Faut-il vraiment remettre en question le statut de conjoint collaborateur dans les TPE ?

La limitation du statut de conjoint collaborateur met en péril toute une partie des femmes d’artisans. © gpointstudio / Freepik

La limitation du statut de conjoint collaborateur à cinq ans depuis 2021 remet en cause la situation professionnelle de 26 000 femmes d’artisans dès le 1er janvier 2026. Focus sur ce statut.




Selon la Loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d'artisans et de commerçants travaillant dans l'entreprise familiale, le conjoint du chef d'une entreprise artisanale ou commerciale peut y exercer son activité professionnelle, notamment en qualité de :

conjoint collaborateur mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d'Alsace et de la Moselle ;

conjoint salarié ;

conjoint associé.

 

Ses droits et obligations professionnels et sociaux en résultent.

 

Comme le rappelait Jean-Christophe Repon, président de la CAPEB, mardi 4 mars au matin à la faveur d’une réunion de presse, la loi de 1982 a été modifiée à plusieurs reprises au fil des années, mais, sans aucune concertation à l’automne 2021, l’article 24 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 a imposé une limite de cinq ans à l’exercice du statut de conjoint collaborateur. © PP

 

 

 

Trois choix pour le conjoint du chef d’entreprise

La loi de 1982 avait créé trois possibilités pour le conjoint du chef ou de la chef d’entreprise qui travaille dans l’entreprise artisanale : conjoint collaborateur, conjoint associé, conjoint salarié

Le statut de conjoint associé requiert que l’entreprise artisanale soit constituée en société (EURL, SARL, …). Ce qui est loin d’être le cas : plus de 50 % des entreprises artisanales sont des entreprises individuelles (EI), sans possibilité d’associés au capital.  Le conjoint salarié doit avoir signé un contrat de travail en CDD ou CDI et percevoir un salaire brut supérieur ou égal à 1801,80 € par mois. Ce qui correspond au montant du Smic depuis le 1er janvier 2025. Le calcul des cotisations sociales est effectué en fonction des mêmes taux appliqués à tous les salariés. C’est là que le bât blesse. 

Selon Jean-Christophe Repon, les 62 000 entreprises artisanales membres de la CAPEB ont en moyenne trois salariés, un ajouter un quatrième, même payé au Smic, peut être trop onéreux. Mais surtout, le conjoint salarié n’a pas de responsabilité, ni de pouvoir de gestion quotidienne dans l’entreprise.

C’est pourquoi les artisans ont très largement choisi le statut de conjoint collaborateur pour leur conjoint travaillant dans l’entreprise.

 

 

 

Qu’est-ce qu’un conjoint collaborateur ?

Le conjoint collaborateur est marié, pacsé ou en concubinage (union libre) avec le dirigeant de l'entreprise, travaille régulièrement et activement dans l'entreprise, n’est pas rémunéré, enfin, si l'entreprise est une société, il ou elle n’est pas associé. Le chef d’entreprise a déclaré le statut de conjoint collaborateur de son ou de sa conjointe. En échange, le conjoint collaborateur est affilié au régime général de la Sécurité sociale en tant que travailleur indépendant et bénéficie d'une protection sociale complète : santé, dont maladie et accident du travail, retraite, formation professionnelle. En revanche, il ne bénéficie pas de l'assurance chômage. Les cotisations sociales sont minimales. 

Le conjoint collaborateur dispose d’un mandat pour accomplir en son nom les actes de gestion courante de l’entreprise : signer les chèques, remplir les déclarations URSSAF, accomplir toutes les démarches administratives de l’entreprise, etc. Le conjoint collaborateur ne perçoit pas de rémunération et n’a pas de responsabilité financière. Il ou elle n’est pas responsable sur ses biens propres en cas de défaillance de l’entreprise

À compter de 2022, ce statut se termine automatiquement au bout de cinq ans. S’il n’a pas été fait une demande de changement de statut au terme des cinq ans, le conjoint collaborateur devient automatiquement conjoint salarié. Selon Jean-Christophe Repon, 26 000 femmes travaillent dans les entreprises artisanales sous ce statut de conjoint associé. Il est d’ailleurs accessible à toutes les entreprises artisanales, aux coiffeurs comme aux plombiers. Intervenant en visio, Danielle Bourdeaux, femme artisane, ancienne vice-présidente de la CAPEB, conjointe collaboratrice dans une entreprise de plomberie dans l'Hérault, expliquait d’ailleurs que dans son village, la coiffeuse emploie son mari barbier sous le statut de conjoint collaborateur, même si ce statut est adopté à 85 % par des femmes.

 

Dominique Frichot, à gauche, directrice adjointe de la communication de la CAPEB et Cécile Mélaine, membre du conseil d'administration de la CAPEB, conjointe collaboratrice dans une entreprise de maçonnerie en Eure-et-Loir, expliquent les conséquences dramatiques de la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur sur la représentation des femmes dans les organisations de l’artisanat. © PP

 

 

 

Une remise en cause du rôle des femmes dans le monde de l’artisanat

Ce que l’État n’a pas vu en introduisant cette limitation à 5 ans du statut de conjoint collaborateur sont ses conséquences directes sur la représentation des femmes. Un conjoint collaborateur partage le mandat de gestion de l’entreprise. À ce titre, il ou elle peut siéger dans les instantes dirigeantes de ces professions. 

La CAPEB a organisé plusieurs campagnes pour accroître le rôle des femmes dans ses instances : la campagne "Osons les métiers du bâtiment au féminin" et, l’en dernier, la campagne "Bâtir la mixité" pour directement aboutir à une croissance du nombre des femmes dans ses directions départementales et nationales. 

Par exemple, Cécile Mélaine, conjointe collaboratrice dans une entreprise de maçonnerie en Eure-et-Loir, est membre du conseil d'administration de la CAPEB. Que se passera-t-il au 31 décembre 2025 (son entreprise n’ayant pas le statut de société, donc sans possibilité d’avoir des associés) ? Elle deviendra conjointe salariée et perdra le droit de siéger dans les instances de la CAPEB

Des dizaines de femmes seront dans ce cas à la CAPEB, des centaines, peut-être des milliers en ajoutant les autres fédérations d’artisans, d’agriculteurs et de professions libérales qui ont accès au même statut. C’est une attaque directe contre une meilleure représentation des femmes dans les instances dirigeantes. 

De plus, souligne Cécile Mélaine, cela va surcharger le chef d’entreprise. Lorsque son mari maçon rentre à 19 heures de ses chantiers, les banques, la sécurité sociale et les autres administrations sont fermées : il ne peut pas accomplir les démarches nécessaires avec elles. Il faudra qu’il prenne une journée par semaine, plus certaines semaines, pour s’adapter à leurs horaires d’ouverture, puisque sa conjointe, désormais dépourvue de tout mandat de gestion de l’entreprise, ne pourra plus s’en occuper. Du coup, il fera moins de chantiers et le chiffre d’affaires de l’entreprise baissera : moins de temps sur les chantiers, un nouveau salarié, donc plus de frais, mais moins de CA. C’est vraiment une excellente idée.

 

Si la CAPEB demande l’abrogation de la durée maximale de cinq ans de ce statut, comme le dit Matthieu Rosy, délégué Général de la CAPEB, à gauche, ce n’est pas parce qu’elle est misogyne, comme des officiels le lui ont reproché, mais au nom de la défense du rôle des femmes. © PP

 

 

 

Pourquoi limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur ?

La raison de la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur depuis 2022 demeure obscure, puisqu’il n’y a eu aucune concertation sur ce point lors de l’élaboration, puis du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 à l’automne 2022.

 

Corine Postel, première vice-présidente en charge des questions sociales à la CAPEB, conjointe collaboratrice dans une entreprise de couverture dans les Yvelines, qui risque aussi de perdre son statut à la fin de l’année et de ne plus pouvoir siéger dans les instances de la CAPEB, pense que l’État veut augmenter les recettes des cotisations sociales, d’où la limitation de durée du statut à cinq ans. © PP

 

 

Si le but est d’augmenter les recettes de l’URSSAF et de la Sécu, la CAPEB a proposé d’augmenter les droits contributifs du conjoint collaborateur à 3/4 du plafond de la sécurité sociale au lieu de 1/3 pour l’instant et, en échange, de supprimer la durée d’application du statut de conjoint collaborateur. Cette idée avait été présentée à Jean Castex, lorsqu’il était Premier ministre, et il l’avait acceptée. Depuis, les gouvernements successifs l’ont abandonnée. C’est dommage.

 

 

 

La CAPEB lance une campagne de sensibilisation de Brigitte Macron

Face à l’inertie des pouvoirs publics, face à l’absence d’écoute dont ont souffert jusqu’à présent les femmes de l’artisanat, la CAPEB profite de la Journée internationale des droits des femmes pour interpeller Brigitte Macron au regard de l’importance qu’elle accorde à la liberté des femmes, leur protection et leur intégration économique.

 

Cette interpellation par la CAPEB se fera au travers de l’envoi massif à l’adresse de Brigitte Macron de cartes postales signées par chaque femme de l’artisanat du bâtiment qui souhaitera faire entendre sa voix, afin de pouvoir la rencontrer et lui présenter les enjeux de ce sujet crucial et l’alternative que propose la CAPEB. © CAPEB

 



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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