Après le rebond "postpandémie" de l'activité des matériaux en 2021, une quasi-stabilisation des volumes de production était attendue en 2022, selon l'Unicem, l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction, qui publie ce 19 avril sa Lettre mensuelle de conjoncture des matériaux de construction. Le conflit en Ukraine et ses conséquences sur les coûts énergétiques et l'inflation mais aussi sur la confiance des agents économiques, ne vient que renforcer cette tendance.
Bien que l'activité se soit bien tenue pour les granulats et le béton prêt à l'emploi (BPE) en janvier-février, l'impact de la situation actuelle ne sera visible que dans les mois à venir. Pour l'heure, les carnets restent bien garnis sur le marché du logement et des travaux publics. "Mais la hausse sensible des coûts et des devis risque de peser négativement sur les arbitrages volume/valeur rendus par la clientèle privée et publique, même s'il est encore difficile à ce jour d'en doser l'ampleur", indique la Lettre de l'Unicem.
Le mois de février a été dynamique : ainsi la production de granulat a progressé de 1,6% sur le mois de février (+7,2% si on le compare aux résultats de février 2021). Lorsqu'on additionne les résultats des deux premiers mois de l'année, la production est en hausse de 3,5% sur un an et affiche + 10,5% sur les douze derniers mois glissants.
En ce qui concerne le BPE, si la production a baissé de 1,2% en février par rapport à janvier, elle reste 6,9% au-dessus de celles de février 2021. L'activité BPE gagne 4,1% pour janvier-février par rapport à 2021, et le cumul sur douze mois laisse la tendance à 11,3% d'augmentation.
A noter, la production de BPE en 2021 a atteints des volumes comparables à ceux de 2019 selon le syndicat national du béton prêt à l'emploi (voir encadré ci-dessous).
La dernière enquête menée en mars par l’Insee auprès des professionnels du bâtiment confirme que le climat des affaires se maintient à haut niveau, ces derniers se montrant plus positifs sur leur activité passée que le mois précédent, mais un peu plus réservés sur l’activité des trois prochains mois.
En effet, si les carnets de commandes affichent encore des niveaux élevés (9,7 mois dans le gros œuvre, soit quasiment 3,5 mois de plus qu’en moyenne sur longue période), l’incertitude économique ressentie par les professionnels a beaucoup augmenté en mars et le jugement qu’ils portent sur leurs carnets est devenu un peu moins favorable.
En mars, les tensions sur l’appareil productif continuent de s’intensifier (approvisionnement, personnel) et les capacités de production sont quasiment utilisées à leur maximum dans le gros œuvre (93,3% contre 88% sur longue période). Dans ce contexte de demande soutenue, d’offre contrainte et de hausse des coûts de production, les chefs d’entreprise du bâtiment sont de plus en plus nombreux à annoncer qu’ils augmenteront leurs prix au cours des prochains mois.
Côté construction, les dernières données du ministère suggèrent que le secteur du non résidentiel reste à la peine avec des surfaces commencées et autorisées qui cèdent encore -3,8% et -11,9% respectivement sur les trois derniers mois à fin février, comparé à 2019. Côté logements, les mises en chantier se replient de -3,9% sur la même période. En revanche, les dépôts de permis affichent une forte hausse (+6,8%) grâce à la vigueur de l’individuel (+29,8%) liée à l’effet d’anticipation de la mise en place de la RE2020 en janvier 2022. Cet afflux des autorisations fin 2021 sera hélas suivi d’un ajustement baissier sur 2022, sans doute renforcé par des prix immobiliers toujours en hausse et par la montée des incertitudes économiques. Les chiffres du marché de la maison individuelle publiés par Markemétron le confirment avec une chute des ventes des constructeurs de 25% sur un an en janvier-février.
D’ailleurs, l’enquête Insee menée en mars traduit un plongeon de leur indicateur de confiance : l’inquiétude quant à leur situation personnelle future et leur capacité à épargner grandit, de même que leur crainte d’un rebond du chômage. C’est la traduction directe des conséquences de la guerre en Ukraine, avec un pouvoir d’achat rogné par la forte hausse des prix de l’énergie et de l’inflation en général ; ce cocktail peu propice aux projets d’investissements immobiliers pèsera sur la dynamique constructive de 2023. En attendant, les projets en cours devraient continuer d’alimenter l’activité en 2022 dans un contexte productif contraint et tendu par les coûts.
Si le mois de janvier a connu un rebond de l’activité, février a plutôt marqué le pas avec un recul du volume des travaux réalisés de 3,1% sur un an. En cumul depuis janvier, l’activité demeure légèrement haussière (+0,6% sur un an) si l’on raisonne à prix constants ; en valeur, en revanche, l’activité gagne 8,3% sur la même période, ce qui traduit l’ampleur de l’impact des hausses de coûts sur les travaux réalisés, de l’ordre de + 7,7 points.
Dans le même temps, les prises de commandes tardent encore à se raffermir, notamment du côté de la clientèle publique. Pourtant, les conditions d’un réveil des investissements des collectivités locales sont réunies : trésoreries saines, crédits du Plan de Relance en attente de déploiement, échéances électorales passées, besoins en infrastructures… Mais reste l’inconnu du partage volume/prix qui sera finalement arbitré par les clients du BTP face à des budgets de travaux dont les coûts ont bondi. En vertu de la théorie de l’imprévision, le gouvernement vient de se positionner en faveur d’une renégociation des prix des marchés publics, voire privés, déjà contractualisés. Si c’est une bonne nouvelle pour les entreprises qui ne supporteront pas seules les surcoûts, l’effet d’une révision à la baisse des volumes de travaux finalement réalisés semble inévitable.
Dans ce contexte, la demande de BPE pourrait au mieux rester stable en 2022. En effet, les chantiers commencés et permis accordés en 2021 devraient se finaliser et se concrétiser en 2022, avec retards et surcoûts potentiels, les autorisations dans le segment de l’individuel étant traditionnellement peu sujettes à annulation. Côté granulats, l’ajustement de la demande de travaux face aux devis plus chers reste à ce jour incertain dans son ampleur ; la hausse de 1 % en volume initialement prévue apparaît en tout cas déjà compromise.
Zoom sur les volumes de production en régions pour le quatrième trimestre 2021: