Deux attitudes s’affrontent clairement à propos de la relance économique post-Covid-19 : relance grise ou relance verte ? D’un côté, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, demandait début avril, par une lettre adressée au Ministère de la transition écologique, « un moratoire sur la préparation de nouvelles dispositions énergétiques et environnementales, notamment celles élaborées en application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ».
L’Afep – Association française des entreprises privées – a plaidé dans le même sens. Bref, baisse du prix du pétrole aidant, ces organisations patronales plaidaient pour une « relance grise » : polluante, mais jugée plus rapide.
Un peu énervée, il faut bien l’avouer, Elisabeth Borne, Ministre de la transition écologique, avait répondu qu’un tel moratoire n’était pas envisageable en ce qui concerne les délais d’application des dispositions contenues dans les lois mobilités, anti-gaspillage et énergie-climat.
Dans une tribune publiée par le site du journal Le Monde le 3 mai à 18 h , organisée par Jean-Laurent Bonaffé, président d’EPE – Entreprise Pour l’Environnement – et directeur général de BNP Paribas, 90 dirigeants de grandes entreprises françaises déclaraient : « Une large part des moyens financiers qui seront prochainement mobilisés pour la relance économique aurait tout intérêt à l’être dans les directions qui avaient été précédemment identifiées pour accompagner la transition écologique, avec un souci encore plus affirmé de justice sociale ».
Parmi les signataires figurent notamment Bernard Arnault (LVMH), Thierry Boisnom (Nokia-France), Anne-Marie Coudrec (Groupe Air France-KLM), Thierry de La Tour d’Artaise (groupe SEB), Jean-Pierre Farandou (SNCF), Antoine Frérot (Véolia), Benoît Rabilloud (Bayer-France) et, surprise, surprise, Geoffroy Roux de Bézieux en tant que président du Medef.
Les signataires mettent en avant trois grands domaines. Le premier, désigné comme une priorité, comporte plusieurs chapitres : "la rénovation énergétique des logements et bâtiments, tertiaires publics et privés", "le développement des mobilités décarbonées, des véhicules électriques, des infrastructures de mobilités douces et des transports en commun", "l’expansion et le stockage des énergies renouvelables et décarbonées, électriques ou chaleur".
Viennent ensuite « rendre les outils industriels en Europe plus résilients … et réduire leur empreinte carbone », et enfin « démultiplier les efforts de recherche, d’innovation, de démonstrateurs industriels et d’industrialisation de solutions d’avenir », dont l’hydrogène, un de nos sujets favoris.
Bref tout le monde est d’accord : cap au vert ! Oui, mais font remarquer plusieurs associations, dont Greenpeace France et Oxfam France, cette tribune ne contient pas d’engagement et demeure très générale. Bref, le greenwashing n’est pas loin. ©Greenpeace France
Pour donner du corps à cette idée de relance verte, l'examen de la proposition d’ENERPLAN, le syndicat des professionnels du solaire, semble pertinent. Cette proposition a été publiée le 11 mai et vise la relance par les énergies renouvelables (ENR), en particulier le solaire photovoltaïque.
Elle contient de nombreux acronymes et fait largement appel au vocabulaire hermétique de la réglementation et de l’administration française. Voici la meilleure traduction possible.
Enerplan formule trois priorités pour « pour contribuer pleinement à la relance en sortie de crise, et pour que cette impulsion forte ne se réduise pas à un simple rattrapage mais conduise la France à s’installer durablement sur un rythme annuel de raccordements de 3 GW chaque année, trajectoire indispensable pour atteindre les objectifs de la PPE » :
1 – Premièrement, dit Enerplan, il faut augmenter à 1 MW le plafond du « guichet tarifaire », actuellement limité à 100 kW, pour tous types d’installations photovoltaïque : sur toiture, sur ombrières, certains types de centrales au sol, notamment en zone constructible. Pour l’instant, il n’existe pas d’obligation d’achat de l’électricité, que ce soit en vente en totalité ou en vente du surplus après autoconsommation d’une partie de la production, produit par des centrales au sol quelle que soit leur puissance, ni par des centrales non-au sol de 100 kW ou plus.
De plus, pour gagner du temps, Enerplan demande un allègement des règles d’urbanisme : toute centrale solaire ≤ 1 MW ne devrait plus être soumise à un permis de construire en préfecture, mais à une simple déclaration préalable de travaux ou à un simple permis de construire en Mairie, sans enquête publique, ni étude d’impact. Enerplan attend de ces deux séries de mesures, une véritable explosion du segment des petites centrales photovoltaïques.
Les petites centrales photovoltaïques, au sol et sur toiture, pourraient se développer rapidement selon Enerplan, si le gouvernement levait les obstacles administratifs que leurs promoteurs doivent affronter. ©Alwitra
2 – A propos des appels d’offres organisés par la CRE (Commission de Régulation de l’Energie), Enerplan souhaite les débrider en élargissant les critères d’éligibilité des terrains, notamment aux zones non-constructibles des cartes communales et aux terrains non-agricoles des communes en RNU (communes soumises au Règlement National d’Urbanisme parce qu’elles n’ont ni carte communale, ni plan local d’urbanisme en vigueur).
Il souhaite augmenter les volumes d’appels d’offres de la CRE en zones non-interconnectées au réseau électrique métropolitain (principalement les îles) et en développant une vraie voie à l’agrivoltaïsme. L’agrivoltaïsme est l’association de l’agriculture et du photovoltaïque, soit sur des serres, soit en plein champ.
Les règles régissant l’installations de centrales solaires au sol constituent un touffu maquis. Enerplan propose de les simplifier radicalement. ©PP
3 – La troisième priorité d’Enerplan porte sur l’accélération du développement des projets en refondant les règles d’urbanisme pour réduire à 10 mois le délai d’instruction des permis de construire et en simplifiant considérablement les règles portant sur l’autoconsommation (dispense ou allègement de formalités d’urbanisme, simplification des démarches de raccordement au réseau, garantie d’accès à l’assurance).
Enerplan appelle aussi à faciliter l’autoconsommation collective, notamment en exonérant les kWh autoconsommés en mode collectif de la TICFE (Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Electrité) qui a absorbé la CSPE depuis le 1er janvier 1976. Pour l’année 2020, la TICFE est fixée à 2,25 c€/kWh. Ce montant est inchangé depuis le 1er janvier 2016.
Au passage, Enerplan se félicite de la récente évolution réglementaire permettant « l’application de la quote-part S3REnR aux projets de plus de 250 kW » qui devrait accélérer le développement des projets de moyenne capacité. Un S3REnR ou Schéma Régional de Raccordement au Réseau des Énergies Renouvelables identifie les investissements à réaliser sur le réseau électrique pour accompagner le développement des énergies renouvelables dans les territoires, en cohérence avec les objectifs régionaux de transition énergétique.
Publié en mars 2020, le S3REnR de Nouvelle-Aquitaine, par exemple, prévoit une capacité globale de raccordement de 13,6 GW. Un S3REnR est un document très détaillé qui prévoit pour chaque poste de transformation géré par RTE, la capacité d’accueil d’électricité d’origine photovoltaïque ou éolienne et la répartition, entre RTE et les producteurs d’électricité d’origine ENR, des frais qu’occasionne cet accueil.
La quote-part S3REnR est égale à la puissance de raccordement de l'installation de production multipliée par le quotient du coût des investissements des ouvrages à créer prévus dans le S3REnR et divisée par la capacité globale d'accueil du S3REnR. Auparavant, toutes les installations de production à partir de 100 kW de puissance devaient payer ladite quote-part. Depuis un décret du 31 mars 2020, ce seuil est passé à 250 kW. Ce qui réduit les coûts pour les installations de puissance moyenne, comprise entre 100 et 199 kW.
Enerplan souligne d’ailleurs que les coûts de tous les composants d’une centrale solaire photovoltaïque, notamment ceux des panneaux et des onduleurs, baissent régulièrement. Tandis que le coût des raccordements de ces centrales au réseau ne cesse de croître. Les évolutions des coûts de raccordement prévus dans les S3REnR en révision dans la plupart des régions laissent augurer de leur forte augmentation avec des multiplications par 2 ou 3. Le coût de raccordement pourrait alors représenter jusqu’à 10% du coût d’une centrale au sol.
Dans la filière photovoltaïque, panneaux et onduleurs sont des composants majeurs. Mais il existe de nombreux autres composants, comme les trackeurs à un ou deux axes, qui offrent des opportunités de développement. ©PP
Enerplan appelle en même temps à une relance de la production industrielle française le long de la chaîne photovoltaïque. Ils sont bien conscients que les industriels chinois ont pris une avance considérable en termes de volumes de production de modules, mais aussi d’innovation technologique et qu’il sera difficile de les rattraper.
Aussi Enerplan appelle plutôt au développement d’une usine de wafers en France. Pour fabriquer des cellules photovoltaïques en silicium cristallin, on commence par fondre du silicium très pur dans des moules dont on extrait des lingots. Ces lingots sont découpés en parallélépipèdes de section 15 x 15 cm environ. Ils sont à leur tours découpés en très fines tranches – les wafers – qui servent de matière première à la fabrication des cellules photovoltaïques en silicium cristallin.
Pour y parvenir, Enerplan préconise de s’appuyer sur les financements prévus dans le cadre du GreenDeal européen.
Enfin, Enerplan propose de favoriser le développement des centrales solaires sur les bâtiments grâce à deux mesures. La première consiste à étendre à tous les bâtiments tertiaires l’obligation de solarisation, actuellement limitée aux bâtiments industriels et logistiques.
Rappelons en effet que la loi sur la Biodiversité d’Août 2016 prévoit dans son article 86, que tout bâtiment de vente au détail de plus de 1000 m² doit, à partir des permis de construire déposés le 1er mars 2017, prévoir une source de production d’ENR sur tout ou partie de sa toiture. De même, la loi Energie-Climat de septembre 2019, dans son article 47, prévoit la même obligation pour toutes les nouvelles constructions de locaux à usage industriel ou artisanal, d’entrepôts ou de parking de plus de 1000 m².
Enerplan aimerait aussi que la future RE2020 contienne une exigence élevée de consommation d’ENR, bien davantage en tout cas que les 20 à 30% que demande aujourd’hui la RT2012. Enerplan demande également que la RE2020 valorise de manière identique l’électricité autoconsommée et l’électricité exportée vers le réseau. Pour l’instant, le projet de méthode de calcul RE2020 applique un coefficient de conversion en énergie primaire de 2,3 à l’électricité autoconsommée ou acheté au réseau, tandis que l’électricité exportée n’est pas comptée.
Si la RE2020 n’exige plus le Bepos en construction neuve, dit Enerplan, qu’elle demande au moins que les bâtiments neufs soient « Prêts pour le Bepos », notamment en termes de résistance mécanique de leurs structures.
Soprasolar, la filiale d’installation photovoltaïque de Soprema, estime que 90% des toitures terrasse ou à faible pente existantes ne peuvent recevoir d’installation photovoltaïque classique – panneaux rigides + système de fixation – parce que leur résistance mécanique est insuffisante ou bien que leur complexe étanchéité + isolation thermique présente une durée de vie trop courte (10 à 15 ans), incompatible avec celle d’une installation photovoltaïque (20 à 25 ans).
Au lieu de ralentir le développement du BIPV – Building Integrated Photovoltaïc – en construction neuve, Enerplan propose plusieurs mesures pour accélérer son développement. ©Heliasol