Peut-on vraiment réduire de 60 % la quantité de béton grâce aux structures polyhédrales ?

Vérification de la résistance l’ouvrage au CERIB, le laboratoire spécialisé dans le béton

Voici l’histoire d’une collaboration multidisciplinaire entre chercheurs, laboratoires et industriels pour réduire l’empreinte environnementale du béton en agissant sur la conception des ouvrages.




Tout a commencé en 2012 au Polyhedral Structures Laboratory de l'Université de Pennsylvanie, dirigé par le docteur Massoud Akbarzadeh. Son équipe et lui se sont demandés comment réduire l’impact du béton dans l’empreinte environnementale des bâtiments, sachant que le béton demeure indispensable pour quantité d’ouvrages. Leur réponse tient en deux mots : structures polyhédrales ou polyédriques, dont la conception n’est cependant pas si simple. Ils ont en effet mis en œuvre une nouvelle approche, la statique graphique 3D, une méthode d’analyse et de conception structurelle qui représente l’équilibre des forces à l’aide d’outils géométriques et permet d’analyser et de concevoir des structures spatiales plus complexes. Cette approche conduit à l’optimisation des formes structurelles et fournit aux architectes et aux ingénieurs un outil puissant pour une conception innovante. La statique graphique 3D aboutit à une très sensible réduction de la quantité de béton utilisée dans un ouvrage, grâce à des vides créés aux endroits où il n’y a pas d’interaction de forces dans l’ouvrage.

 

 

 

Le projet Diamanti

Comme l’explique le docteur Akbarzadeh : "L’expertise de mon équipe est d’optimiser les formes géométriques pour transférer les charges dans la structure. Il y a des applications dans les domaines de l’architecture, la science des matériaux, le génie mécanique et le calcul des structures. J’ai pu la faire passer en trois dimensions. Cela a ouvert un nouvel horizon pour la conception structurelle et ses applications dans l’architecture". Du coup, le travail du docteur Massoud Akbarzadeh a été remarqué et il a été invité par les organisateurs de la Biennale du Centre Culturel Européen à Venise, l’un des rendez-vous les plus importants du monde en la matière, qui se tiendra du 10 mai au 23 novembre 2025.

Oui, mais que présenter ? Le plus frappant consisterait à présenter à l’échelle 1 un ouvrage conçu selon cette méthodologie. Ce sera le projet Diamanti, une passerelle conçue en dix éléments en béton imprimés en 3D et assemblés par collage et postcontrainte.

 

Voici les principales étapes du calcul et de la conception des 10 cellules de Diamanti et de leur assemblage par post-contrainte, réalisées par l’équipe du Polyhedral Structures Laboratory de l'Université de Pennsylvanie. © Polyhedral Structures Lab, Université de Pennsylvanie

 

 

L’analyse structurelle et la calibration de la matière ont été réalisées par le Advanced Building Construction Lab, City College of New York. © City College of New York

 

 

Une fois la décision prise de réaliser un ouvrage à l’échelle 1, le docteur Akbarzadeh s’est entouré de partenaires industriels et de laboratoires capables de mener à bien des essais en grandeur réelle : SIKA, Carsey 3D, Ævia et le Cerib (Centre d'Études et de Recherches de l'Industrie du Béton).

 

Tous les partenaires se sont réunis pour démontrer l'importance de l'innovation et de la collaboration pour tester et évaluer à l'échelle 1 les capacités ou les performances ainsi que les obstacles techniques et environnementaux dans le domaine de la construction structurelle en béton imprimé en 3D. © PP

 

 

Voici Diamanti, la passerelle conçue par le Polyhedral Structures Lab de l’Université de Pennsylvanie et imprimée en 3D par Carsey 3D à Coubert dans le 77, à l’aide de Sikacrete – 7100 3D, un micro-béton fibré utilisé comme encre d'impression dans le système développé exclusivement pour les robots d'impression 3D Sika, avec l’aide de l’industriel Suisse LCA. À Venise, Diamanti sera posé sur une structure bois pour bien montrer sa légèreté malgré ses dimensions : 7,8 tonnes, 9 m de longueur, 1,5 de largeur sur le dessus, 1,8 m de largeur en dessous. © Polyhedral Structures Lab, Université de Pennsylvanie

 

 

 

 

 

Sika et l’impression 3D du béton

Sika a fourni le matériau SikaCrete (7100 3D, un micro-béton monocomposant renforcé de fibres pour l'impression 3D) mais a aussi apporté aussi l'expertise technique en construction imprimée 3D, avec la modélisation, le slicing d'objets et l'évaluation de la faisabilité du projet. Pour Sika, la France est le pays le plus avancé en impression 3D et son premier marché pour cette catégorie de produits.

 

Carsey 3D, représenté par son PDG Alberto Arena, a mis à disposition son imprimante 3D, la première à vocation industrielle en France, pour fabriquer Diamanti. Il n’existe que trois portiques d’impression de ce type en Europe. Carsey 3D dispose à Coubert d’un portique d’impression dans une enceinte climatisée où la température est maintenue entre 18 et et 23 °C et l’humidité relative demeure à 80 %. Dans la tête d’impression, est ajouté un activateur qui permet le durcissement des pièces en quelques secondes. © PP

 

 

 

 

Comme l’indique le docteur Akbarzadeh : "si l’on considère la section transversale des segments de béton, on constate qu’elle n’est constituée que de deux couches imprimées en 3D, qui sont du béton imprimé mesurant seulement quelques centimètres de largeur. Mais là encore, nous nous appuyons sur une géométrie courbée dans l’espace tridimensionnel, créant des surfaces qui ajoutent de la rigidité géométrique à la structure. Cette structure semble volumineuse de l’extérieur, mais, en coupe, elle ne comporte que deux couches". © Carsey 3D

 

 

 Ævia, spécialisé au sein du groupe Eiffage dans la réparation et l’entretien des structures, a appliqué la précontrainte et offert son appui scientifique et technique afin de valider les différents calculs du docteur Massoud Akbarzadeh. Le Cerib a procédé aux divers tests réels sur l’ouvrage fini, notamment en vérifiant la capacité de résistance de la future passerelle.

 

 

 

Les résultats du test au CERIB

Une fois l’impression des neuf éléments de cinq types différents, réalisés chez Carsey 3D, les huit câbles de post-tension appliqués ont été introduits : quatre en haut et quatre en bas. Les câbles TS15 (15,7 mm2 de diamètre, nettement plus résistants que les armatures de béton habituelles) enfilés dans les cavités ménagées dans les voussoirs imprimés ont été gainés de manière à ce qu’ils offrent le même contact sur toute la longueur et que la compensation soit identique en tous points des câbles.

 

Les quatre câbles du haut sont droits, mais les quatre câbles du bas affectent une forme parabolique. Les gaines ont été scellées à l’aide de SikaGrout-217, un mortier de scellement et de calage à retrait compensé qui présente des résistances mécaniques très élevées en compression et en flexion. Chaque bloc d’about a été rempli de SikaGrout-238, de manière à mieux résister à la pression des câbles de post-tension. Les voussoirs ont été rapprochés peu à peu et légèrement pressés entre eux, le temps que l’adhésif structureal Sikadur-30 fasse son effet. Ævia (filiale d’Eiffage) a dû adapter sa technique pour assembler des sections imprimées 3D béton avec les câbles et ses ancrages de précontrainte pour prouver la faisabilité. © Cerib

 

 

Les neuf voussoirs ont été scellés entre eux à l’aide de colle époxy sur les deux extrémités de chaque voussoir, l’ensemble a été transporté au Cerib. Les câbles enfilés dans les cavités ménagées dans les voussoirs imprimés ont été gainés de manière à ce qu’ils offrent le même contact sur toute la longueur et que la compensation soit identique en tout point des câbles. Les quatre câbles du haut sont droits, mais les quatre câbles du bas affectent une forme parabolique. Les gaines ont été scellées à l’aide de SikaGrout-217, un mortier de scellement et de calage à retrait compensé qui présente des résistances mécaniques très élevées en compression et en flexion. Les concepteurs ont calculé Diamanti pour une charge de 500 kg/m2, qui correspond à la charge exigée par la norme pour les passerelles. Lors de son test, le Cerib a appliqué une charge deux fois plus élevée. Le test a finalement été bloqué par la capacité des vérins du Cerib. Mais le résultat du test va au-delà de la validation des calculs : un coefficient de sécurité de plus de 2 a été déterminé pour l’État Limite de Service (ELS) par rapport au calculs prédictifs. © Cerib

 

 

Réunis au Cerib, les acteurs majeurs du projet ont assisté à l’épreuve. En tout, il aura fallu deux heures pour mener à bien l’expérience, en procédant par étapes. Le chargement a été piloté en déplacement avec une vitesse imposée de 1,0 mm/s pour le chargement à l’état limite de service (ELS) et 3 mm/s pour le chargement à l’état limite ultime (ELU), dans le but de bien contrôler et observer la déformation de la poutre. Le test a débuté avec l’application de cycles de chargement correspondant à l’état limite de service (ELS), visant à vérifier la rigidité flexionnelle, l’état de fissuration, et la flèche de la poutre. Des capteurs disposés au centre et sur les côtés de la poutre permettaient d’effectuer un suivi en temps réel des mesures de déformation. À la fin de l’application du chargement correspondant à 100 % de l’ELS, une déformation d’environ 1,5 mm a été observée, confirmant que le matériau se comportait de manière élastique sans aucune apparition de fissures. Lors de l’application d’un chargement correspondant à l’état limite ultime (ELU), une première fissure est apparue dans le béton, sans pour autant provoquer la rupture de la poutre ou une perte de sa capacité résistante, ce qui était le résultat attendu par les calculs.

 

 

 

Et maintenant ?

La quantité de béton, par rapport à une passerelle en béton armé de mêmes caractéristiques, est réduite de 60 % et la quantité d’armatures et diminuée de :

– 81 % par rapport à un système avec précontrainte,

– et de 94 % par rapport à une solution sans précontrainte.

 

Comme l’indique Patrice Decroix, le directeur Innovation Sika France, "Cette approche polyédrique permet une importante économie de matière, l’enjeu est donc important. Nous avions déjà utilisé cette technologie là sur du plastique, mais sur du béton, jamais. Le projet Diamanti nous sert d’élément de preuve pour la suite, et pour pouvoir imaginer l’appliquer à de véritables passerelles piétonnes". Un accord d’exclusivité a été signé entre le docteur Akbarzadeh, son équipe et les partenaires du projet pour utiliser cette approche en Europe. Nous pourrions voir au moins une vraie passerelle en France en 2025.

Au-delà, cette technologie est utilisable pour des planchers allégés, la réalisation de poutres, etc.

 

Nous pourrions voir au moins une vraie passerelle en France en 2025. © Polyhedral Structures Lab, Université de Pennsylvanie




Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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