Légende photo : L’évolution du chantier HAUT à la mi-août © Topview Luchtfotografie
Les Pays-Bas ont été pendant des siècles des experts de la construction bois. Acheminé par flottage sur le Rhin, les grumes de sapin de la Forêt Noire ont constitué les fondations d’Amsterdam. Les feuillus du nord, transformés par l’architecture navale, ont permis aux Hollandais de dominer les mers du monde pendant un bon siècle.
En dérivation directe, les Néerlandais ont développé une expertise en matière de construction de moulins, notamment en bois. Cependant, comme presque partout ailleurs, la construction bois a presque disparu aux Pays-Bas au 20e siècle.
Quand on cherche des constructions en bois néerlandaises, on tombe le plus souvent sur des constructeurs belges et souvent wallons. La volonté de construire en bois est là, d’autant que ce pays est en pointe en matière d’économie circulaire de la construction. Avec le choc climatique, les Néerlandais ont littéralement l’eau qui leur monte jusqu’au cou.
Au point que des citoyens sont parvenus à faire condamner l’Etat pour inaction. Dans ce contexte, le projet de construire à Amsterdam une tour largement en bois est un signal. Il a été précédé par la réalisation d’un R+6 de 30 mètres de haut, Patch 22, dans le nord d’Amsterdam, livré en 2016 par l’architecte Tom Frantzen, et qui doit être flanqué d’une tour hybride jumelle.
Fin août 2020 : la part du bois sur le chantier est peu visible. ©Jacob van Ooyen
2016, c’est l’année du concours remporté par Team V Architektuur à l’initiative de Nicole Maarsen et du promoteur Lingotto. Patch 22 agit comme une accréditation. L’agence d’Amsterdam s’adjoint les services d’Arup, le prestigieux bureau d’étude qui s’intéresse fortement à la construction bois en hauteur et cherchait un moyen de mettre un pied dans ce marché.
Comme souvent dans ce domaine, les délais initiaux ne sont pas respectés et la construction proprement dite de la tour Haut démarre finalement en 2018 au moment où la tour aurait dû être livrée.
On l’a vu pour la tour Hypérion de Bordeaux, sans doute le projet le plus proche du projet néerlandais : les études prennent beaucoup plus de temps que prévu, d’autant que ces ouvrages sont pionniers. Dans le cas de Haut s’ajoutent des complications compréhensibles mais chronophages lors du chantier de l’infrastructure : la livraison de Haut n’aura pas lieu avant 2021.
L’angle aigu, parfois ouvert en balcon-terrasse, est en CLT sur poteau-poutre en BLC et béton, avec façade vitrée. Le morceau de bravoure et la marque distinctive chic de Haut. ©Jannes Linders
Arup, ce sont les rois des tours en acier et on voit bien que l’option « française » d’une tour en bois à noyau en béton ne s’est pas imposée naturellement de prime abord. L’acier reste extrêmement présent.
C’est comme si, sur le principe, Haut était une tour à noyau béton assez conséquent avec une trame de poteaux et poutres en acier et un « remplissage » des parois et des planchers en bois, et plus précisément en CLT.
Quand on parle de murs, il s’agit surtout de deux voiles disposés de part et d’autre du noyau, car la façade est largement vitrée. Quant aux planchers, il s’agit de panneaux CLT de 16 cm auxquels le site de transformation allemand a ajouté une dalle solidarisée en béton de 8 cm, avec, un peu dans l’esprit de la tour HoHo, des excroissances de fers à béton pour solidariser les panneaux posés au moment du remplissage des joints.
Brüninghoff a même équipé les éléments de réservations étanches pour les connections électriques, associées à un usinage précis des panneaux en fonction des choix d’éclairage. Du jamais vu, surtout pas à cette hauteur où la grue devra soulever à plat des éléments composites qui peuvent peser jusqu’à 6 tonnes.
A la jonction des deux voiles en CLT et des planchers composites, il n’y a pas de bois, mais des languettes en béton préfa qui reprennent les efforts exceptionnels. Les planchers qui sont posés disposent déjà d’un revêtement en béton, l’enjeu étant de jointoyer le plus rapidement possible avec du mortier afin d’éviter des coulures causées par la pluie, et d’éviter que le mortier ne produise également des coulures.
On comprend pourquoi, si le chantier de construction bois proprement dit a officiellement commencé le 18 mai dernier, et qu’il était prévu de progresser d’un niveau par semaine, on n'en soit encore qu’au sixième niveau. Sachant que les deux premiers niveaux sont en béton et que la part du béton reste plus importante dans les niveaux inférieurs.
Quant au noyau, sa construction ne précède les planchers que de trois ou quatre étages, à la différence de l’Hypérion où Jean-Paul Viguier a opté pour l’achèvement du noyau avant le déclenchement d’une opération express de déploiement de la construction mixte.
Acheminement des éléments de plancher préfabriqués par la grue qui sert aussi pour l’érection du noyau. La sous-face est en CLT, la sur-face est déjà constituée d’une chape de 8 cm en béton. ©Jannes Linders
Pourquoi si peu de bois en définitive ? Le Patch 22 et surtout l’immeuble Mjøstårnet (18 étages, 85,4 mètres), achevé en 2019, montrent qu’il est possible de bâtir très haut en structure bois, même si, ironie du sort, les planchers élevés ont dû y être lestés d’éléments en béton pour des questions de vibration.
La tour Haut relève de nombreux défis, à commencer par le sous-sol en bordure de l’Amstel qui requiert un réseau de pilotis de 104 tubes en acier Tubex remplis de béton et un immense mur faisant office de diaphragme.
S’ajoute au-dessus un socle de deux niveaux souterrains en béton plus deux niveaux apparents dans le même matériau, si l’on excepte un angle débordant où le bois structurel pointe déjà son nez. L’acier habillé de bois semble une option raisonnable pour limiter l’épaisseur des poteaux et des poutres, à la différence avec la tour norvégienne.
Le projet Haut ne se simplifie pas la tâche avec sa forme effilée et ces angles qui exigent presque obligatoirement une solide trame en acier, comme on l’a déjà vu pour l’immeuble Enjoy à Paris. Le calcul de la prise au vent est complexe pour ces immeubles en somme assez fins, et le vent souffle fort à Amsterdam à 70 mètres de haut.
La rigidité du noyau en béton couplé avec la trame structurelle en acier devrait régler le problème initialement rencontré pour le Treed de Bergen, quand l’immeuble risquait d’entrer en vibration à cause du vent.
Jonction entre l’un des deux pignons en bois et les planchers. Le noyau du nœud, à protéger de phénomènes de compression, reste invisible. © Jannes Linders
Doublée par la tour norvégienne, l’immeuble HoHo de Vienne, particulièrement hybride, devrait entrer en service à la fin de l’année du haut de ses 84 mètres. Une fois achevé, la tour Haut restera au moins un certain temps la plus haute tour hybride avec -un volet structurel en bois- des Pays-Bas, sans défrayer la chronique internationale dans le cadre de cette compétition de hauteur un peu infantile.
Haut, c’est tout de même deux fois plus haut que Sensations, le record strasbourgeois actuel et référence internationale de R+11 en structure bois. Le chantier n’est pas achevé, il reste 15 étages à monter et on arrive à l’automne, tandis que le Covid complique toujours tout.
Quand le vent souffle force 4 en bas, cela correspond à force 9 en haut. Autant dire que les plages d’utilisation de la grue sont aléatoires. Le challenge reste entier, y compris pour Arup qui signe son entrée sur ce segment avec distinction.
D’ores et déjà, Haut se distingue sur plusieurs plans. D’abord l’élégance de ces appartements de standing à sous-face en bois visibles, ce qui est une sorte de manifeste du CLT face à l’orientation française actuelle de recouvrement systématique au plâtre.
Les architectes ont dessiné sur un plan masse triangulaire une tour en polygone échancré qui séduit à la fois par sa forme extérieure et par la diversité des configurations d’appartement qu’elle propose, avec de nombreux balcons mais aussi des terrasses. On croise les doigts pour que tout se passe comme prévu et ensuite, que Haut se présente de fait comme la tour de haute couture dont on a dérivé le terme.
Sur le plan technique, la préfabrication poussée des éléments de plancher en CLT est une performance absolue qui va bénéficier au préfabricateur et constructeur bois allemand Brüninghoff, sinon au contractant général JP van Eesteren.
Enfin, il s’agit ici d’un cas d’espèce qui exemplifie une construction mixte béton-acier-bois. Possible que le développement du savoir-faire en la matière va briser le monopole du béton ou de l’acier dans la construction de tours, au profit de cette mixité un peu plus durable.
Possible aussi que la formule se prête à des constructions encore plus hautes, dont les vertus émissives globales resteraient évidemment à démontrer dans un contexte de fonte irrémédiable des glaciers du Groenland entraînant une montée inexorable des eaux et faisant planer un doute sérieux sur le futur de la ville d’Amsterdam, entre autres.