Après la présentation des démarches des transformateurs les plus en pointe de la filière sapin pectiné en Forêt Noire dont le génie du bois Lignotrend, Bâtirama revient en France pour tenter de caractériser la situation.
En France, depuis plus de vingt ans, il existe une association nationale un peu unique qui fait la promotion du Douglas : France Douglas. Introduit en 1842 en France, le Douglas ou pin d’Oregon (région d’Amérique du Nord) représente 420 000 hectares de surface plantée en France (source 2014).
Avec quelque 200 millions de m3 de bois sur pied, notamment de fort diamètre, le sapin pectiné surclasse largement le Douglas en termes de ressource. Sa valorisation souvent insuffisante contribue à accroître encore le volume sur pied et le diamètre moyen.
Pourtant, malgré une prise de conscience notamment dans la région AURA (Auvergne-Rhône-Alpes), le lancement au niveau national d’une association de promotion de type « France Sapin » ne semble pas encore d’actualité.
Explications des représentants de la filière dans la région AURA, l’amalgame entre sapin et épicéa pose problème tout comme la valorisation des gros bois de sapin.
Du côté des Vosges, les choses sont vues sous un autre angle. Selon Bernard Kientz représentant à la fois l’interprofession Gipeblor Lorraine et le groupement Sélection Vosges, il existe dans les Vosges des scieries qui se sont adaptées à la transformation de gros bois, dont les sapins.
Ce type de transformation est plus coûteux, ce qui se repercute sur le prix d’achat des grumes. Vis-à-vis de l’aval, plusieurs techniques sont utilisées pour extraire les parties à haute valeur ajoutée, sans nœuds. Pas de sciage sur quartier, mais éventuellement un sciage autour de la grume quitte à recueillir des planches à aspect flammé, mais sans nœuds.
Toujours selon Bernard Kientz, la Forêt Noire représente une exception dans la mesure où les paysans forestiers y ont longtemps élagué les sapins, ce qui permet aujourd’hui d’obtenir une plus forte part en qualité menuiserie.
En France, cela n’a guère été le cas et les gros nœuds abondent. La part du sciage sans nœuds est en conséquence de l’ordre de 5%, et dans les Vosges, la commercialisation de cette « crème » ne pose pas de problèmes.
Bernard Kientz sur le stand de Sélection Vosges lors de la dernière édition du salon Batimat. © JT
Par la voix de Bernard Kientz, les Vosgiens ne partagent pas non plus les préoccupations du Rhône Alpes en ce qui concerne la trop faible valorisation du sapin. Sélection Vosges donne l’exemple d’une gamme de bois de charpente en sapin, non séché. Car il existe un marché pour ce type de produits en France.
Il est vrai que la question de la valorisation des qualités B et C dans le cadre du développement de bois collés se pose aussi dans les Vosges. Bernard Kientz cite au moins deux transformateurs vosgiens qui aboutent, Germain-Mougenot et LIB.
Par ailleurs, Bernard Kientz souligne les performances mécaniques particulières qu’affichent souvent les bois de charpente issus des gros bois de sapin, et que les Vosgiens s’efforcent de valoriser en conséquence.
Sapin ou épicéa ? En tout cas, de belles grumes que les Jurassiens veulent promouvoir tantôt sous la marque commune Jura Supérieur, tantôt comme « Sapin du Jura ».© JT
Dans le Jura, on partage une approche assez similaire à celle des Vosges. La marque Jura Supérieur est du même acabit que Sélection Vosges. Les Jurassiens ont également lancé une démarche de commercialisation auprès des prescripteurs sous l’égide Sapin du Jura, un terme qui recouvre sapins et épicéas.
Sur le massif, une longue tradition de sylviculture jardinée fait que les deux essences sont présentes à égalité et de façon mélangée, comme l’explique Christian Dubois de l’interprofession régionale ADIB .
« Il y a de petites différences entre les deux types de sciages, souligne le professionnel. L’épicéa profite actuellement d’un effet de mode. Quant aux gros bois, le tissu des scieries est mixte, on en tient compte. Par ailleurs, la culture du tri du bois reste bien ancrée, on sait chercher la qualité ». Spécialiste local du bois collé, ProLignum est en mesure de coller également du sapin, à condition que les sciages soient bien séchés.
Billons écorcés sur l’immense parc à grumes de Schilliger à Volgelsheim. © JT
En Alsace, l’avis de Sacha Jung, Délégué général de l’interprofession Fibois Alsace, est un peu plus nuancé. Le mélange des sciages de sapin et d’épicéa est une réalité mais une distinction se justifiera sans doute à terme.
Cette nuance reflète la situation d’une région équipée notamment de quelques grandes scieries de résineux comme Siat ou Schilliger. Ces scieries modernes sont pourvues de lignes efficaces pour les grumes et billons de diamètre petit ou moyen.
Les gros bois, qui sont d’ailleurs souvent des sapins des Vosges, ne sont pas prisés. Pour autant, les gros sapins restent une ressource importante à valoriser, estime Sacha Jung. Comment ? Les parties nobles se monnayent bien mais le reste part à l’emballage ou au coffrage et il en résulte un prix moyen faible.
On retrouve ainsi la préoccupation de la Forêt Noire et de la nouvelle région AURA. Dans ce contexte, les essais effectués par Schilliger pour fabriquer du CLT avec du sapin sont observés avec attention. Si seulement ces panneaux pouvaient intégrer dans les couches non vues des lamelles de qualité B et C, la question de la valorisation des gros sapins se poserait soudain dans d’autres termes.
Tests de fabrication de panneaux CLT à partir de lamelles de sapin chez Schilliger.©JT
Peut-être que la perspective de disposer en France de bois collés en sapin, et de panneaux CLT en sapin, n’est pas hors d’atteinte. Il faut cependant ne pas perdre de vue un élément économique dont témoigne la ligne de gros bois de Schilliger.
Cette ligne était en effet le premier gros investissement du groupe allemand Klenk, lorsqu’il est venu s’installer en Alsace il y a une quinzaine d’années. Mais la perspective de trouver un débouché majeur à ces gros bois des Vosges a fait monter le prix du bois sur pied.
Cette hausse des prix a pénalisé la rentabilité de la nouvelle usine à un tel point qu’elle a complété, quelques années plus tard, son équipement par une ligne pour petits et moyens bois, avant de céder l’affaire au leader parmi les scieurs suisses.
Aujourd’hui, la ligne gros bois ne tourne en moyenne qu’un jour par semaine, et Schilliger n’y scie que les billons de gros diamètre qu’il a acquis dans des lots centrés sur les diamètres plus faibles.
Comme quoi la question de la valorisation des sapins, qui plus est des sapins de gros diamètres, ne date pas d’hier. Quant à celle des sapins de très petits diamètres, qui ornent nos salons à Noël, c’est une toute autre histoire… que l’on vous racontera peut être un jour.