Légende : Des traces de projection de peinture sont visibles sur le plafond en bois qui a été mal protégé © AQC
Si la construction bois demeure minoritaire en France, selon Luc Charmasson, président du Comité stratégique de filière bois, elle séduit de nombreux prescripteurs et opérateurs intéressés par le matériau. La preuve, la part de marché du logement collectif réalisé en bois est supérieure ou égale à 8 % en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Bourgogne Franche Comté, cite Luc Charmasson.
Par ailleurs, les surélévations-extensions en bois ont une croissance de + 9 % depuis 2016 (30 % de part de marché nationale). Enfin, 1 150 000 m2 de bâtiments tertiaires en bois sont livrés annuellement pour plus de 10 % de part de marché.
Ce marché est donc en croissance, mais « on ne peut pas se permettre d’improviser en construction bois si on veut de la qualité » rappelle Philippe Estingoy, directeur général de l’AQC lors de la présentation du rapport sur le retour d’expériences des immeubles en bois.
Ce rapport financé grâce au soutien du programme Pacte* est le fruit d’une collaboration entre l’Agence qualité construction (AQC), Envirobat Occitanie et Envirobat Grand Est. Les informations proviennent de retours d’expériences collectées via le Dispositif Rex Bâtiment performant, développé par l’AQC.
L’enquête menée de mai à septembre 2019 porte sur 25 opérations en cours de chantier ou livrées depuis moins de 3 ans, d’une hauteur supérieure à 8 m (plancher bas du dernier niveau) sur l’ensemble du territoire. Dans le détail, on recense 10 bâtiments en province et 15 autres en Ile-de-France.
Autre information : les bâtiments sont soit à usage de logements collectifs en 3e famille (12 opérations) ou en 4e famille (5 opérations), soit des bureaux de belle hauteur, entre 8 et 28 m (6 opérations) soit, enfin, des ERP type hôtels entre 8 et 28 m (2 opérations). Ils n’ont pas été sélectionnés au hasard puisqu’ils correspondent au cœur de cible actuel de la filière bois, notamment les immeubles dits de 3e famille (moins de 28 m de hauteur)
Durant l’enquête, les échanges se sont déroulés avec deux acteurs a minima par opération, ce qui fait un total de 80 acteurs rencontrés (architectes, bureaux d’étude, bureaux de contrôle, entreprises…). Quatre thèmes ont été mis en exergue : les compétences, les méthodes et organisation, l’innovation et la technique.
En phase chantier, une saignée a dû être réouverte pour passer des câbles de désenfumage qui avaient été oubliés ©AQC
Les saignées pour le passage des câbles électriques ont été effectuées en atelier ©AQC
Premier enseignement : les sujets ou problèmes techniques ne sont pas primordiaux compte tenu des travaux effectués par la filière. « Les problèmes techniques sont en effet en train d'être levés », indique Julien Herbert de l’AQC.
En revanche, le bât blesse en matière d’organisation et de méthodes. Il faut un réel changement de pratiques, relève l’AQC : une co-conception en phase étude qui intègre les impératifs de la préfabrication, une très bonne coordination des acteurs en amont, et sur le chantier, une gestion de projet rigoureuse. Et tout d’abord, il faut savoir s’entourer des acteurs compétents en construction bois, comme les bureaux d’étude ou les assistants à maître d’ouvrage, qui ont cette expérience.
Le rapport dresse ainsi les constats dans les 4 thématiques abordées et propose des recommandations aux professionnels susceptibles de construire en bois
Concernant le chapitre « Compétences en tant que mandataire de la maîtrise d’oeuvre », le rapport indique que les constructions bois multi-étagées présentent de très nombreuses interfaces bois-béton, du fait de leur recours fréquent à des structures mixtes (noyaux escalier/ascenseur en béton par exemple).
L’incompatibilité des tolérances d’exécution de travaux entre ces deux matériaux (on raisonne en cm en béton, et en mm pour le bois), présente un risque, vis à vis de l’attente des performances structurales, acoustiques, thermiques et de sécurité incendie.
D’où la recommandation suivante publiée dans le document : « Indiquer dans les prescriptions techniques du marché de travaux pour les différents lots les tolérances acceptables, lorsque celles-ci nécessitent d’être plus restrictives que les DTU (maçonnerie par exemple). Le marché de travaux doit également préciser les tolérances spécifiques pour les réservations dans la structure bois et l’entreprise en charge du calfeutrement ».
Des panneaux massifs lamellés-croisés ont changé de teinte, suite à leur exposition aux UV, après 2 jours de stockage sans pouvoir être installés ©AQC
Dans le chapitre méthodes et organisation, l’accent est porté sur la mise en place d’une organisation de travail adaptée : il faut donc une phase étude complète intégrant les détails de construction (assemblage, passage des fluides et des réseaux).
En effet, comme dans toute construction préfabriquée, ce type de détails doit être spécifié en amont, et mis à jour régulièrement, ce qui suppose des allers-retours entre entreprise, maîtrise d’oeuvre et contrôleur technique. D’ailleurs, « il faut anticiper les consultations des entreprises susceptibles de répondre au marché de travaux et leur laisser du temps pour répondre aux appels d’offre », recommande le rapport.
Enfin, au titre des risques principaux sur chantier (incendie, protection des bois des rayonnements UV et des chocs…), le document fait plusieurs recommandations : « privilégier les procédés sans flamme (Ndlr : éviter les chalumeaux), et anticiper toutes les sources d’incendie qui peuvent être multiples (comme le meulage, les soudures, mais aussi les autres sources de chaleur avec l’utilisation d’équipements de chauffages ou d’éclairages temporaires…). Il s’agira également de protéger les poteaux bois contre les chocs, ou d’utiliser des pare-pluie anti-UV dont la durée de vie est adaptée.
Les poteaux bois sont protégés contre les chocs© AQC
Le document insiste enfin sur la gestion des interactions avec les corps d’état du 2nd oeuvre. Il remarque que les entreprises ne savent pas toujours distinguer les parois qui doivent rester en l’état (parements extérieurs) de celles qui sont concernées par leurs travaux (aménagements intérieurs). Il peut donc en résulter des erreurs.
Il est donc recommandé de bien définir les limites de prestations pour les lots de 2nd oeuvre et d’agencement entre ce qui est en bois fini et ce qui ne l’est pas. Enfin, pour les travaux complexes, il faut prévoir les travaux de finition des éléments bois ‘égrenage, lasure), la charge par exemple, du lot peinture.
Enfin, dans la thématique « Technique », le document fait une recommandation forte en matière de caractéristiques vibratoires et acoustiques et sécurité incendie : « s’entourer d’une expertise acoustique qui utilise des logiciels adaptés à la construction, avec des essais préalables ». La recommandation est similaire pour en sécurité incendie : s’entourer d’une ingénierie du feu à jour des évolutions réglementaires, dès le démarrage des études de conception… »
Un boudin de calfeutrement contre le risque feu a été positionné à la fnciton bois-béton©AQC
En clair, résume Philippe Estingoy, avant de démarrer ce type de projet, il faut « penser bois avant le projet », disposer de compétences spécialisées à tout niveau d’intervention et connaître les enjeux des différents acteurs, afin de les respecter ».
Dernier conseil : « ne pas cacher les difficultés techniques qui existent et les traiter, en groupes de travail si nécessaire ». La thermique, l’acoustique et le confort d’été, aujourd’hui, doivent systématiquement être abordés, conclut le responsable de l’AQC.
« Il est important de ne pas penser « que bois » car la mixité bois béton est notre premier marché ; Il faut le travailler en intelligence avec nos collègues du béton et s’adjoindre également des compétences en acier » explique Luc Charmasson, président du comité stratégique de filière bois (à droite de la photo)
Voir le rapport complet Construction bois de plus de 8 m de hauteur : retour d'expériences
*Programme d’action pour la qualité de la construction et la transition énergétique
Source : batirama.com / Fabienne Leroy