Notre-Dame de Paris : une reconstruction à l’identique est la solution la plus rapide

Notre-Dame de Paris : une reconstruction à l’identique est la solution la plus rapide

Où en sommes-nous, dix jours après l’incendie ? Voici ce qui a été fait, ce qui reste à faire avant d’aborder la phase de restauration proprement dite et un petit bilan des inquiétudes et des espoirs




Le GMH – Groupement des Entreprises de Restauration des Monuments Historiques – milite pour une restauration à l’identique et souligne que tout est disponible : les entreprises, les savoir-faire et les matériaux nécessaires.

 

Lors d’une seconde conférence de presse organisée le vendredi 26 avril, Gilles de Laage et Frédéric Létoffé, les deux co-présidents du GMH, ont réaffirmé leurs convictions : la restauration est le chemin le plus court vers la reconstruction et, avec un peu d’organisation, toutes les ressources nécessaires sont disponibles.

 

 

 

Rémi Fromon et Cédric Trentesaux ont effectué un relevé détaillé des charpentes médiévales de Notre-Dame de Paris dans le cadre de leur DSA (Diplôme de Spécialisation et d’Approfondissement), mention architecture et patrimoine. © Rémi Fromon et Cédric Trentesaux

 

Les ressources nécessaires sont disponibles

 

Les deux co-présidents tenaient en effet à couper court à diverses idées militant contre la restauration à l’identique. Premièrement, disent-ils, l’ancienne structure de la cathédrale est parfaitement documentée. Comme indiqué dans le précédent article, Art Graphique & Patrimoine (AGP) a numérisé une grande partie de Notre-Dame depuis 25 ans, dont la partie détruite, avec une précision inférieure au millimètre.

 

Ensuite, Rémi Fromon et Cédric Trentesaux ont dressé une série de plans détaillés du grand comble, de sa charpente et de la flèche. Donc, si l’on devait reconstruire à l’identique, peu d’études complémentaires sont nécessaires, l’essentiel est parfaitement connu. A l’inverse, toute solution différente demanderait des études poussées et longues. La structure de la charpente et la toiture par le poids et les forces qu’elles exerçaient en des endroits précis des murailles et des voûtes, contribuaient à l’équilibre du bâtiment.

 

Toute nouvelle structure devrait apporter un poids comparable et exercer les mêmes forces, aux mêmes endroits que la charpente origininale. Ensuite, les trois matériaux principaux dont on aurait besoin sont disponibles. La forêt française peut fournir les chênes de la charpente. Cette charpente représentait 500 m3 de poutres.

 

Les charpentiers estiment qu’il faut environ 2,3 fois ce volume en arbres, soit 1150 m3, pour refabriquer la charpente. Ce qui est largement à la portée des ressources françaises. Et, ajoute Gilles de Laage, si la décision d’une reconstitution à l’identique était prise avant l’été, il serait possible de commencer à abattre les chênes dès cet automne.

 

 

 

Depuis une semaine, 7 Maîtres Verriers sont à pied d’oeuvre pour déposer tous les vitraux de la nef. Ce devrait être terminé début Mai. Les vitraux sont entreposés dans leurs coffres-forts. ©PP

 

 

 

Le Plomb Français peut fournir les éléments de couverture

 

En ce qui concerne la couverture en plomb, la France possède encore le savoir-faire et l’outil industriel. L’entreprise Le Plomb Français, installée à Estrée-Saint-Denis (60) dispose de la capacité nécessaire pour fabriquer les éléments d’une nouvelle toiture en plomb. Côté pierres, les carrières d’Île-de-France possèdent les capacités de production nécessaires.

 

En ce qui concerne le savoir-faire et la main-d’œuvre, le GMH souligne que ses 110 adhérents et, plus largement, les 232 entreprises titulaires d’une ou de plusieurs qualifications Qualibat concernant les métiers du patrimoine, disposent des savoir-faire et des effectifs requis pour une restauration à l’identique. Les ressources en matériaux et personnel sont suffisantes pour que la restauration de Notre-Dame n’induise pas de retard sur d’autres chantiers de restauration en cours.

 

En effet, indique Frédéric Létoffé, les entreprises peuvent s’organiser et mutualiser leurs ressources. C’est ce qui est déjà fait pour la sécurisation du bâtiment où sept Maîtres Verriers différents – Atelier Duchemin, Atelier Parot, Atelier Claire Babet, Manufacture Vincent Petit, Atelier Muranese, Vitrail France et Atelier Loire - coordonnent leurs interventions pour déposer et sécuriser tous les vitraux en les entreposant dans leurs coffres-forts. Leur intervention a commencé le 19 avril et sera terminée avant le 3 mai, sauf surprise imprévue.

 

 

 

Une série de plateformes a été édifiée pour supporter les poutres de soutènement qui conforteront des pans de maçonnerie endommagés par le feu. ©PP

 

 

La paroi nord du transept est confortée, emballée et ses statues ont été déposées. L'entreprise de couverture Le Bras Frères est chargée de la confortation. Tandis que Soca a découpé, déposé et sécurisé les statues, avant de procéder à leur restauration. L’ange de la paroi nord du transept a été fendu en deux par le feu, mais demeure restaurable. ©PP

 

 

 

Quatre mois pour la sécurisation

 

Gilles de Laage et Frédéric Létoffé ont ensuite fait le point sur les travaux de sécurisation et de confortation entrepris qui, selon eux, devraient durer au minimum quatre mois. Sécurisation ne signifie pas restauration, c’est la première phase, la plus urgente, qui sera suivie par une phase de déblaiement – peut-être un an -, puis par le diagnostic sur l’état du bâtiment et de ses composants durant au minimum une autre année, voire deux.

 

Tout cela additionné aboutit à 2,5 à 3,5 ans avant tout début des travaux. La sécurisation en cours porte sur les murs Nord et Sud du transept, sur l’extrémité Ouest de la Nef, entre les deux beffrois et enfin sur les murs de la nef. Tout cela se déroule en plusieurs étapes : étaiements, mise hors d’eau provisoire et passage de deux jeux de poutres de confortation de 18 m de long, en lamellé-collé, traversant la nef du nord au sud : l’un appuyé sur le sommet des murs de la nef, l’autre reposant sur la base des fenestrages débarrassées de leurs vitraux.

 

La mise hors d’eau provisoire, reposant au sommet des murs de la nef, sur des poutrelles métalliques, est en place. La confortation des deux extrémités du transept est terminée. La pose de la première charpente en lamellé-collé à travers la neuf au niveau du sommet des murs et au-dessus de la bâche provisoire, commencera entre le 30 Avril et le 3 Mai et durera une petite semaine.

 

La seconde charpente, reposant sur la maçonnerie des fenêtres, commencera ensuite et durera une dizaine de jours. Ces deux charpentes assureront un contreventement efficace de la structure de la nef. Environ 80 personnes s’affairent sur le chantier durant cette phase de confortation.

 

 

Sur ces deux vues aériennes prises samedi 20 avril par Art Graphique & Partimoine, les dégâts sont clairs : la toiture a entièrement disparu. Les débris de sa combustion sont tombés sur le sommet des voûtes, une partie des voûtes a cédé à l'ouest et sous l'échafaudage. ©Art Graphique & Patrimoine

 

 

 

 

Depuis, deux bâches provisoires ont été tendues sur des poutrelles métalliques légères, de part et d’autre de l’échafaudage existant, pour placer une partie de la cathédrale hors d’eau. ©PP

 

Un an de déblaiement, au minimum

 

Quatre entreprises membres du GMH ont été réquisitionnées : Socra (dépose et conservation des sculptures), Le Bras Frères (charpente et confortation), Europe Echafaudage (pose d’un nouvel échafaudage pour la dépose des vitraux) et Pierre Noël (maçonnerie). En outre, l’entreprise de cordistes Jarnias est intervenue à partir du 18 avril pour déblayer les débris en haut des murs de la nef, puis poser une charpente acier légère et une bâche de 600 m² destinée à placer une partie de la nef hors d’eau.

 

La mise hors d’eau de la nef n’a pas eu lieu sous l’échafaudage existant, dont il faut attendre la dépose pour procéder à la confortation du transept et de la nef sous l’ancienne flèche, puis à la mise hors d’eau. Sous l’effet de la chaleur, les éléments d’acier galvanisés d’une partie de l’échafaudage ont fondu et ce sont soudés entre eux. Il faudra les découper pour les déposer. Ce qui rend très optimiste la durée d’un an évoquée pour le déblaiement. Ce sera une entreprise délicate.

 

Découper du métal à l’aide de scies, de disqueuses ou de chalumeaux produit des étincelles, voire des projections de gouttelettes de métal en fusion. Il est probable, pour minimiser les risques, que de grands segments 3D de l’échafaudage seront arrimés à une grue, découpés, déposés au sol où leur démantèlement sera achevé. Cela représente des mois de travail.

 

 

 

 

 

 

Les bâches provisoires ne pénètrent pas sous l’échafaudage existant. Sous l’effet de la chaleur de l’incendie, une grande partie de ses éléments ont été soudés entre eux. Le démantèlement sera long et complexe. ©PP

 

 

Art & Patrimoine a numérisé la cathédrale avant et après l'incendie. La comparaison des nuages de points permettra d'identifier les ouvrages qui ont bougé. ©Art Graphique & Patrimoine

 

L’enquête de police se poursuit

 

En attendant, sous la toiture qui a disparuse trouvent des voûtes, recouvertes d’un mortier de chaux et de poutres calcinées. Avant d’accéder aux pierres de la voûte et de pouvoir en faire une analyse physico-chimique détaillée – spécialité du BE Studiolo, membre du GMH  – pour décider de leur conservation ou de leur remplacement, tous les débris accumulés sur la voûte et le mortier de chaux devront être enlevés.

 

Le fait que l’espace sur les voûtes et, au sol dans la nef, sous les voûtes écroulées fasse toujours partie de l’enquête de police n’accélère pas les travaux. Chaque élément déblayé est porté sur le parvis de la cathédrale, sous un chapiteau nouvellement installé. Là, il est inspecté par les enquêteurs et par les archéologues de la cathédrale, avant de décider de son sort : déchet, pièce de l’enquête, conservation.

 

Le sommet de la voûte sera déblayé par le dessus, en descendant des poutres de confortation et du platelage qui sera posé sur les poutres, à travers la bâche provisoire, qu’il faudra déplacer le matin, puis replacer en fin de journée : un travail minutieux et lent qui n'aura pas lieu durant les jours de pluie. Les poutres reposant sur la base des fenestrages supporteront également un platelage sur lequel seront érigés des échafaudages provisoires pour atteindre certaines parties de voûtes par le dessous. Cela ne pourra avoir lieu qu’après analyse de leur structure pour éviter tout danger. Vers le 10 Mai, des robots seront envoyés dans la nef pour déblayer les débris au sol. Le principe de sécurité retenu est la non-superposition des travaux à un même endroit.

 

 

 

Côté Ouest, la confortation du pignon entre les deux beffrois sera achevée le 1er mai : poutres en lamellé-collé jetées à travers la nef, platelage en CLT 3 plis posé dessus, puis étaiement et couverture. ©PP

 

Un projet de loi spécifique pour la cathédrale Notre-Dame de Paris

 

Dans le même temps, les réactions se multiplient contre le Projet de Loi « pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet ». Présenté en Conseil des Ministres le 24 avril 2019, par Franck Riester, ministre de la culture, et Gérard Darmanin, ministre de l’Action des comptes publics, ce Projet de Loi contient trois éléments.

 

Premièrement, l’idée d’une souscription nationale, ses modalités d’administration et d’emploi des fonds, ainsi que la réduction d’impôts de 75% du montant des dons, dans la limite de 1000 €, effectués par les particuliers entre le 16 avril et le 31 décembre 2019 et versés au Trésor Public ou à l’une des trois fondations - Fondation de France, Fondation du Patrimoine, Fondation Notre-Dame - réunies sur le portail www.rebatirnotredame.gouv.

 

Deuxièmement, le Projet de Loi permet au Gouvernement, sans l’y obliger, de créer un établissement public chargé de concevoir, puis de conduire les travaux de restauration. Il existe déjà de tels établissements publics à caractère industriel et commercial, gérant le Château de Versailles ou le Château de Chambord, par exemple.

 

Troisièmement, le Projet de Loi donne la possibilité au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures d'aménagement ou de dérogation à certaines dispositions législatives qui seraient nécessaires afin de faciliter la réalisation des travaux. Ce troisième point suscite des interrogations. Sa rédaction, malhabile, permettrait au Gouvernement de prendre toutes sortes de décisions allant contre une restauration à l’identique, notamment pour aboutir plus rapidement. Ce Projet de Loi sera examiné le 1 Mai par la Commission des Affaires Culturelles de l'Assemblée Nationale.

 

 

 

Un nouvel échafaudage et son ascenseur ont été dressés pour donner accès aux vitraux du 1er étage. Devant chaque vitrail, un échafaudage a permis sa dépose par l’extérieur. ©PP

 

 

 

Concours international d’architecture et délai de 5 ans

 

On ne parle plus trop, en revanche, de l’idée du Premier Ministre Edouard Philippe, lancée le 17 Avril, d’initier un concours international d’architecture. Le but, tel qu’on l’avait compris, était double : déterminer s’il fallait reconstruire la Flèche, tout d’abord, proposer des idées de reconstruction de la Flèche reflétant notre époque, ensuite. On n’en parle plus, ce qui, malheureusement, ne signifie pas que ce projet soit abandonné.

 

Côté délai et quel que soit le bien-fondé de cette idée, il paraît irréaliste d’organiser un concours, de susciter des réponses, d’évaluer les propositions et de désigner une équipe lauréate en moins d’une année. Ce qui s’accommode mal du délai irréaliste de 5 ans avancé par le Président de la République. Dimanche 28 Avril, le Figaro a publié en ligne et le 29 avril dans son édition papier, une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macro par 1170 conservateurs, architectes, professeurs, … l’adjurant de ne pas céder à la précipitation et de ne pas écarter les professionnels du patrimoine de la restauration de la cathédrale. Ce qui n’est pas sans fondement.

 

Déjà une prolifération de responsables

 

En effet, dix jours à peine après l’incendie de Notre-Dame, nous assistons déjà à la prolifération d’autorités diverses chargées, à un titre ou à un autre, de la restauration de la cathédrale. Le général Jean-Louis Georgelin a été chargé par le Président de la République le 17 avril d’une « mission de représentation spéciale afin de veiller à l’avancement des procédures et des travaux qui seront engagés ».

 

Il serait logique, si le gouvernement crée un établissement public Notre-Dame de Paris, qu’il soit nommé à sa tête. Mais, né le 30 août 1948, le général Georgelin a dépassé 70 ans. Il faudrait un décret dérogeant à l’usage – 70 ans maximum. Cela s’est vu. Par exemple le décret n°2019-75 du 8 mars 2019 fixe à 72 ans la limite d’âge applicable au président de BPI France.

 

Dans le cas de Jean-Louis Georgelin, la dérogation devrait au moins atteindre 76 ans pour lui permettre d’effectuer sa mission raisonnablement. Si ce n’est pas possible, nous pourrions donc voir la cohabitation d’un représentant spécial et d’un conseil d’administration de l’établissement public.

 

Sans oublier que le Projet de Loi mentionné plus haut envisage un comité de contrôle dédié, réunissant le Premier Président de la Cour des Comptes et les présidents des commissions chargées des finances et de la culture de l’Assemblée Nationale et du Sénat – 5 personnes au total -, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de la Cour des Comptes, pour garantir le bon emploi des fonds collectés.

 

Il ne faut pas non-plus oublier la DRAC Île-de-France, Maître d’Ouvrage de la Cathédrale au nom de l’Etat, ni l’Architecte en Chef de la Cathédrale et les collaborateurs dont il s’entoure. Le Ministère de la Culture pousse aussi les compétences du Centre des Monuments Nationaux, en tant que Maître d'OUvrage, ainsi que celles de l'PPIC (Opérateur du Patrimoine et des Projets Immobiliers de la Culture). A peine nommé, Jean-Louis Georgelin est déjà général d’une armée mexicaine.

 


Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
2 Commentaires
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  • par Philippe de lNancy
  • 01/05/2019 19:59:15

Très bon article et il est évident que Notre Dame doit redevenir comme elle était . C'est la solution la plus simple et la plus rapide. Seule la flèche pourrait être transformée pour lui donner un aspect plus fin, plus haut et plus élancé .

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  • par ent urbanet
  • 30/04/2019 16:46:31

les architectes du patrimoine et les administration concernées tentent de preserver leur pré carré ! en avant toute, faut avancer !

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