Sept grandes places parisiennes font leur mue ... en douceur

Sept grandes places parisiennes font leur mue ... en douceur

Du bois local marié aux blocs de granit de récupération sont la marque d’une métamorphose depuis le mois de juillet, de la place du Panthéon. Sept places au total doivent être transformées... et le bois y aura sa place.




Légende : Animer un monument aux morts est tout aussi transgressif que de réaménager une autoroute urbaine en plage. Photos ©JT

 

Après la réorganisation des quais au profit des usagers pédestres, la mairie de Paris joue contre la montre pour réaménager sept places dans le même esprit de reconquête de l’espace public abusivement occupé par les voitures.

 

Il s’agit des places de la Nation, de la Bastille, des Fêtes, d’Italie, de la Madeleine, Gambetta et du Panthéon. Les moyens sont limités, les délais courts, rien à voir avec la transformation opérée place de la République.

 

Le point de repère est plutôt l’aménagement en co-conception de la Petite Ceinture, sous l’égide de Jean-Christophe Choblet, également à la manœuvre dès les débuts de Paris Plages. Dans cet esprit, les travaux sont effectués à partir d’une double maîtrise d’œuvre, celle de l’aménagement lourd (voirie) et celle de l’équipement plus léger.

 

Maîtrise du budget et contraintes techniques

 

Certaines maîtrises d’œuvre échoient à la ville de Paris comme à la Place de la Nation. Ailleurs, des collectifs se sont constitués avec la mission assignée de faire émerger le plan d’aménagement à partir des souhaits des riverains.

 

Il s’agit d’accorder ces envies avec un budget, mais surtout des contraintes techniques multiples qui font par exemple que la réorganisation de la Place d’Italie en est aujourd’hui au point mort.

 

Quant à la place de la Bastille, ses lourds travaux d’infrastructure ont happé une grosse partie du budget total. Il faut aussi tenir compte, in fine, des avis des Architectes et Bâtiments de France, de sorte que le réaménagement de la Place de la Madeleine a été réduit à la portion congrue.

 

 

Nulle part ou presque à Paris on ne trouve dans un espace public de si belles et longues tables invitant à la convivialité.

 

Biosourcé local et matériau de récupération

 

Le projet du Panthéon, qui entoure un monument historique national, aurait pu connaître le même sort. Il s’agit pourtant, depuis le milieu de l’été, de la manifestation la plus explicite de la volonté de changement d’usage des grandes places parisiennes.

 

Les places de stationnement ont tout simplement laissé place à des dizaines de bancs de pierre ou de bois, ainsi qu’à des arbres en pots. Le collectif Les Monumentales constitué par Emma Blanc Paysagiste, Genre et Ville, Albert et Co, Ligne BET et le Collectif Etc, a eu l’occasion de faire un galop d’essai à La Madeleine mais dispose au Panthéon de plus de champ, même si la plantation d’arbres a été refusée.

 

Les bancs de pierre, qui ont aussi pour fonction de délimiter et de protéger la zone se composent de blocs de récupération de la voirie, échancrés par le dessous pour mieux les stabiliser sur des patins en robinier du Perche.

 

A l’inverse, les bancs, tables et plateformes en Douglas du Perche ou du Morvan reposent sur ce même type de blocs posés cette fois à même le sol. A noter qu’Emma Blanc et son équipe ont mis au point une « translateuse » fabriquée en bois, qui a servi pour déplacer les blocs de granit, mais aussi les tasseaux et madriers en bois.

 

 

Autre déclinaison du concept de tasseaux ajoutés obliques sur lambourdes, les plateformes de configuration variable et recourant parfois à des pièces métalliques en sous-face ne veulent pas préjuger de l’emploi qui en sera fait.

 

Douglas en alternative manifeste

 

C’est le négoce Union Bois de St Denis qui a fourni le bois dans un souci de mobilisation des ressources locales, via son partenariat de longue date avec des scieurs du Perche et du Morvan, complété par un outil de transformation conséquent qui en fait un interlocuteur privilégié du monde événementiel francilien.

 

Selon François Bernauer, le patron de ce négoce familial, le Douglas a été livré à peu près purgé d’aubier. Dans la conformité de l’action de prescription de ce négoce, il s’agissait de pousser à l’utilisation d’essences locales en alternative au bois tropical, même si le Douglas n’atteint pas, sauf exception, la durabilité des essences exotiques utilisées pour ce type d’exposition.

 

Des madriers de forte section ont servi pour les lambourdes ou les dossiers, l’habillage superficiel se faisant par des tasseaux ajourés disposés de façon oblique, et pourvu d’une imprégnation à l’huile de lin. Ainsi, la belle couleur rosée du Douglas ne tardera pas à s’estomper au profit d’un grisaillement qui sera nécessairement irrégulier et suscitera comme à l’accoutumée des réactions diverses.

 

 

Chorégraphie marquant l’inauguration du nouveau lieu. Les bancs ont été conçus plutôt comme un équipement de terrain de jeu que selon les règles habituelles parisiennes de l’aménagement urbain.

 

Synthèse et osmose constructive

 

Le concept constructif des aménagements en bois emprunte à la ville de Paris une démarche modulaire permettant de procéder au remplacement d’un ensemble d’éléments. Ainsi, les tasseaux en Douglas sont vissés de façon non apparente sur des platines.

 

Il s’agit à la fois de juguler les tentations de vandalisme et de limiter autant que possible les points de rétention d’eau, même minimes. Le gérant l’Albert&Co, Marc Serieis, a pu faire valoir sur ce chantier de compétences croisées sa formation de menuisier.

 

Il est intervenu en conseil sur le choix des essences, sections, modes d'assemblages, gabarits « pour optimiser et sécuriser le travail de découpe ». La modularité n’implique pas l’interchangeabilité, et l’un des attraits de l’équipement de la Place du Panthéon est cette recherche de variété de lieux conviviaux à partir d’un concept de fabrication commun.

 

Le jour, les bancs accueillent les usagers de la bibliothèque Labrouste, les étudiants de la fac de droit, les lycéens d’Henri IV. Les derniers week-ends de l’été ont montré que le lieu est plébiscité également le soir, sans dérives, malgré la détérioration volontaire de certains panneaux de l’exposition dédiée à Simone Veil, sur les grilles de l’enceinte.

 

 

Baptême ymbolique sous la grêle fin juillet 2018 : les MonumentalEs vont devoir affronter la critique et les intempéries.

 

Du bois visible pour Paris

 

Dans un environnement urbain où les bancs sont octroyés avec la plus grande parcimonie à cause de leur utilisation par les sans abri, l’acte du Panthéon est comme un manifeste, une prise de risque calculée y compris de la part de la mairie de Paris.

 

Car le cas échéant, tout cela peut disparaître rapidement pour libérer le pavé au profit d’autres usages. Mais on pourrait tout aussi bien assister à un phénomène inverse : le dialogue parfois difficile entre les services municipaux et la société civile a sans doute permis d’avancer sur la voie d’une utilisation pertinente du bois local exposé à l’environnement urbain parisien.

 

Si le bois réussit à passer le test de la Place du Panthéon, s’il parvient à séduire pour humaniser des lieux urbains d’une minéralité écrasante, l’ajout d’éléments en bois de toutes sortes, y compris en façade, coulera enfin de source.



Source : batirama.com / Jonas Tophoven

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