En 2025, le secteur de la construction neuve devrait perdre encore 50 000 postes, après 30 000 suppressions en 2024. Pourtant, maçons, plombiers, ou encore électriciens restent toujours très recherchés en France.
Explication d’un paradoxe.
"Le secteur du bâtiment n’a pas l’habitude de licencier rapidement", explique Olivier Salleron, président de la FFB (Fédération Française du Bâtiment). "Dans l’industrie, on licencie trois ou six mois à l’avance quand on voit une baisse du carnet de commandes alors que dans le bâtiment, on préfère attendre quitte à être en sureffectif." Preuve en est, la perte de 30 000 emplois dans le bâtiment en 2024 correspond à une baisse de 2 % alors que l’activité (hors effet prix) a quant à elle reculé de 6 %. En janvier 2025, voici à quoi ressemblait l’emploi dans le BTP : 2,2 millions d’actifs (chefs d’entreprises, artisans, salariés, etc.) pour le bâtiment et les travaux publics, dont 1,6 million d’actifs dans le bâtiment seul et 1,3 million de salariés parmi eux.
Le secteur du BTP voit ses effectifs légèrement reculer mais cela ne signifie pas que les tensions sont levées, loin de là. Même si les destructions d’emplois vont s’accentuer en 2025, les besoins vont continuer à s’accroitre.
"Tous les métiers ont été touchés par cette réduction de l’effectif, de l’artisan jusqu’à la très grande entreprise qui travaillait pour les grands promoteurs", cartographie Olivier Salleron. "Le bâtiment a été autant touché que la maison individuelle." Les intérimaires ont bien sûr été en première ligne.
On note néanmoins que ces 30 000 postes en moins s’inscrivent dans la défaillance de 14 000 entreprises dont trois quarts de petites structures. Ces dernières ont été minées par la chute de la construction de logements (et particulièrement des maisons individuelles) et le marché de la rénovation, en ralentissement, n’a pas pu représenter une porte de sortie.
L’hémorragie de l’effectif devrait continuer cette année. La légère reprise de l’activité a permis à la fédération d’envisager un scénario moins pire pour 2025 avec "seulement" 50 000 postes qui seront perdus cette année contre 100 000 initialement chiffré auparavant.
"L’activité devrait encore chuter de 2,6 % en termes de volume cette année dans le bâtiment", chiffre le président de la FFB. "Certaines entreprises qui n’auront plus de chantiers, et là je pense aux maçons, seront les plus touchées." Pourtant, au regard des chiffres de France Travail, la demande pour ce métier ne faiblit pas. Avec 20 000 postes à pourvoir de maçons, ces derniers arrivent en tête des plus demandés parmi les 213 000 postes ouverts dans le BTP. Un constat corroboré par la récente liste des métiers en tension publiée par le gouvernement fin février où le métier figurait dans toutes les régions de France, excepté l’Île-de-France.
Le top 10 des métiers les plus demandés selon les chiffres de France Travail. © France Travail
Les maçons restent les stars des métiers les plus recherchés parmi les 213 850 postes ouverts dans la nomenclature "Construction" de France Travail qui comprend tout le BTP.
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Un tel paradoxe s’explique par les besoins inégaux entre le bâtiment et les travaux publics. "Les travaux publics ont aussi besoin de maçons", explique Christine Doucement, en lien avec les fédérations du BTP à la direction générale de France Travail. "Les majors ont cette capacité à transférer leurs effectifs du bâtiment vers les travaux publics que les PME n’ont pas car ces dernières sont pour la plupart monoactivité". En effet, si le bâtiment a poursuivi son plongeon en 2024, les travaux publics eux se sont bien portés avec une croissance supérieure à 2 %.
Par ailleurs, même au sein du bâtiment, la baisse de l’effectif que connaît le secteur ne s’explique pas uniquement par les licenciements mais également par les non-remplacements de départs à la retraite ou vers d’autres secteurs. Près de 60 000 personnes quittent la profession chaque année : certaines entreprises doivent les renouveler tandis que d’autres ferment les postes. "Le secteur du BTP fait face à une pyramide des âges élevée avec un nombre de départs à la retraite qui n’est pas compensé par l’arrivée de personnes assez compétentes", poursuit Christine Doucement. De l’autre côté, la démographie française amorce désormais une dynamique inquiétante pour les recruteurs car ils s’attendent à voir de moins en moins de jeunes sur le marché du travail.
En effet, après avoir augmenté entre 2011 et 2019, les effectifs de nos jeunes lycéens dans le secondaire se sont stabilisés sur un plateau élevé entre 2020 et 2023… puis commencent désormais à décroitre nettement depuis 2024. "Les effectifs de collégiens et de lycéens reflueraient de plus en plus à partir de 2026. La prévision intermédiaire table sur une baisse de 34 000 élèves en 2026, puis 49 000 en 2027, 66 000 en 2028 et 68 000 en 2029", explique le site d’information du gouvernement Vie Publique. Cette baisse inquiète d’autant plus que la reprise dans le bâtiment est attendue pour 2026, avec donc des besoins de plus en plus importants en main-d’œuvre.
"Ces jeunes, on se les partage entre différents secteurs. Si les Bac pro, les BTS ou les ingénieurs du bâtiment sont de moins en moins nombreux, on sera de plus en plus en tension." explique Olivier Salleron, ici en photo. © Laure Pophillat
Même si les métiers ont gagné en confort et en sécurité, ils souffrent encore d’une mauvaise image. À titre d’illustration, les difficultés à recruter concernent 72,7 % des postes ouverts dans les métiers du BTP contre 57,4 % pour l’emploi en général, peut-on lire sur les statistiques de France Travail. "Les jeunes n’acceptent plus les mêmes contraintes que leurs aînés, notamment sur les déplacements et les horaires qui empiètent sur l’équilibre vie pro/vie perso", observe la Fédération Nationale des Salariés de la Construction, du Bois et de l'Ameublement (FNSCBA CGT). "Beaucoup de jeunes formés et diplômés dans ce secteur le quittent après quelques années de pratique, environ 13 % après deux ans de contrat dans le secteur du BTP."
Faute de trouver des jeunes, peut-on accueillir des moins jeunes ? Il y a encore trente ans, il n’était pas rare de pouvoir être recruté du jour au lendemain, sans aucune formation dans le secteur du BTP. Depuis, l’accès à ces métiers est devenu plus difficile, et ce pour plusieurs raisons :
– d’abord, parce que les techniques de construction se sont complexifiées : par exemple, avec l’emploi des matériaux biosourcés qui exigent des revêtements spéciaux sur les murs ou sur les sols (on parle désormais de "carreleurs-soliers") ; ou encore avec les électriciens, qui ont beaucoup plus de capteurs pour la domotique et le handicap ;
– Et puis, surtout, l’organisation du chantier et les règles de sécurités n’ont cessé de se renforcer.
"Se former sur le tas aujourd’hui, c’est très compliqué", résume Olivier Salleron. "Il est indispensable de suivre une formation." Mais encore faut-il former. "Il n’y a pas toujours la volonté à former par les entreprises, observe la FNSCBA CGT. En 2024/2025, le nombre de candidats à l'apprentissage était plus important que le nombre d'entreprises souhaitant former. Ceci est dû à une conjoncture économique difficile et peu de vision sur le carnet de commandes."
Rappelons que l’apprentissage n’est accessible qu’aux moins de 29 ans, une limite pour les aspirants à une reconversion professionnelle. Cependant quelques facilités existent : France Travail propose la Préparation opérationnelle à l’emploi individuelle (POEI), une aide financière aux entreprises sur la formation pour combler le manque de compétence d’un candidat par rapport au poste ouvert. Pour les TPE et les PME, un mécanisme similaire existe, l’Action de formation en situation de travail (AFEST) également proposé par France Travail.