 mars une bonne vingtaine d’offres.

 

La moins chère étant 1 812 € HTVA/an chez Alterna énergie, avec un prix de l’abonnement de 227,98 € HTVA et un prix du kWh de 0,0720 € HTVA. Ce qui est nettement moins cher que les 120,078 €/MWh (0,12 €/kWh) du prix spot Powernext du 3 mars, alors même que l’offre d’Alterna énergie englobe plus de choses, notamment les taxes (sauf la TVA), les coûts de distribution et la marge du fournisseur.

 

La plus chère des offres sur le site du Médiateur national de l’énergie pour notre site professionnel dans le XXème arrondissement de Paris est celle de Yéli à 4131 €/an, mais il s’agit de 100% de gaz vert. Là encore, le prix au kWh est de 0,177 € HTVA, à peine supérieur au prix spot du 3 mars.

 

Ces deux offres affichent un prix fixe sur 12 mois. Les distributeurs Alterna énergie et Yéli ont couvert leurs achats par des contrats à terme. Au-delà de 12 mois, rien n’est sûr. Les distributeurs ajusteront leurs prix en fonction du coût de leurs approvisionnements.

 

Si la guerre en Ukraine se poursuit et s’aggrave, avec ses massacres quotidiennement affichés à la vue du monde sur les réseaux sociaux, il n’est absolument pas impossible que l’Europe décide de ne plus acheter de gaz Russe ou, à l’inverse, que la Russie décide de ne plus approvisionner l’Europe pour tenter d’affaiblir son soutien à l’Ukraine. Dans ce cas, au moment du renouvellement des contrats, des offres de marché conclues par les entreprises, les prix pourraient littéralement exploser. Et les entreprises du BTP qui utilisent le gaz pour la fabrication – les producteurs d’enrobés, par exemple – pourraient être en péril.

 

L’Agence Internationale de l’Energie a conseillé le 3 mars aux européens de baisser la température de consigne du leur chauffage de 1°C. Ce qui réduirait la consommation de gaz européenne de 10 milliards de m3 environ, sachant que l’Europe achète à la Russie 155 milliards de m3 de gaz (40% de sa consommation annuelle) à la Russie.

 

 

Et l’électricité ?

 

 

En temps normal sur le marché français, l’électricité provient à 95% des centrales de production et à 5% des importations en provenance de nos voisins européens. En aval, l’électricité soutirée au réseau alimente la consommation finale pour plus de 75% et les exportations. Mais voilà, le parc nucléaire français connaît quelques difficultés. Sur les 56 réacteurs nucléaires français, 11 sont à l’arrêt début mars 2022. Du coup, la France importe davantage.

 

 

Les prix spots pour la France, selon l’application eCO2mix de RTE, ont fluctué le 2 mars entre 301,15 €/MWh au plus bas à 14 heures et 410 €/MWh au plus haut à 18 heures. Ce qui était en ligne avec les prix des bourses européennes : seuls l’Espagne et le Portugal affichaient des prix spots plus bas à 350 €/MWh à 18 heures, tandis que le Royaume-Uni affichait 488,5 € €/MWh à la même heure. ©PP

 

 

Côté consommateurs, il est encore possible de trouver des offres attrayantes. Nouvelle visite du site du Médiateur national de l’énergie pour un site professionnel, à Paris dans le XXème arrondissement, consommant 27 000 kWh par an, dont 30% en heure creuse, avec un abonnement de 36 kVA. Le site remonte 43 offres. La plus intéressante et la moins chère est celle d’électricité de Savoie, avec un prix fixe de l’énergie pendant 4 ans : 3443 € HTVA/an, dont 440,72 € HTVA pour l’abonnement, un prix du kWh de 0,1216 € en heures pleines et de 0,0869 € HTVA eh heures creuses.

 

L’offre la plus coûteuse, celle de Wekiki, atteint 10 089 € HTVA/an, sans garantie de prix.

 

 

L’idée de l’achat groupé

 

 

Pour comprendre comment il est possible de redonner aux entreprises une certaine marge de manœuvre, nous avons demandé conseil à Collectif Energie, un expert en gestion de l’énergie, créé en 2015 et qui a aujourd’hui 100 partenaires – ailleurs, on dit aussi clients -, 5 agences et 40 collaborateurs.

 

Leurs réponses tiennent en plusieurs points.

 

 

Premièrement, dit Stéphane Sorin, le PDG de Collectif Energie, il ne faut pas se précipiter, mais réfléchir et acheter au bon moment quand le prix est au plus bas. Mais il convient aussitôt, qu’en ce moment, il n’y a pas de bon moment. Deuxièmement, explique-t-il, la force est dans le collectif. Collectif Energie propose aux entreprises de profil similaires de se regrouper pour des achats groupés. Si, en se regroupant, des entreprises atteignent un volume de consommation conséquent, Collectif Energie peut organiser des appels d’offres auprès des fournisseurs avec une réelle force de négociation. ©PP

 

 

Notamment, se regrouper donne accès à des conditions similaires à celles des gros consommateurs, notamment des achats d’énergie en plusieurs fois. « Les entreprises qui ont bien négocié avec leur fournisseur et acheté des années d’énergie en avance seront protégées », explique Stéphane Sorin.

 

Mais attention, l’achat groupé ne permet pas de miracles. Etant donné la structure des prix de l’énergie – qui résultent de la somme des coûts et des taxes - , on peut jouer que moins de 5% du montant total de la facture, puisque 30% du prix total vient des taxes, 30% des coûts d’acheminement et le solde des prix de l’énergie. On ne peut jouer que sur la marge du fournisseur. Il y est prêt seulement si on s’engage sur un gros volume d’achat.

 

D’où l’idée de l’achat groupé. Collectif Energie travaille déjà avec des organisations professionnelles de pharmaciens, de boulangers, de fleuristes, des groupements de campings, des fédérations de restaurateurs. Mais le monde du BTP, l’entreprise ne compte que des clients individuels, dont le groupe Pigeon (granulats, Béton, TP, …) ou Enrobés Toulouse.

 

Que font la CPEB et ses 93 organisations départementales ? Sans parler de la FFB et de ses fédérations départementales, de ses unions de métiers, … ? La forte augmentation du prix de l’énergie en fait une question brûlante. N’est-ce pas le moment de tester l’achat groupé ?

 

Ensuite, bien sûr, il faut songer à remplacer le gaz russe dans les tuyaux européens et français. Cela passe par deux actions différentes :

  • Augmenter la part de gaz non-russe, celle du biogaz, voire de l’hydrogène mélangé au gaz naturel dans les réseaux,
  • Chez les utilisateurs en développant l’emploi des ENR, dont le solaire thermique, le solaire photovoltaïque, la géothermie, les pompes à chaleur, les chaudières biomasse, les raccordements à des réseaux de chaleur, … en remplacement du gaz naturel, y compris chez les professionnels du BTP.

 

Tous ces thèmes seront explorés dans de prochains articles.



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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