La filière énergétique française traverse une forte zone de turbulences. Les évolutions réglementaires depuis le début des années 2000 impactent leur activité, en introduisant davantage de concurrence sur l’amont et l’aval de la chaîne de valeur.
Pour rester dans la course, de l’avis des experts de Precepta*, les énergéticiens ne pourront plus faire l’impasse sur les énergies vertes, compte tenu de la volonté des pouvoirs publics de développer le segment des renouvelables.
C’est d’autant plus vrai que celui-ci affiche des perspectives de croissance prometteuses. Engie ambitionne ainsi de doubler sa capacité renouvelable installée en Europe pour atteindre 16 GW d’ici 2025. L’entreprise s’est d’ailleurs hissée au rang de leader du solaire en France grâce au rachat de Solairdirect en 2015 pour environ 200 millions d’euros.
Sur un marché de plus en plus concurrentiel, les énergéticiens doivent également se différencier et proposer des services toujours plus diversifiés. Outre la production d’énergie, ils doivent se convertir en opérateurs de l’énergie et des réseaux.
En clair, ils devront savoir optimiser la gestion et le pilotage de l’électricité et du gaz sur le réseau en apportant davantage d’intelligence dans la production, la conduite et le comptage.
Des activités à fort potentiel de croissance et rentables, à l’image de l’effacement de la consommation électrique dont les volumes et la rémunération ont nettement augmenté ces dernières années.
Les énergéticiens devront surtout saisir les opportunités liées au numérique pour être à la hauteur de leurs nouvelles missions. Avec la diffusion massive des smartphones et des objets connectés, les énergéticiens entrent dans l’ère de la personnalisation des services.
Sans oublier la montée en puissance des smart grids, qui bouleversent en profondeur la manière de concevoir et de piloter le réseau. Grâce à ces nouveaux outils, il devient possible de bâtir des réseaux électriques plus intelligents.
Ce système est actuellement expérimenté par Cofely à Toulouse. L’entreprise a installé dans la ville rose des panneaux solaires et des petites éoliennes, reliés à des batteries lithium-ion, qui assurent au site une autonomie d’une journée.
Des capteurs et compteurs assurent, eux, la gestion intelligente de la structure en centralisant les informations de consommation et de production de chaque entité.
L’optimisation des structures permet en outre de générer des économies importantes, grâce à l’élimination de la quasi-totalité des relèves à pied, de la réduction des coûts de traitement des redressements de facturation ou encore avec un traitement plus rapide des situations de fraude.
Ainsi, le déploiement de Gazpar (compteurs communicants de gaz naturel) sur l’ensemble du territoire français permettra d’économiser 500 millions d’euros à GRDF entre 2016 et 2036.
Mais le mariage du numérique et de l’énergie fait émerger des nouveaux modes de création de valeur avec l’arrivée d’acteurs au profil résolument digital au sein de la filière.
Parmi eux, les géants de l’IT, Google et Apple, comptent bien bâtir des écosystèmes d’affaires dans le domaine de la maison connectée avec leur solution domotique Nest et Homekit. Pour rester dans la course, les énergéticiens doivent donc veiller à ne pas perdre la main sur la relation client et la propriété des données, au risque de se faire distancer par les deux firmes américaines.
Dans ce contexte, les acteurs de l’énergie doivent riposter en recrutant des profils issus de la sphère digitale : un chief data officer, des data analysts ou encore un community manager. En parallèle, il leur faudra aussi modifier leurs structures organisationnelles pour gagner en agilité.
Cela passe notamment par l’adoption de logiques de test and learn adaptées au caractère mouvant de la transition numérique. Nouer des partenariats pour innover constituera également une stratégie gagnante, selon les experts de Precepta. C’est le sens de l’alliance conclue par Engie et Direct Energie avec Nest.
A plus long terme, il s’agit aussi d’intégrer le risque de démocratisation du rôle de producteur. En effet, les énergies renouvelables décentralisées et les progrès en matière de stockage de l’énergie laissent imaginer que n’importe qui pourra à terme devenir un véritable producteur d’énergie autonome.
Et ce risque est d’autant plus grand que se développent actuellement des plateformes numériques d’intermédiation. Celles-ci pourraient permettre de s’affranchir totalement des énergéticiens.
Elles ouvrent en effet la voie à une véritable horizontalisation du système énergétique français, dans lequel chaque foyer, doté d’un mode de production renouvelable, revendrait son surplus d’électricité via une plateforme virtuelle à des consommateurs situés à proximité.
*Auteur de l’étude : Thibaud Brejon de Lavergnée