Le syndicat français de l’industrie cimentière (Sfic) poursuit ses efforts ambitieux pour atteindre la neutralité carbone de la construction béton, d’ici à 2050. Un exercice que la filière a entrepris il y a quelques années : le Sfic avait d’ailleurs présenté un plan Très bas carbone en 2018, en phase avec la Stratégie nationale bas carbone, publiée en novembre 2015.
Le syndicat réaffirme et affine ainsi ses objectifs avec un premier palier qui vise à réduire de 24 % les émissions carbone d’ici à 2030. Le second palier en 2050, parie sur une réduction de plus de 80 % du poids de C02/tonne de ciment. « L’industrie du ciment a déjà baissé ses émissions de carbone de 40 % depuis les années 1990 » précise François Pétry, le président du Sfic.
De toute évidence, l’industrie du ciment pèse « lourd » en termes de carbone puisqu’elle représente 13 % des émissions de C02 de l’industrie française, ce qui correspond à 2% des émissions totales de la France, selon le Sfic.
Concrètement, la filière cimentière émet 10,7 millions de tonnes de CO2 en France sur les 80 millions de tonnes émises par l’industrie française (et 457 millions de tonnes de CO2 pour le pays). Elle prévoit de ramener ses émissions à 2 millions de tonnes d’ici 2050.
Les émissions de CO2 liées au ciment proviennent de deux sources :
François Pétry, président du Syndicat français de l'industrie cimentière et directeur-général de Lafarge Holcim, premier groupe cimentier en France.
Trois principaux leviers sont mis en oeuvre par la filière ciment pour réussir sa trajectoire de décarbonation. En premier lieu, la réduction de la consommation énergétique de l’industrie cimentière grâce à la modification des process et le remplacement d’équipements plus efficients. Quelque 3 % de réduction de CO2 sont ainsi visés d’ici à 2030, indique le Sfic
En second lieu, l’utilisation de combustibles alternatifs pour remplacer les combustibles fossiles, déjà employés par l’industrie cimentière. Elle utilise ainsi des huiles usées, plastiques ou déchets de bois non recyclables, des boues de station d’épuration, des pneus usés, ou la biomasse…
Son objectif : passer de 41 % de taux de substitution des énergies fossiles en 2019 à 80 % en 2030. Pour un résultat de réduction de 10 % des émissions de CO2. « C’est bon pour nos territoires car les cimenteries locales récupèrent les déchets existants sur place et deviennent ainsi les maillons de l’économie circulaire » plaide François Pétry.
En troisième lieu, la réduction du clinker, principal constituant hydraulique du ciment, issu d’un mélange de calcaire (80 %) et d’argile (20%), soumis à une cuisson à haute température. Pour réduire les temps de cuisson, les industriels expérimentent ainsi d’autres composés cimentaires, le laitier des hauts fourneaux (critiqué car carboné de par le mode de combustion), les cendres volantes, les argiles calcinées… Ils visent une réduction de 11% des émissions de CO2 d’ici à 2050 avec ce 3e levier.
« La phase suivante consiste à utiliser des technologies de rupture pour capter et stocker le CO2 » ajoutent les représentants du Sfic. Il s’agit notamment de capturer le CO2 des fumées des cimenteries (expérimenté pour les industries polluantes issues de la pétrochimie) dans l’objectif de le purifier, le stocker et le réutiliser.
Des projets sont en phase d’expérimentation notamment en Norvège avec une grande installation de séparation de CO2 transportées vers un site de stockage souterrain dans la mer du Nord dès 2025 (Northern lights). Par ailleurs, un autre projet doit aboutir en France en 2027 avec le projet Hynovi, indique le Sfic.
Ces différents leviers permettront ainsi de ramener les émissions de carbone de l’industrie cimentière à 2 millions de tonnes, pour le Sfic qui estime qu’il s’agit d’une feuille de route ambitieuse mais réaliste puisque les technologies existent ou sont en cours de développement.
Cette politique nécessite bien sûr des investissements conséquents à moyen et à long terme. Attention cependant, prévient le Sfic, elle suppose un certain nombre de conditions, parmi lesquelles une stabilité réglementaire pour convaincre les entreprises d’investir dans la durée mais aussi la poursuite de la politique publique de soutien à la décarbonation dans le cadre du Plan de relance du gouvernement..
« Il faudra également équilibrer les règles du jeu entre les entreprises extra et intra européennes, avec des mécanismes d’équilibrage du carbone à nos frontières » conclut François Pétry.
Quant à la construction béton traditionnelle, indissociable du ciment, elle doit elle aussi réduire l’empreinte carbone du m2 de béton construit. Objectif : réduire de 30 % le poids de carbone des ouvrages béton d’ici à 2030. Pour la profession, cette ambition de toute la filière concerne l’ensemble du cycle de vie de l’ouvrage, de sa conception à sa fin de vie.
En clair, il s’agit de comptabiliser tous les impacts en commençant par la matière première, le transport qui doit être « vert » (fluvial par exemple), la mise en oeuvre sur chantier (en privilégiant les coffrages à longue durée de vie) et la vie en oeuvre. Enfin, dernière étape : la déconstruction et la réutilisation des gravats (en remblais mais aussi réintroduits dans les cycles de fabrication du béton, selon certaines conditions) doivent être également prises en compte.
La filière évoque d’ailleurs le procédé naturel de carbonatation des surfaces exposées du béton, un phénomène très lent que l’on retrouve dans les Analyses de cycle de vie du béton (non prises en compte par la prochaine RE2020).
La filière s’appuie sur plusieurs leviers ainsi que la propriété de stockage du carbone de béton pour viser la neutralité carbone des ouvrages d’ici à 2050. Parmi ces leviers, elle évoque l’optimisation de la formulation du béton et de la mise en oeuvre du béton armé.
De meilleurs dosages des ingrédients (sables, eau, gravier, ciment, adjuvants) peuvent assurer une performance équivalente voire meilleure et une poids carbone moindre, selon la profession. « On peut jouer sur le type de granulats ou le choix des adjuvants. Ce qui nécessite de faire évoluer les normes, notamment concernant les dosages en ciment », souligne le Sfic.
La filière relève qu’il est également possible de travailler sur les armatures en acier (20 % de l’empreinte carbone) pour faire baisser leur empreinte (optimisation du couple, nouvelle géométrie des armatures, utilisation de fibres à la place de l’acier…).
Enfin, elle préconise de mieux utiliser le béton d’une manière générale et privilégier la sobriété de la matière. Il faut donc préférer la réhabilitation à la démolition de l’existant, travailler sur des surélévations et/ou installer des toitures végétalisées sur les structures béton.
De même, le syndicat préconise d’optimiser les éléments de structures d’un bâtiment : la diminution d’un centimètre de l’épaisseur des voiles béton (17 cm plutôt que 18 cm par exemple) permet de réduire de 6 % leur empreinte carbone, fait valoir le Sfic. Dans la même idée, on peut diminuer la section des poteaux au fil des étages et ainsi réduire leur empreinte carbone.
« L’optimisation du béton passe également par la mise en oeuvre de techniques maîtrisées mais peu utilisées en France, comme le béton précontraint par post-tension, un autre levier de décarbonation » ajoute le Sfic qui évoque parmi les innovations, le recours au BFUP, béton fibré à ultra haute performance ou le développement de l’impression 3D (délais raccourcis, moins de matière utilisée).
Ces développements en cours et ces objectifs doivent toutefois être accompagnés d’une évolution des normes et des calculs avec les acteurs de la construction afin de favoriser le juste dimensionnement des ouvrages, conclut la filière.
« Béton et bois : des sujets qui restent à régler »
La Stratégie nationale bas carbone comporte « des points faibles et flous », souligne le Sfic qui cite trois études (Inra, Ademe et Fern). Ces études concluent qu’il faut limiter les prélèvements de bois pour maintenir les puits de carbone que constituent les forêts. Or une exploitation accrue de la forêt et un transfert du stockage vers les produits bois, va entraîner une augmentation des émissions de carbone à court terme, remarque la filière ciment et béton.
Conclusion de la filière minérale, adepte d'une neutralité technologique en matière constructive : « L’objectif de décarbonation ne pourra donc pas être atteint avec les seuls produits bois (qui bénéficient d’une empreinte carbone négative). Il importe que les autres matériaux et équipements du bâtiment s’engagent à diminuer leur empreinte carbone. Une ambition environnementale nationale doit mobiliser les atouts et les expertises de l’ensemble des matériaux et des filières ». |
Le ciment en quelques chiffres
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Photo©F. Leroy
Source : batirama.com/ Fabienne Leroy