Il doit amplifier le volume de travaux de rénovation énergétique, via l’isolation thermique par l’extérieur, mais il concentre les critiques. Signé le 30 mai dernier et paru au Journal officiel le lendemain, le décret n° 2016-711 relatif aux travaux d’isolation en cas de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d’aménagement de locaux provoque des réactions très contradictoires.
Rappel des faits. Dans la foulée des débats à l’occasion du Grenelle de l’environnement de 2007-2008, le Plan Bâtiment Durable et ses participants ont très vite repris certaines idées émises par les groupes de travail constitués à cette époque. À savoir : faut-il obliger à réaliser des travaux de mise à niveau thermique lors d’interventions spécifiques et importantes sur l’enveloppe des bâtiments existants (ravalement, toiture, agrandissement) ?
Alors jugé très sensible, le sujet était écarté des lois Grenelle. Ce, jusqu’à ce qu’il soit repris dans la consultation lancée en 2012 sur la loi de transition énergétique. Dans le texte paru le 17 août 2015, ce sujet généralement dit des « travaux embarqués » apparaît clairement dans son article 14 ; celui prévoit de compléter ses modalités d’application dans un décret.
Ce décret a cependant demandé aux fonctionnaires du ministère de la Construction et à leurs experts une rédaction extrêmement prudente. S’il dicte une obligation de travaux d’isolation en cas de chantier important, il fixe pourtant un cadre bien précis… Qui évidemment s’est retrouvé taxé de « complexe » par des opposants, notamment l’association « Maisons paysannes de France »*.
Ainsi, ce décret s’applique si :
Cependant, plus de la moitié du décret liste les cas d’exemptions d’application de cette nouvelle mesure : pour risque de pathologie de l’enveloppe, pour modification d’aspect architectural, pour « disproportion manifeste entre les avantages de l’isolation et ses inconvénients… », et aussi, en cas de retour sur investissement supérieur à dix ans.
La fronde contre ce texte tient principalement au fait qu’il serait contraignant et qu’il ferait la part belle à l’isolation par l’extérieur, sans alternative. D’ailleurs, si les rédacteurs du décret n’associent jamais ce mot « extérieur » avec isolation, les défenseurs d’une architecture patrimoniale ou vernaculaire ne se disent pas dupes : une entreprise de ravalement ne proposera jamais une isolation par l’intérieur !
Quant à la contrainte, Maisons Paysannes de France la résume clairement : « Le décret impose la rémunération d’un professionnel pour ne pas isoler son bien n’importe comment. ». Elle souligne que les maîtres d’ouvrage peuvent utiliser le crédit d’impôt sur la facture du Diagnostic de performance énergétique.
Ainsi, l’homme de l’art missionné pour produire cette étude peut justifier la « disproportion manifeste » des travaux au regard « de la valeur patrimoniale ou architecturale de la façade et de la dégradation encourue »; de même, il est possible de recourir gratuitement aux conseillers départementaux des CAUE pour effectuer une expertise. Mais l’afflux de près de 150 000 chantiers annuels ne manquera pas de provoquer un goulet d’étranglement…
L’association MPF se montre d’autant plus opposée au décret que l’exemption des bâtiments en fonction de leur date de construction ou des matériaux mis en œuvre, défendue par un collectif d’associations de protection du patrimoine et un temps retenue par l’administration, ne figure plus dans le texte de la fin mai.
« Les passoires thermiques, cela concerne le bâti produit de l’après-guerre au début des années 80 », rappelle Bernard Duhen, président de Maisons Paysannes de France. « Les bâtiments construits avant 1948 affichent en moyenne 160 kWh/m².an, soit une étiquette énergétique D », poursuit-il.
Ex-entrepreneur du bâtiment, il reconnaît que « l’ITE s’adapte aux enveloppes prévues pour cela, mais on ne peut vouloir que tout soit isolé par l’extérieur. On va enlaidir les villes et les villages. » Pour améliorer la thermique dans le bâti ancien, il préconise l’isolation par les combles, la pose de doubles fenêtres, « des solutions pour ne pas détruire l’esthétique de la France. »
Après la publication du décret, il a déposé un recours gracieux auprès du Premier ministre. Son argument repose sur le non respect de la loi, l’article 14 de la loi de transition énergétique prévoyant de « tenir compte des spécificités énergétiques et architecturales du bâti existant… »**.
Dans l’attente de la décision, le 27 septembre prochain, il a obtenu de son conseil d’administration le feu vert pour porter l’action au Conseil d’État en cas de rejet de ce recours. L’intention est bien de bloquer l’application du texte le 1er janvier prochain. Mais, mi-octobre, aucune procédure n’était encore engagée.
À l’Ordre des architectes, la présidente Catherine Jacquot reconnaît que ce décret cadre bien l’article de la loi de transition énergétique. Mais selon elle, le problème est plus profond : « Je m’étonne qu’une loi parvienne à imposer un procédé technique pour parvenir à une réduction de consommation d’énergie.
Il existe plusieurs façons d’arriver à cet objectif, et la technique ne peut être mise à l’écart des expertises et des usages. Si l’ITE est parfois adapté, il faut faire preuve de discernement et développer un diagnostic. Il doit être possible d’employer une autre technique ».
Cette représentante des maîtres d’œuvre ne soulève pas seulement les dommages techniques qui pourraient découler d’un usage automatique de l’isolation par l’extérieur ; elle pointe aussi l’aspect patrimonial de ce choix : « On gommerait toutes traces d’architecture, surtout si elles sont modestes. » Catherine Jacquot relie cette disposition avec celle permettant d’empiéter de 30 cm sur l’espace public pour isoler par l’extérieur : « Quid de la lisibilité urbaine, de l’alignement de rue ? »
Du côté des organisations professionnelles, on souhaite minimiser les difficultés montées en épingle. Pour Jean Passini, président de la commission « Environnement et Construction durable » de la FFB, « les nombreuses possibilités de dérogations devraient permettre d’écarter des situations de travaux incohérentes avec l’existant, que ce soit sur le plan technique et économique ». Il rappelle que la position de la FFB a toujours été de s’opposer à toute forme d’obligation susceptible de produire des contre-références.
« Nous privilégions toujours l’incitation et ce décret modère l’obligation au sens strict du terme. » Pour autant, il soutient : « Obligé ou pas, on a intérêt à isoler, que ce soit au regard des consommations d’énergie ou pour améliorer la valeur verte de son bien. » D’autre part, pour cet entrepreneur, le calcul du taux de retour sur investissement doit s’apprécier « sur la base du seul surcoût des travaux et en tenant compte des différentes aides disponibles : crédit d’impôt, certificat d’économie d’énergie et éco-prêt à taux zéro. »
* De son vrai nom : Association nationale de sauvegarde du patrimoine rural bâti et paysager. www.maisons-paysannes.org
** À noter que la fin de la phrase indique : «… en se rapprochant le plus possible des exigences applicables aux bâtiments neufs. »
Les organisations professionnelles, naturellement ouvertes à cette nouvelle opportunité de chantiers, ont collaboré avec l’Ademe pour rédiger un guide d’application du décret qui sera édité par la DHUP.
À l'occasion d'un débat organisé par Cegibat-GRDF au début du mois d'octobre sur le thème de l'actualité réglementaire en bâtiment, Anne-Lise Deloron, directrice adjointe du Plan Bâtiment Durable, reconnaissait « un défaut de communication sur ce décret ». Refusant l'expression d'obligation de travaux, elle retient qu'il a pour but de permettre aux maîtres d'ouvrage « de bien faire les travaux », sans avoir à y revenir plus tard et pour un coût plus important.
Pour clarifier son application, une dernière consultation allait être menée sur un guide rédigé par l'Ademe avec le concours des organisations professionnelles. La version finale de ce document d’une quinzaine de pages est bouclée depuis juillet ; le bon à tirer a été proposé à la signature de la ministre de l’Écologie début septembre. Il doit paraître d’ici quelques semaines.
Attendu avec impatience, ce guide précisera justement les cas d’exemption de travaux d’isolation pour des contraintes techniques, juridiques, architecturales ou économiques. Une large partie sera aussi consacrée à la méthode de calcul du temps de retour sur investissement, le seuil de dix ans permettant de s'exonérer de cette obligation.
Son retard de parution serait aussi dû à la révision en cours de la réglementation thermique dans l’existant (RTEx), actuellement analysée par la Commission nationale d’évaluation des normes. Ainsi, la première livraison du guide devrait rapidement être suivie d’une deuxième édition, aux exigences thermiques beaucoup plus élevées pour l’isolation des murs et des toitures.
Par ailleurs, cette mesure déjà connue par la filière fait craindre l’apparition d’une nouvelle bulle « d’éco-délinquance », des entreprises laissant entendre aux particuliers que l’isolation est devenue strictement obligatoire lors de tous travaux importants. Une idée fausse qu’il s’agit de combattre avec les arguments bien étayés du guide de la DHUP.
Plus concrètement, ce décret « travaux embarqués » jette les entreprises dans le grand bain de la rénovation énergétique en s’attaquant frontalement, mais encore timidement, à l’important parc des bâtiments existants. Son application place la filière du bâtiment au centre d’un carrefour, entre ambition de performance énergétique, crainte de dénaturer le patrimoine, et démonstration de savoir faire. Un vrai défi.
On parle d'un empiètement possible de 30 cm au-dessus du domaine public ; mais dans le cas d'un pignon en limite d'une propriété adjacente, qu'en est-il ? Serai-je autorisé à déborder de 30 cm chez le voisin ? Cordialement.
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Désolée, une erreur de manipulation, à fait partir mon précédent commentaire avant que j'ai fini de le rédiger. Je reprends donc. Il y a eu dans le passé, des expériences désatreuses d’isolation. Extrait du n° 166 4 T. 2007 de la revue MPF : « .. Les nombreuses expériences récentes prouvent qu’une isolation thermique supplémentaire ajoutée à une construction ancienne sans tenir compte des équilibres hygrothermiques et des incompatibilités des matériaux utilisés peut produire non seulement à détruire le confort des occupants et la qualité sanitaire de l’air intérieur, mais aussi, très souvent, endommager irrémédiablement la structure porteuse de ces bâtiments (ex. : nombreuses apparitions récentes de la mérules …) …. Les arrêtés de « péril imminent » prononcés à Paris pour certains immeubles récemment « réhabilités » illustrent clairement qu’on ne peut pas bêtement appliquer au bâti ancien les méthodes modernes visant les économies d’énergie. » Il est donc important de s’en préoccuper et de se poser des questions quand on lit cette fin de phrase citée ci-dessus : «… en se rapprochant le plus possible des exigences applicables aux bâtiments neufs. »