Légende photo d'ouverture : Attaque forte du scolyte sur des épicéas dans la forêt domaniale de Saint-Quirin (57) ©Christian Pocachard/ONF
En cette seconde année de propagation européenne des scolytes, le volume français d’épicéas scolytés devrait s’élever, comme prévu, à la moitié du volume de récolte annuel dans cette essence clé de la construction bois, soit 3 à 4 millions de m3.
Le scolyte ? Il s’agit d’un petit coléoptère, de la famille des Curculionidae qui se nourrit du bois tendre situé sous l’écorce des arbres. Et cet insecte xylophage peut créer des dommages importants.
Sapin et épicéa confondus, la récolte annuelle totale tourne autour de 6,5 millions de m3. Tous les épicéas français ne sont pas utilisés par la construction. Le groupe toujours indifférencié des sapins et épicéas distingue 12 indices selon 3 catégories et 2 régions (Centre-Est et Nord-Est) ; catégorie 1 : classes B et C (qualité charpente grande longueur) ; catégorie 2 : classe D (qualité charpente, débit canter) ; catégorie 3 : classe D (qualité emballage/palette tous débits).
En construction bois, l’épicéa français fait face à la concurrence de sciages allemands, autrichiens, scandinaves et baltiques, appréciés par les transformateurs. Par exemple, les machines de taille à commande numérique invitent à utiliser des barres de 13 mètres de long reconstituées à partir de lamelles sèches et dont la performance mécanique est calibrée.
Difficile d’évaluer la part des épicéas français qui atteignent le monde de la construction dans cet état. Elle est sans doute en augmentation mais reste faible. Cependant, on peut aussi utiliser l’épicéa non contrecollé et parfois même peu séché pour des éléments d’ossature, des bardages, des liteaux, voliges et toutes sortes d’applications dans la construction.
Comme ailleurs en Europe, l’épicéa est la vache à lait de la construction bois. Depuis la dernière guerre, on l’a planté massivement en monoculture et comme il s’agit de cultures rentables, on n’a pas hésité à étendre ces plantations à des zones où l’épicéa n’est pas vraiment à l’aise, comme les plaines.
Ses racines peu profondes en font une victime désignée des tempêtes, mais aussi des sécheresses. L’une et l’autre calamité entraînent souvent une prolifération de scolytes, qui affectent aussi d’autres essences résineuses comme le pin maritime après la tempête de 2009.
Depuis 2018, suite à une série de tempêtes qui ont dévasté l’Europe Centrale, le scolyte sévit un peu partout et également dans l’Est de la France, en région Grand Est, en Bourgogne Franche-Comté et désormais également en AURA.
La dernière grande épidémie française a suivi la grande canicule de 2003. La première année, le bois attaqué était évalué à 1 millions de m3, la seconde année à 2, la troisième à 3. Puis le scolyte décline lentement dans la mesure où sa prolifération suscite le développement proportionnel de prédateurs.
Dépôt de grumes de résineux écorcés en forêt de Saint-Quirin© Christian Pocachard/ONF
Sur la base de cette progression arithmétique, la crise actuelle devrait également s’étager principalement sur trois ans. Avec 1,1 million de m3 attaqués recensés pour 2018, la prolifération a cependant pris une tournure plus dramatique puisque les estimations pour 2019 sont de l’ordre de 3 à 4 millions de m3 alors que les dégâts devraient se poursuivre et s’intensifier en 2020.
Heureusement que le gouvernement brésilien n’en a cure car il lui serait facile d’en tirer argument pour suggérer au Président Macron de s’occuper de ses propres forêts. Ce qui est d’autant plus vrai qu’en l’état, les épicéas attaqués risquent de finir soit dans des conteneurs à destination de la Chine ou d’autres pays d’Asie, soit en fumée.
Alors que les études menées partout en Europe attestent que l’épicéa attaqué ne perd pas ses propriétés mécaniques dès lors qu’il est transformé assez rapidement, le bois attaqué voit sa valeur chuter sur le marché à cause des traces bleues qui apparaissent sur ce bois.
Alors qu’en Allemagne, ce bois est couramment utilisé pour la construction, y compris la fabrication de bois collés, la France fait face pour l’heure à une situation catastrophique. La demande d’épicéas scolytés est faible d’autant que le marché européen est inondé. En conséquence, les prix sont bas.
Ni les propriétaires forestiers ni les premiers transformateurs n’ont un grand intérêt à sortir leurs bois attaqués, sinon sanitaire. Après six semaines, un arbre attaqué sert de point de départ à une nouvelle génération. Ne pas sortir le bois au plus vite, c’est aussi laisser dépérir des arbres qui seront ensuite attaqués par d’autres insectes et perdront pour le coup leurs propriétés mécaniques, du moins l’attestation incontestable de la préservation de ces dernières.
Les épicéas attaqués dépérissent mais leur bois ne perd pas ses propriétés mécaniques s’il est récolté rapidement. © Christian Pocachard/ONF
C’est pourquoi la filière tente de réagir par un programme d’aides visant à inciter les premiers transformateurs à sortir les bois scolytés de la forêt. Las, le Grand Est est un champ de bataille politique entre les exploitants détachés de la FNB, et rattachés au syndicat SEFB, et les autres instances de la profession qui n’accorde aucune reconnaissance à ce syndicat. En conséquence, le SEFB n’a pas signé la charte relative au plan d’action relatif aux scolytes. Ce qui ne veut pas dire que les exploitants restent les bras croisés.
Dans ce contexte, la seule lueur d’espoir pourrait venir de l’aval. La filière française de la construction bois peut agir de façon citoyenne pour prescrire et mettre en œuvre de façon prioritaire du bois scolyté. Pour cela, il faudrait une prise de conscience de l’enjeu, l’aval des maîtres d’ouvrage et une maîtrise technique des mécanismes de prescription.
Sans doute, il ne suffit pas d’envoyer les architectes au casse-pipe en leur faisant rédiger des DCE qui tourneront au vinaigre parce que le constructeur ne saura pas ensuite vers où se tourner pour s’approvisionner en sciages scolytés secs. Une démarche nationale de stockage et de valorisation est nécessaire, mais semble en l’état hors d’atteinte.
On note toutefois que l’interprofession Fibois Bourgogne Franche Comté, de concert avec la Fédération des communes forestières, a poussé la réalisation d’une construction pilote avec de l’épicéa local scolyté. Il s’agit de la recyclerie que le maître d’ouvrage Préval Haut-Doubs veut faire bâtir à Maîche.
Le projet BEPOS, porté par l’équipe de maîtrise d’œuvre locale Paillard Archi&Co et Perrin et associés (BE), devrait passer à la phase construction en octobre, sous réserve de l’obtention du permis de construire. La parcelle communale d’épicéa qui devait de toute façon faire l’objet d’une coupe rase est estimée attaquée à 60%.
L’appel d’offres a été fructueux, l’adjudicataire est l’entreprise Boillod d’Orchamps-Vennes. « Cette dernière achète le bois à la commune de Maîche qui a été associée ainsi que l'ONF, dans le cadre de la préparation du DCE », précise Gaëlle Journot, responsable du pôle mobilisation territoriale et réduction des déchets chez Préval. La procédure a déjà été expérimentée avec succès, notamment, dans le cadre de la construction en bois local de l’école de Jougne il y a trois ans. Paillard Archi&Co était maître d’oeuvre.
Mise en situation de la future recyclerie de Maîche.©Paillard Archi& Co
En fonction de la part réelle de bois scolyté, ce dernier sera utilisé pour les éléments d’ossature non visibles. Mais selon Céline Bole de Paillard Archi&Co, il est prévu de réserver au bois scolyté au moins une partie des surfaces vues, à des fins pédagogiques.
« Un peu en structure, et sans doute en parement bois intérieur, notamment dans les bureaux précisément pédagogiques. La façon de mettre ce bois en scène dépendra de son aspect et des quantités disponibles, sachant que l’on ne dispose pas de référence en la matière, à ma connaissance ».
D’autant que dans cette région à forte culture de bois tout comme ailleurs en France, le choix du bois bleu va à contre-courant des pratiques de progression vers la qualité qui sont menées depuis des années. En d’autres termes, jusqu’à présent, il s’agissait de montrer que l’épicéa du Jura valait bien les épicéas allemands et autrichiens en qualité. Tout faire pour ne pas gaspiller le stock de carbone accumulé, c’est une approche qui doit encore faire son chemin dans les mentalités.