La France a pris un sérieux retard par rapport aux objectifs du Plan Climat européen qui arrive à échéance en 2020. C’est pourquoi les nouveaux objectifs qui lui sont assignés par l’Europe pour 2030 sont sévères : -37% par rapport au niveau de 2005.
Quant aux objectifs globaux, la limitation du réchauffement à moins de 2°C à l’horizon de 2100 par l’Accord de Paris sur le climat de 2015 est remise en cause. D’un côté par les évolutions politiques actuelles qui font craindre qu’il ne sera pas visé par tous. D’autre part, à cause des conclusions scientifiques les plus récentes selon lesquelles il sera impératif de contenir le réchauffement à 1,5°C. L’espoir de la COP21 est en train de faire place à la peur.
Le niveau d’émission carbone pas habitant et par an, repère utile dans la course qui doit être engagée vers la neutralité carbone.
A moins de faire l’autruche, il s’agit maintenant de traduire ce défi en termes palpables, puis évidemment en actes. A l’occasion d’une réunion de l’association BBCA au siège de BNP Paribas Real Estate, à Issy-les-Moulineaux, fin septembre, Jean-Christophe Visier, directeur Energie-Environnement du CSTB, a présenté une nouvelle comptabilisation des objectifs.
Plutôt que de répartir l’enjeu carbone sur une multitude d’activités humaines, dont la construction, la première étape pédagogique est désormais d’adopter un mode de comptage par habitant. En effet, si l’on divise les émissions de CO2 et équivalents de la France par le nombre d’habitants, on atteint pour l’année 2018 un niveau d’émission de 11,5 tonnes d’équivalent CO2 par habitant et par an.
Le pic historique français semble tout juste dépassé mais nos émissions restent très élevées, plus ou moins de l’ordre du double de la moyenne mondiale. Or, d’ici 2030, il va falloir rattraper cette moyenne mondiale alors également engagée sur une pente descendante, avec pour la France un niveau d’émissions de 6 tonnes d’équivalent CO2 par habitant et par an.
Ensuite, d’ici 2050, la France devra suivre la moyenne mondiale en forte diminution pour atteindre un niveau d’émission de 2 tonnes d’équivalent CO2 par habitant et par an. Ce sera toujours trop par rapport à l’objectif de neutralité carbone.
C’est pourquoi il va falloir, au cours des prochaines décennies, mettre en place de nouvelles pompes à carbone massives, par exemple en replantant des forêts. Pour l’Europe, on parle d’une surface équivalente à celle de l’Espagne. Et ce n’est pas tout : d’ici 2100, il faudra poursuivre les efforts et compenser les surémissions de la première moitié du siècle par un bilan carbone globalement négatif.
Schema piliers quartier bas carbone Les cinq piliers de la démarche Quartier BBCA Bas Carbone
Cette approche par habitant a été développée par le CSTB en collaboration avec le bureau d’études Elioth. Elle rejoint l’approche de la société à 2000 Watts qui a été élaborée par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich depuis plusieurs dizaines d’années déjà.
Si ce n’est qu’à l’époque, l’unité de mesure choisie était l’énergie et non le carbone que l’on avait bien du mal à comptabiliser. A vrai dire, cela n’a pas fondamentalement changé. Certes, les labels de l’association BBCA, ou le label expérimental E+C-, se basent dans leurs calculs sur la méthodologie assez stricte de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV), dont sont dérivées en France des Fiches de Données Environnementales et Sanitaires répertoriées dans la base INIES.
La quantification des émissions carbone de matériaux de construction dans le cadre des ACV résulte d’affrontements internationaux. Pour l’instant, un matériau renouvelable comme le bois y est mal noté : on considère qu’il relargue en fin de vie, dans l’atmosphère, le carbone qu’il a stocké.
Si l’on s’en tient à ces certificats, changer de pratiques pour construire en diminuant sensiblement les émissions de carbone n’est pas simple. Cela ne se résume pas à remplacer au moins en partie le béton par des matériaux biosourcés. Du moins sur le papier.
S’ajoute à cela que dans le monde des matériaux de construction, les industriels les plus puissants ont d’une longueur d’avance. Très souvent, les matériaux réputés à bon bilan carbone ne disposent pas, ou pas encore, de fiches FDES.
Or, dans le cadre des nouveaux labels qui se proposent de donner une indication de la performance carbone d’une opération de construction, il est certes possible de recourir à ces matériaux alternatifs, réputés bons mais dépourvus de fiches. Cependant, leur emploi est sanctionné par des « valeurs par défaut » pénalisantes.
Il ne suffira pas d’évaluer la pertinence carbone d’un projet de quartier en termes de réalisation, mais il faudra également anticiper des scénarios d’utilisation futurs.
Trois ans après le lancement de l’association BBCA, une troisième version du référentiel témoigne des difficultés actuelles pour enclencher une dynamique de construction bas carbone en France.
Tandis qu’une vingtaine d’opérations, parfois spectaculaires, on déjà fait l’objet d’une labellisation, souvent en stade conception mais dans la perspective d’une labellisation complémentaire de la phase réalisation, l’association a relevé la barre des émissions d’équivalent carbone admissible, qui avait été fixée un peu sommairement à 1 tonne d’équivalent CO2 par m2.
La nouvelle limite quelque peu assouplie est fixée à 1,15 tonne. Parallèlement, le référentiel réintègre un paramètre de la version initiale, qui est la prise en compte d’opérations de démolition précédant le projet de construction. Enfin, le référentiel donne un nouveau coup de pousse aux matériaux de construction biosourcés, en comptabilisant le stockage de carbone comme émissions négatives.
Le Bâtiment se prêterait tout particulièrement à une comptabilisation carbone par quartier.
L’association BBCA étend parallèlement son action au secteur décisif de la rénovation. Un référentiel BBCA Rénovation sera publié courant octobre 2018. Jean-Christophe Visier regrette qu’il n’ait pas été possible de développer une démarche commune à celle d’Effinergie qui se positionne également sur ce terrain.
Tandis que le troisième label français, HQE, par ailleurs largement leader du marché, s’engage sur la voie de la labellisation des infrastructures, BBCA joue en outre la carte de l’approche quartier. Pour l’heure, il s’agit d’une première phase d’études qui vise à identifier les principaux secteurs d’émission à prendre en compte, ainsi que les gisements de progrès les plus prometteurs.
La démarche peut séduire dans le sens où elle appréhendera mieux les consommations non réglementées qui faussent aujourd’hui complètement l’évaluation des émissions carbone des bâtiments en usage.
Par ailleurs, cette démarche semble indispensable au vu des objectifs démesurés que la France va devoir atteindre : la comptabilisation par quartiers va sans doute s’imposer par souci de lisibilité et de maniabilité, même s’il reste à définir justement la notion de quartier et d’adapter les structures politiques pour y trouver une unité d’action.
La loi ELAN fait un pas dans ce sens, notamment en matière de quartiers neufs : viser une désormais indispensable haute performance en matière de bilan énergétique et carbone devrait permettre de déroger aux règles habituelles de dévolution des travaux. Les architectes y voient une remise en cause de leur profession au profit des majors du BTP. Tout dépendra de l’endroit où on placera le curseur.