Nul doute que le nouveau mode de financement préconisé, en principe applicable en 2019, s’apparente aujourd’hui à un bouleversement pour les centaines de directeurs de CFA dont 118 dans le réseau du CCCA-BTP, le principal réseau de formation des apprentis du BTP.
Selon le projet, les CFA ne pourront plus en principe « réclamer » des subventions puisqu’ils seront financés au contrat : chaque jeune alternant embauché donnera lieu au versement au CFA d’une somme correspondant au diplôme préparé. Encore faudra-t-il pouvoir définir ce tarif et ce coût au contrat.
Ce sera la mission de la nouvelle agence nationale France Compétences, qui aura pour objectif de réguler la qualité des formations et leur coût. A charge pour les branches professionnelles de lui fournir ses propres analyses et réflexions sur le sujet.
Dans le BTP, les principaux responsables de réseaux, le CCCA-BTP et les Compagnons du Devoir, s’expriment sur leurs craintes et leurs certitudes. Et pour commencer, voici l'interview de Jean-Christophe Repon, président du CCCA-BTP qui sera suivi de celle de Jean-Claude Bellanger, secrétaire général des Compagnons du Devoir.
* Avec la réforme de l’assurance chômage et celle de l’apprentissage, la transformation de la formation professionnelle constitue un des piliers de la Loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel qui devra être adoptée avant l’été.
Après la publication du projet gouvernemental concernant la réforme de l’apprentissage, le CCCA-BTP* préconise une période transitoire. Son président Jean-Christophe Repon s’explique.
Le rapport dévoilé au mois de février par le gouvernement détaille « 20 mesures concrètes pour transformer l’apprentissage » dont les 10 premières devraient entrer en application à la rentrée 2018. Si les réseaux de l’apprentissage du Bâtiment, dont le CCCA-BTP ont, dans un premier temps, fait part de leur satisfaction, ils demandent aujourd’hui davantage de temps.
Le bât blesse notamment sur la question du financement du contrat (mesure 8) qui veut qu’un jeune + une entreprise = un contrat et donc un financement. Explications du président du CCCA-BTP.
Jean-Christophe Repon : Nous partageons le constat du gouvernement sur la complexité du système de l’apprentissage due à une superposition de réformes peu efficientes. Ce qui s’est traduit par un manque de visibilité sur les modes d’organisation de l’apprentissage, sur le rôle de l’entreprise et la place de l’apprenti.
Nous avions fait le même constat avant de définir notre plan stratégique Transform’BTP, en cours de déploiement au de notre réseau à gouvernance paritaire. Les idées de campus et de la mixité des publics (contrats classiques et de professionnalisation) ont déjà été expérimentées dans nos CFA. Il y a donc un véritable écho entre l’analyse du gouvernement et celle des partenaires sociaux.
JC Repon : L’idée que tout contrat doit être financé, même si elle semble logique, est aujourd’hui source d’inquiétude pour nombre de territoires qui redoutent un déséquilibre financier faute de péréquation (ndlr : mécanisme de péréquation visant à réduire les écarts de richesses et les inégalités). Les branches professionnelles pourront indiquer les besoins réels de formation des filières sur le terrain et être capables de les financer, mais il faudra tenir compte de la diversité des territoires selon que l’on est en zone urbaine, périurbaine ou rurale.
Par exemple, on ne peut pas comparer le coût de financement d’une section de 10 métalliers dans un CFA de la Creuse avec celui de sections de 180 maçons à Marseille, où les économies d’échelles sont plus importantes. Le seul « coût contrat » ne peut donc pas être satisfaisant.
JC Repon : Nous représentons le premier réseau d’apprentissage dans les branches du BTP, avec 118 CFA, dont 77 à gouvernance paritaire, sur tout le territoire et près de 50 000 apprentis. Il y a donc un équilibre budgétaire à trouver pour financer nos CFA et qui supposent des moyens financiers conséquents.
La péréquation est importante car nous avons besoin de plus de financements, que l’ensemble des branches du BTP ne pourra en fournir. Il faudra donc mettre en place une architecture pour assurer le financement de nos besoins, sans que cela ne pèse sur les entreprises du bâtiment qui sont souvent des TPE. Et par exemple, utiliser les ressources des branches professionnelles qui utilisent peu ou pas l’apprentissage… puisque c’est bien l’apprentissage que l’on veut développer et valoriser.
JC Repon : Certainement, mais nous attendons également beaucoup de la réforme de l’Éducation nationale qui devrait parvenir à mieux orienter les jeunes intéressés vers nos métiers et l’apprentissage.
Il faut que l’école s’ouvre davantage à l’apprentissage, mais pour l’instant, dans la réalité, ce n’est pas le cas. Le système actuel fait que les lycées généraux sont privilégiés pour accueillir le flux des collégiens. Or, il faut que l’apprentissage soit considéré comme une filière à part entière.
JC Repon : C’est la raison pour laquelle nous allons être vigilants sur les réformes en cours. La filière de l’apprentissage est encore trop considérée comme une filière d’échec par l’Éducation nationale. Or, nous souhaiterions que les collégiens puissent faire par exemple leur parcours de découverte du monde de l’entreprise au sein de nos CFA (Ndlr : stage obligatoire pour les 3e en collège).
Les plateaux techniques de nos CFA peuvent accueillir les jeunes en 3e, afin qu’ils découvrent l’ensemble des métiers et des entreprises du BTP. Nous sommes déjà en mesure d’organiser ces parcours chez nous.
JC Repon : Nous avons engagé un plan qualité-performance au sein de notre réseau à gouvernance paritaire (77 CFA du BTP), pour valoriser la performance des formateurs. Nous prônons la qualité de nos formateurs d’évidence, puisque le CCCA-BTP, en tant que tête de réseau, investit avec Constructys (2), l’OPCA de la construction, un volume budgétaire de plus d’un million d’euros pour renforcer les compétences de notre personnel pédagogique, soit 3 000 salariés. Nos CFA seront donc certifiés mais il reste à savoir comment cette certification opérée par une tierce partie sera financée.
Une période transitoire sera sans doute demandée. Certaines mesures peuvent être mises en place rapidement (adapter des cycles individuels, développer le pré-apprentissage…), mais la question du financement du contrat suppose un dialogue qualité-performance entre le CCCA-BTP et les associations régionales qui gèrent les CFA, sur la base d’indicateurs de performance.
Or, il existe autant de moyens de financement que de régions aujourd’hui. Il ne faut donc pas aller trop vite pour éviter une rupture et une chute brutale du nombre des apprentis. Nous devons surtout être en capacité d’adapter le nombre d’apprentis aux besoins réels des entreprises.
Et si les besoins des entreprises s’élèvent à 80 000 apprentis, il faudra tendre vers cet objectif, en adaptant les niveaux de formations et les métiers proposés, en ouvrant de nouvelles sections si nécessaire. Ce qui suppose de faire un bilan des besoins dans les territoires et c’est cela qui nourrira les décisions à prendre au niveau des instances de la branche.
*Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics