Six hommes, dont l'ex-président de la CPME, et quatre entreprises seront jugées à partir de ce lundi 10 février 2025 devant le tribunal de Versailles pour blessures involontaires et mise en danger d'autrui, accusés de n'avoir pas protégé cinq ouvriers contre une contamination au plomb sur le chantier de l'Opéra royal du château de Versailles il y a près de 16 ans. Ces derniers avaient déposé plainte en 2009.
L'Opéra royal du château de Versailles. © Thomas Garnier / Château de Versailles
Lors de ce chantier en 2009, ces menuisiers participant à la restauration de cet opéra du 18e siècle, avaient été contaminés au plomb après avoir inhalé des poussières, précisant, entre autres, qu'ils travaillaient sans protections, ni aération. "Ils ont failli mourir", rappelle Me Jean-Jacques Neuer, qui défend deux d'entre eux, parties civiles au procès. Cette affaire révèle "un état d'esprit de notre société où la vie des ouvriers passe au second plan", ajoute Me Neuer, indiquant qu'aucune mesure n'avait été prise ni aucun équipement n'avait été fourni pour protéger ces ouvriers d'une contamination au plomb.
L’Opéra royal de Versailles, joyau construit sous Louis XV et inauguré en mai 1770 à l’occasion du mariage de Louis XVI avec Marie-Antoinette, œuvre majeure de l’architecte Ange-Jacques Gabriel, est en pleine réfection.
Lors de son inauguration en 1770, c'est la plus grande salle de spectacles d’Europe, constituant une véritable prouesse, autant de technique que de raffinement décoratif.
En 1770, la plus grande salle de spectacles d’Europe, constitue une véritable prouesse, autant de technique que de raffinement décoratif. © Thomas Garnier / Château de Versailles
Véritable théâtre de la vie monarchique puis républicaine, l'Opéra royal de Versailles accueille au long de son histoire :
– des festivités,
– des spectacles,
– et des débats parlementaires.
Recréation de la toile de fond de Cicéri. © Château de Versailles
Le chantier est en cours lorsque Didier Andrieu, un menuisier intérimaire, consulte pour des problèmes digestifs. Son médecin lui prescrit alors des analyses de sang, qui vont révéler un taux de plomb de 549 microgrammes par litre, soit cinq fois plus que le taux considéré comme maximal. Trois autres de ses collègues se découvrent des taux similaires. Le chantier est arrêté et pas moins de quatre nettoyages de la zone contaminée, dans une annexe de l'Opéra, sont nécessaires avant qu'il ne redémarre, sachant qu'à la suite du scandale de l'amiante, la loi impose des contraintes très strictes.
Didier Andrieu et son supérieur, Thierry Baclin confirment qu'il n'y a pas eu de sas de décontamination, de masques conformes, etc., et que les déchets ont été mis dans des bennes ordinaires.
À la suite de plaintes de ouvriers, une instruction avait été ouverte et la magistrate avait mis en examen :
– l'Opérateur du patrimoine et projets immobiliers de la Culture (maître d'ouvrage délégué) ;
– la société Dekra (coordinatrice du chantier) ;
– Le cabinet d'architecte Didier ;
– La société Asselin de restauration de bâtiments anciens ;
– Et, enfin, le château de Versailles (maître d'ouvrage) : toutefois, ce dernier a bénéficié d'un non-lieu en 2021.
À l'issue des investigations, la juge d'instruction a ordonné en décembre 2022 un procès devant le tribunal correctionnel pour la société Dekra et l'Opérateur du patrimoine et projets immobiliers de la Culture, notamment pour blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois, par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail.
La société Asselin et son patron François Asselin sont jugés pour ce chef, ainsi que pour mise en danger d'autrui et pour complicité de subornation de témoin. Selon son avocat Me Claude Vaillant, François Asselin conteste les faits et affirme que ni lui ni sa société, qu'il dirige depuis 1993, n'était au courant de la présence de plomb sur ce chantier. Il était jusqu'à janvier président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, fonction qu'il occupait depuis 2015.
L'Opéra royal de Versailles avait rouvert ses portes en 2009 après deux années de travaux.
À la barre, les prévenus poursuivis devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires et mise en danger d'autrui, jouent au padel en se renvoyant très vite la balle, et ce afin de minimiser leurs responsabilités dans cette affaire : "Tout le monde se renvoie la balle", a accusé la procureure de la république au deuxième jour du procès.
Le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre ont affirmé avoir mentionné la présence de plomb dans les documents relatifs à la préparation du chantier, à charge des entreprises y travaillant de le prendre en compte et de mettre en place les mesures de protection adéquates.
Frédéric Didier, l'architecte en chef des monuments historiques en charge de concevoir et d'organiser le chantier, a ainsi expliqué avoir reçu le plan général de coordination, document qui définit les mesures à mettre en œuvre pour prévenir les risques sur un chantier, dans lequel la présence de plomb était mentionnée. Ce plan "faisait le nécessaire pour pouvoir informer" de la présence de plomb "les parties appelées à intervenir" à Versailles, a-t-il précisé. Selon lui, personne ne pouvait ignorer qu'il y avait du plomb dans ce monument historique car "les peintures au plomb étaient utilisées jusqu'au début du 20e siècle", or les locaux concernés n'avaient pas été rénovés depuis 1870.
Et si ces informations n'ont pas été transmises, c'est de la responsabilité du coordinateur chargé de la sécurité sur le chantier, a affirmé de son côté le représentant du maître d'ouvrage, l'opérateur du patrimoine et projets immobiliers de la culture.
Cependant, l'entreprise qui intervenait sur le chantier, la société Asselin, dirigée par François Asselin, a répété n'avoir pas été suffisamment et précisément informée de la présence de plomb. Selon elle, les documents fournis ne permettaient pas d'évaluer correctement les risques. "Il y a eu une négligence de l'ensemble de la chaîne de compétences, y compris nous", a toutefois concédé François Asselin.
Pour rappel, les menuisiers qui ont témoigné le premier jour du procès ont tous affirmé n'avoir reçu aucun équipement pour se protéger contre les inhalations de poussières chargées de plomb. Personne ne les avait informé de la présence de plomb ni formé à la gestion de ce risque, avaient-ils relaté.
Une "faillite collective", selon le parquet de Versailles, qui a requis mercredi 12 février 2025 des peines allant de 3 à 15 mois de prison avec sursis à l'encontre des six hommes jugés :
– contre l'ancien président de la Confédération des petites et moyennes entreprises François Asselin, poursuivi pour blessures involontaires et subornation de témoins, la procureure Nathalie Frydman a demandé 15 mois avec sursis et 20 000 euros d'amende ;
– Le ministère public a requis 150 000 euros d'amende à l'encontre de l'entreprise Asselin car c'est sa société, jugée comme personne morale, qui employait sur ce chantier les cinq menuisiers intérimaires.
– À l'encontre du maître d'ouvrage, l'opérateur du patrimoine et projets immobiliers de la culture (OPPIC), qui aurait dû selon la procureure fournir une étude plus précise quant à la présence de plomb, elle a demandé 50 000 euros d'amende ;
– En outre, le parquet a en outre requis trois mois de prison avec sursis et 10 000 euros d'amende contre le maître d'œuvre Frédéric Didier, architecte en chef des monuments historiques en charge du château.
Nathalie Frydman a débuté par des excuses pour la durée de cette procédure : cinq juges d'instruction se sont en effet succédés depuis plus de 15 ans. L'employeur n'a pas été tenu pour seul responsable, car "tout le monde sait qu'il y a du plomb au château de Versailles, ça a été dit et redit, personne ne pouvait l'ignorer parmi les responsables", a précisé la procureure.
"Il manquait Monsieur Pas-Moi sur le banc des prévenus", a ironisé Me Mélinda Voltz dans sa plaidoirie. Elle défend un de ces ouvriers pour qui cette intoxication a eu des conséquences dramatiques : il a perdu une grande partie de ses dents et a été un temps SDF, dormant dans sa voiture, faute d'emploi et de revenus. "On a bien vu que c'était de la chair à canon qu'on a envoyé au charbon", sans équipement de protection adapté, a ajouté l'avocate devant les prévenus impassibles. "Ce n'est pas tant le procès d'un système mais d'un état d'esprit d'une société qui fait passer l'or avant le plomb, et le profit avant toute considération liée à la vie humaine", a fustigé Me Jean-Jacques Neuer, conseil de deux ouvriers.
La défense a plaidé la relaxe.
argent
Actuellement les diagnostics plomb, amiante, électricité… sont obligatoires avant toute intervention d'entreprise. Le plomb est systématique dans toutes les peintures anciennes. Produit miracle, il était à la fois un excellent opacifiant et rendait la peinture bien plus facile à appliquer qu'actuellement. Ces peintures présentaient une durabilité incroyable, supérieure à une centaine d'année mais ensuite se dégradent en formant des écailles toxiques. Les recouvrir comme on le fait généralement est un pis-aller car les écailles partent sous les chocs du quotidien ou par vieillissement. Le décapage est ardu, long. Toutes les entreprises intervenant dans du patrimoine le savent, surtout ce de niveau là. Il est important que celles qui interviennent dans "l'ancien" en aient aussi la parfaite connaissance.