Prenant le contrepied des informations annoncées par BFM, Matignon réafirme à nouveau son refus de revenir sur la baisse des APL, et cela juste avant le salon des Maires qui doit ouvrir ses portes à Paris.
Depuis l’été, le Gouvernement annonce des mesures radicales qui mettent en danger le modèle économique du logement social et auront des répercussions bien au-delà de la santé des organismes HLM, sur toute l’activité du bâtiment en 2018 et durant les années suivantes.
Tout à son désir louable de réduire le déficit annuel des comptes de la Nation en-dessous des fatidiques 3%, le Gouvernement utilise la manière forte avec une série de mesures précipitées qui déstabilise la profession. Il a cependant raison sur un point au moins : la politique de soutien au logement coûte cher et s’avère peu efficace.
Depuis 1973, les HLM ont construit 2,5 millions de logements. En 2018, le loyer moyen dans le parc HLM est de 390 €, contre 570 € dans le parc locatif privé. ©PP
Le Projet de Loi de Finances (http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0235.asp) (LPF) pour 2018 est en discussion à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Son article 52 porte sur la modification des APL (Aides Personnalisées au Logement) et des loyers HLM. Il comporte un instructif « exposé des motifs ».
On y apprend que la France consacre chaque année un peu plus de 40 Md€ à la politique du logement, soit environ 2% du PIB (Produit Intérieur Brut qui atteint environ 2000 Md€ en 2016). Ce qui est nettement plus que chez nos voisins européens.
Et, selon un rapport de la Cour des Comptes publié en juin 2017, cette dépense importante est plutôt inefficace : les loyers continuent d’augmenter plus vite que les revenus et plus vite que l’inflation, l’offre de logement à la location progresse peu.
En 2013, selon l’Insee, la part de leur revenu que les ménages locataires consacrent à leur logement atteignait 28,4% dans le parc locatif privé, en progression de 4,8 points depuis 2011. Dans le parc locatif social, ce taux d’effort atteignait 24,1% en 2013, en progression de 3,9 points depuis 2011. Il est donc parfaitement légitime d’entamer une réforme des financements du logement.
Fin 2015, la valeur du patrimoine des HLM (le coût de construction des logements + coût des travaux de maintenance – amortissements techniques) atteint 200 000 Md€, soit environ 50 000 € par logement. Chaque année, les HLM assument plus de 40 Md€ de dépenses : 18,7 Md€ d’exploitation, 17 Md€ d’investissements, 5 Md€ de charges locatives, etc. Dans le même temps, la dette à long terme de l’ensemble des organismes HLM atteint 150 Md€. ©PP
En 2016, les 40 milliards d’euros consacrés à la politique du logement se répartissent en 18 Md€ en aides personnelles et 22 Md€ en aides à la construction. En 2014 - les données plus récentes ne sont pas disponibles -, le secteur du logement social a reçu 17,5 md€, dont 8 Md€ sous forme d’APL et autres aides personnelles et 9,5 Md€ sous forme d’autres aides aux organismes du logement social.
En 2016, environ 54% des locataires HLM bénéficient des APL. Ce qui selon les organismes du logement social représentait environ 8,2 Md€, contre 8,8 Md€ des APL allant aux bailleurs privés.
Le Gouvernement semble persuadé que, grâce aux aides publiques, les organismes HLM s’enrichissent sur le dos des locataires. L’exposé des motifs de l’article 52 souligne notamment qu’ils n’ont pas répercuté la baisse des taux d’intérêt du livret A qui, entre 2012 et 2016, a allégé de 600 Millions d’Euros la charge de remboursement des HLM.
Les 40 Md€ de soutien au logement dépensés par l’Etat chaque année vont autant au secteur privé - > 8 Md€ d’APL, 10,6 Md€ d’aides à la production de logements versés aux propriétaires occupants et aux propriétaires bailleurs privés. ©PP
Plutôt que servir à réduire les loyers, cet allègement a été directement affecté à l’amélioration de l’autofinancement des organismes HLM qui est passé de 2,7 Md€ en 2012 à 3,3 Md€ en 2016, soit environ 15,8% du total des loyers perçus. La trésorerie des organismes HLM atteignait par ailleurs 11 Md€ fin 2014, soit 7 mois du total loyer + charges.
Le Gouvernement révise donc les dispositifs d’aides publiques au logement à travers l’article 52 du PLF 2018, en partant de l’idée simpliste que les HLM s’en mettent plein les poches aux dépends de l’Etat et de leurs locataires, tout en ne jouant pas bien leur rôle en matière de logement des familles les plus modestes.
L’Etat oublie au passage qu’il doit environ 2 Md€ aux organismes pour des engagements signés. Les travaux et actions prévues par ces engagements ont été réalisés par les HLM, mais l’Etat n’a jamais honoré sa signature. Soulignons aussi que la dette cumulée des organismes du logement social atteint 150 Md€. A titre de comparaison, la dette publique de la Grèce au moment de la crise de 2008 atteignait 200 Md€.
Le résultat d’exploitation des HLM en France en 2015 a atteint 2,2 Md€. Il est intégralement réinvesti dans le gros entretien, la rénovation du parc existant et dans la construction de nouveaux logements. ©PP
L’article 52 du Projet de Loi de Finances (PLF) 2018 en discussion à l’Assemblée Nationale et au Sénat, prévoit une baisse des APL (Aides Personnalisées au Logement). Assortie d’un barème de calcul un peu complexe, cette mesure parvient à une réduction des APL d’un peu plus de 60 € par mois en moyenne pour les locataires, soit 1,7 Md€ au total dès 2018.
Elle sera compensée, selon le même article 52, par une baisse symétrique des loyers HLM, baptisée « réduction de loyer de solidarité ». Seulement des loyers HLM, pas ceux du parc privé où sont pourtant logés la majorité des bénéficiaires des APL.
Pour tous ces locataires du secteur privé, les APL baisseront, sans compensation de loyer : leur taux d’effort va encore augmenter en 2018. L’offre de logements privés sera fragilisée et des propriétaires choisiront de retirer leurs logements du marché plutôt que de faire face à des impayés de loyer.
Personne n’imagine que, face à la rareté des logements locatifs en zones tendues, les propriétaires privés choisiront de baisser les loyers pour solvabiliser leurs locataires. Grâce à cette mesure, l’offre de logements locatifs va baisser plutôt que croître.
Chaque année, l’excédent d’exploitation des HLM – l’autofinancement – sert à amorcer plus de 16,8 Md€ de travaux, qui rapportent 800 millions d’Euros à l’Etat sous forme de TVA, emploient directement 170 000 personnes dans le bâtiment et 120 000 personnes dans la filière (production et distribution de matériaux de construction, de chaudières, de ballons d’ECS, etc.). ©PP
La discussion du PLF 2018 est en cours. Des amendements, proposés à l’Assemblée Nationale pour l’instant, modifient le projet du Gouvernement. L’un d’entre eux étale sur 3 ans la baisse des APL dont le Gouvernement prévoyait l’application dès le 1er janvier 2018. Pour compenser une baisse des dépenses de l’Etat moins forte qu’attendue, le même amendement établit une taxation – provisoire ? – des organismes HLM en fonction du nombre de logements qu’ils possèdent.
Le produit de cette taxe sera directement versé au Budget de l’Etat. La loi interdit en effet qu’un amendement au PLF augmente les dépenses de l’Etat, sans prévoir une augmentation symétrique des recettes. Pour l’instant, que cet amendement soit retenu ou pas, dès 2018, les recettes des organismes HLM baisseront de 1,8 Md€ au total. Ce qui représente un peu plus de 8% du total des loyers et 75% des capacités d’autofinancement des HLM.
Pour tenter de faire passer la pilule, l’Art. 52 prévoit deux autres dispositions. Premièrement, le taux du Livret A est maintenu à son niveau actuel durant deux ans et la durée de certains emprunts consentis par le fonds d’épargne de la Caisse des Dépôts et Consignations est allongée. Ce qui conduit à une baisse des charges de remboursement annuelles ?
Deuxièmement, « un dispositif de péréquation entre les organismes est institué ». En gros, ceux qui se porteront encore bien devront contribuer davantage à la Caisse de garantie du logement locatif social, pour aider ceux qui iront mal du fait de cette réforme.
Les compensations proposées par l’Etat fonctionnent à terme si les HLM maintiennent des montants d’investissements élevés. Le PLF supprime 75% de l’autofinancement. Aucune opération HLM n’est totalement financée par des ressources extérieures. Si l’amorce de financement des opérations – l’autofinancement - disparaît, les travaux vont être sévèrement réduits. ©PP
Amputer les recettes des organismes HLM de 1,8 Md€ en 2018 et effacer globalement 75% de leur capacité d’autofinancement aura des effets différents selon les organismes. Le mouvement HLM prévoit que, sur les 730 bailleurs sociaux que compte notre pays, plus de 200 seront en déficit d’exploitation en 2018.
Imaginez le succès d’une entreprise tenant ce discours à ses banquiers : mon activité est désormais structurellement en déficit, mais j’ai besoin que vous me prêtiez de l’argent quand même pour financer mon fonctionnement. Plus de 200 organismes seront dans ce cas dès 2018.
L’espoir du Gouvernement est que des organismes encore sains absorbent les malades. Rien ne le garantit. La perte de 1,8 Md€ de recettes va entraîner en 2018, la non-construction de 54 100 logements neufs, la non-réhabilitation de 103 000 logements (adieu à l’objectif de 500 000 réhabilitations par an), une perte de recette pour l’Etat de 557 millions d’Euros sous forme de TVA non-générée et, cerise sur le gâteau, menace 146 000 emplois directs et indirects à la fois dans les organismes HLM et dans les entreprises du bâtiment qui sont leurs fournisseurs.
La Seine Saint-Denis sera particulièrement touchée par les dispositions contenues dans le PLF : 25% de la réduction des APL en Île-de-France sera supportée par la seule Seine Saint-Denis. En Île-de-France, en 2018, 20 000 logements sociaux neufs ne seront pas construits, 15 000 logements ne seront pas rénovés, 43 000 emplois directs et indirects sont menacés. ©PP
L’impact de cette baisse de recette sera ressenti au-delà des seuls organismes HLM. Quantité d’opérations associent en effet les HLM et des Maîtres d’Ouvrage privés. Dans nombre d’opérations mixtes privées-publiques, les HLM achètent des logements en VEFA (Vente en Etat Futur d’Achèvement) aux promoteurs privés. Ce qui assure à ceux-ci des recettes minimales leur permettant de solvabiliser ces opérations et d’obtenir de leurs banques les prêts pour financer le reste.
Ce mécanisme VEFA dans les opérations mixtes va être atteint, rendant plus difficile le financement de leurs parties privées. De même, lors d’opération de rénovation urbaines financées par l’ANRU (Agence Nationale de Réhabilitation Urbaine), la contribution des bailleurs sociaux sous forme de rénovation d’un ou plusieurs bâtiments dans une rue ou un quartier, permet aux Communes de lancer des rénovations de voiries, d’aménager places et jardins publics, aux concessionnaires d’améliorer leurs réseaux, de passer la fibre optique, etc.
Ce qui permet le déclenchement de ces opérations de rénovation, c’est l’autofinancement des organismes HLM : il sera amputé en 2018 et bon nombre d’opérations de rénovation n’auront pas lieu. Le Mouvement HLM estime que 1 million d’euros investi par les HLM en rénovation urbaine génère 3 à 4 millions de travaux annexes. Pas l’an prochain. L’embellie actuelle de la construction neuve, dont le Gouvernement se gargarise, va être brutalement stoppée par ces mesures précipitées prises par ce même Gouvernement.