L’Europe des réglementations incendies de la construction bois

Yves-Marie Ligot, expert français de la protection passive contre l'incendie dans les constructions bois

Interview d’Yves-Marie Ligot, conférencier aux Journées de la Protection Incendie de Stuttgart, en prélude à l’Atelier A6 du Forum Bois Construction, sur "La protection incendie des ouvrages biosourcés en Europe".




Jonas Tophoven / Batirama : Vous revenez d’une présentation de la réglementation incendie française en matière de construction bois, aux Journées de la Protection Incendie de Stuttgart. Le monde germanique s’intéresse de plus en plus à la construction biosourcée française, et donc aussi à notre réglementation incendie dédiée ?

 

Yves-Marie Ligot : Oui, nos voisins s’intéressent au travail architectural réalisé en France au cours des quinze dernières années. Ainsi, l’an dernier, la Holzbauoffensive, offensive pour la construction bois de la région Bade-Würtemberg, est venue à Paris avec des experts de la protection incendie. Dans ce cadre, on m’a demandé de présenter les principes français de la réglementation feu appliquée à la construction bois. Suite à quoi le Congrès Brandschutztage de Stuttgart m’a proposé de refaire cette conférence début février. Je m’en suis tenu à la réglementation officielle et encore en vigueur en France, dans l’attente d’une refonte consécutive aux travaux d’ADIVBOIS et à la "Doctrine des sapeurs-pompiers de la préfecture de police de Paris".

Construire des grands bâtiments a pour corollaire d’augmenter les durées de résistance, et donc les sections et quantités de bois mises en œuvre. Pour ces grands bâtiments il convient donc de fixer de nouvelles règles prenant aussi en compte les risques de combustion pendant l’intervention des secours. Quelles seront les possibilités de conserver du bois apparent ?

 

Les Brandschutztage de Stutgart, 4 et 5 février 2025. © JT

 

 

JT / Batirama : les réglementations européennes relatives à la protection incendie des ouvrages biosourcés sont-elles compatibles ?

Y-M L. : Dans le cadre de mon expérience en entreprise puis à l’IRABOIS et dans mes activités de bureau d’études bois, et de formateur, j’ai eu l’occasion d’analyser de comprendre puis d’expliquer la réglementation franco-française. Je ne suis pas un spécialiste des comparaisons internationales. Juste pendant le congrès de Stuttgart disparaissait la suédoise Birgit Östman, coordinatrice du programme européen "Fire in Timber" auquel ont participé bon nombre de laboratoires européens à la suite des travaux de l’Eurocode 5. Elle avait aussi depuis des années travaillé sur la comparaison des règlementations au travers de ses recherches internationales. Sa dernière étude permet de comprendre d’un coup d’œil les principes et les seuils fixés par chacun des pays. C’est un travail remarquable, il convient de lui rendre hommage. 

Le Forum Bois Construction, au Grand Palais, donnera la parole au spécialiste suisse Andrea Frangi, président du comité de normalisation de l’eurocode 5 partie feu. Depuis de nombreuses années, les travaux de ce comité, qui réunit les plus grands spécialistes européens, ont permis de construire un code de calculs fiable sur lequel s’appuient chacun des pays qui partagent les mêmes préoccupations. Sécurité incendie d’un côté et empreinte carbone de l’autre. Je pense qu’il faut poursuivre le travail au niveau européen, car tous les états membres sont dans une situation proche : mêmes principes sécuritaires, même systèmes industriels mis en œuvre, mêmes enjeux climatiques. J’ajoute que les nouveaux outils de traduction facilitent l’accès aux textes rédigés dans des langues étrangères.

 

Le congrès dédié à la protection incendie est géré par la filière béton. © JT

 

 

JT / Batirama : Quelles différences sautent aux yeux ?

Y-M L. : je suis revenu de Stuttgart avec une édition de la règle nationale Allemande de septembre 2024 qui s’applique maintenant dans tous les Länder. Ce qui frappe surtout ce ne sont pas les différences dans les niveaux d’exigences (il y en a) mais plutôt les similitudes dans les principes de protection. Notre réglementation est construite autour des moyens d’accès et de lutte contre l’incendie par les sapeurs-pompiers

Ainsi, en France pour les petits bâtiments, la limite du dernier plancher est fixée à moins de 8 m. En Allemagne, la limite du plancher haut est fixée à 7 mètres pour les catégories 1, 2 et 3. En Suisse, cette limite est définie de façon encore différente, à 11 m. En Allemagne, une distinction simple s’opère entre 5 classes de construction. Jusqu’en 2004, on ne pouvait construire en bois que dans les catégories 1,2 et 3, 3 étant un R+2 avec un plancher haut supérieur à 7 m. Depuis, il existe une classe 4 R+4 à plancher haut inférieur à 13 m, pour des surfaces inférieures à 400 m2. Et depuis 2015, une classe 5 permet d’aller beaucoup plus haut en bois. Ce qui est intéressant, c’est que les principes courants de la construction bois sont régis presque partout en Allemagne par une "Muster-Holzbau-Richtlinie". On y trouve, sur seulement une trentaine de pages, un concentré de spécifications et de règles de moyens qui vont par exemple jusqu’au positionnement des boîtiers électriques. Incorporés dans les ossatures bois.

 

Les Allemands ont créé un nouveau type de bâtiment, la classe E, Expérimentale, pour faciliter le développement de nouvelles solutions. © JT

 

 

 

J. T / Batirama : S’agit-il d’une source d’inspiration dans le cadre de la refonte de la réglementation incendie française ?

Y-M L. : Probablement ! Par exemple, les règles de recoupement vis-à-vis de la propagation du feu par les façades sont assez proches de nôtres. Elles ont pourtant été élaborées avec des méthodes différentes mais les solutions convergent, ce qui est rassurant. Sur tous ces sujets, il ne faut pas croire qu’on part en France d’une page blanche. Depuis les années 80, un travail considérable a été effectué par les labos français. S’ajoutent ceux de nos partenaires européens, souvent convergents et complémentaires. Comme je l’ai précisé plus haut, les cadres réglementaires diffèrent d’un pays à l’autre, ce qui rend les comparaisons plus difficiles. Mais cela ne veut pas dire que le travail réalisé par nos partenaires européens est sans effet chez nous. J’ai bon espoir que nous puissions en tenir compte pour aboutir à une nouvelle réglementation graduée en fonction des typologies de constructions et efficace tant sur le plan de la sécurité des personnes que vis-à-vis des objectifs environnementaux. Ne perdons pas de vue qu’avec les constructions carbonées, sous l’effet du réchauffement climatique, les incendies se déplacent en forêt

 



Source : batirama.com / Propos recueillis par Jonas Tophoven © JT

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
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