Dans le paysage européen, GrDF est un objet inhabituel. L’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie a partout séparé les fonctions de vente et de distribution du gaz. Ailleurs en Europe, il existe dans chaque pays une ou plusieurs entreprises dont la mission consiste uniquement à distribuer le gaz pour le compte des vendeurs. Ces entreprises ont comme clients les vendeurs de gaz et non l’utilisateur final qui demeure le client des fournisseurs ou vendeurs de gaz.
En France, comme souvent, c’est différent. GRDF (Gaz Réseau Distribution de France) a deux sortes de clients. Ce sont d’abord, comme ailleurs en Europe, les fournisseurs de gaz pour lesquels GRDF achemine le gaz naturel. La CRE recense 29 fournisseurs nationaux et près de 40 fournisseurs non-nationaux.
Pour les clients domestiques, il y a, par exemple, 16 fournisseurs à Paris et à Lyon, 15 à Lille, … Ce sont par exemple, alterna, antargaz, Butagaz, … jusqu’à Vattenfall en passant par EDF et Engie. Mais GRDF a aussi, selon l’article L121-32 du Code de L’Energie, des responsabilités envers les millions de clients raccordés à son réseau. Il doit notamment conduire auprès d’eaux des actions d’économie d’énergie, participer à la protection de l’environnement et valoriser le biogaz.
Directeur Général de GRDF depuis le 1er janvier 2016, Édouard Sauvage a présenté les résultats de l’entreprise le 19 mars. ©GRDF - Julien Lutt
Le 19 mars 2019, GRDF a présenté ses résultats financiers 2018 : CA de 3 477 M€, résultat 143 M€ selon Edouard Sauvage, le directeur général de GRDF. En 2018, GRDF a investi 973 M€, dont plus de 300 M€ consacrés à la modernisation et à la sécurité du réseau. A propos de sécurité, l’enquête sur les causes de l’explosion due au gaz survenue mi-janvier rue de Trévise dans le IXème arrondissement de Paris, est toujours en cours et les responsabilités ne sont pas encore attribuées.
Côté raccordements, 2018 a vue le raccordement de 28 791 clients domestiques et tertiaires supplémentaires. Ce qui porte à 11 millions le nombre de foyers desservis par GRDF, soit environ 27,6 millions de personnes ou encore 1 français sur 3. Bref, GRDF est raisonnablement optimiste. L’entreprise estime que le gaz – naturel ou biogaz – a toute sa place dans la transition énergétique, qu’il s’agit même d’un vecteur énergétique indispensable pour faciliter la transition vers un monde décarboné.
GRDF, GRTgaz et l’Ademe estiment possible que 100% du gaz vendu en France soit d’origine renouvelable en 2050. ©Ademe
L’Ademe, GRDF et GRTgaz – l’entreprise chargée de gérer le réseau de transport de gaz - ont d’ailleurs conjointement mené et publié une étude sur la faisabilité technico-économique d’un gaz d’origine renouvelable à 100% d’ici 2050. L’étude estime que c’est parfaitement possible. Elle calcule que le gisement de gaz renouvelable injectable dans le réseau atteint 460 TWh par an, en mobilisant trois filières : la méthanisation (30% du gisement), le pyrogazéification (40%) et le Power-to-gas (30%).
Petite difficulté, dans les 4 scénarii étudiés, le prix du gaz renouvelable serait compris entre 116 et 153 €/MWh, alors que le prix du gaz sur les marchés de gros en Europe se situait autour de 20 €/MWh fin 2018. Bref, c’est pas gagné pour la vertitude du gaz.
GRDF est néanmoins confiant et met plusieurs arguments en avant. Tout d’abord, 100% de gaz renouvelable d’origine française représentent des milliards d’Euros d’amélioration de la balance commerciale. Ensuite, la majorité de ce gaz serait produite par des agriculteurs dans des installations de méthanisation décentralisées sur tout le territoire : autant de sources de revenu en plus pour une profession en difficultés.
De plus, l’emploi de gaz naturel, dans la perspective d’une généralisation de la Taxe Carbone est plus avantageux que celui des carburants traditionnels pour le transport et nettement plus que le charbon pour la production d’électricité en centrales. Enfin, le Power-to-gas est incontournable dans la perspective d’un fort développement de l’électricité éolien et photovoltaïque.
La filière du biogaz compte déjà environ 1 millier d’acteurs, selon le Club Biogaz.©GRDF - Studio VDM
Arrêtons-nous un instant sur les trois technologies proposées pour la production de gaz d’origine renouvelable. La méthanisation ou digestion anaérobie est un processus naturel biologique de dégradation des matières organiques en l’absence d’oxygène. Ce processus devient une technique mise en œuvre dans les méthaniseurs où il est entretenu et accéléré pour produire d’abord du biogaz, puis du biométhane après épuration.
Les matières organiques utilisables en quantité sont issues de quatre grands secteurs : l’agriculture – l’Ademe estime que 150 millions de tonnes de déchets agricoles pourraient être valorisés en production de biogaz -, l’industrie agro-alimentaire et les sucreries fonctionnant à base de betteraves, les déchets ménagers et les boues d’épuration.
Le biogaz est composé de méthane CH4 entre 50 et 70%, de gaz carbonique (20 à 50%) et de traces d’autres gaz : NH3, N2, H2S. son pouvoir calorifique varie de 5 à 7 kWh/Nm3, contre 9,7 kWh/Nm3 pour le méthane. Pour les agriculteurs, l’Ademe a publié une brochure «La méthanisation à la Ferme » qui explique l’intérêt et pointe les difficultés de la méthanisation de déchets agricoles.
Le projet d’entreprise de GRDF prévoit aussi une plus grande participation des femmes dans ses forces de travail. L’entreprise compte aujourd’hui 3 046 femmes, soit 26,7% de son effectif. ©GRDF
Selon l’ATEE, à fin juillet 2018, la France comptait 553 installations de production de biogaz par méthanisation, dont 406 utilisant le biogaz en cogénération (production simultanée de chaleur et d’électricité), 44 pour la production de biométhane et 103 valorisant le biogaz comme combustible de chaudières.
Les progrès semblent très rapides, puisque mi-mars 2019, GRDF recensait 84 sites d’injection de biométhane en France, dont 73 sites injectant dans son réseau. Ce qui représente 1 320 GWh de capacité et plus de 130 000 tonnes d’émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) non-émises. 661 sites d’injection sont en projet, soit 14 TWh de capacité. C’est déjà plus que ce que prévoit le projet de PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) pour les périodes 2019 – 2023 et 2024 – 2028.
La PEE vise une production globale de 14 TWh en 2023 et de 24 à 35 TWh en 2028, avec un objectif de coût de production de 67 €/MWh PCS en 2023 et de 60€/MWh PCS en 2028. Naturellement, GRDF espère que les objectifs de la PPE seront revus à la hausse et table sur le développement du marché pour faire baisser les coûts de production. Le Club Biogaz, qui rassemble les acteurs de la filière depuis les fabricants de matériels jusqu’aux entreprises productrices, compte déjà plus de 1000 membres.
La pyrogazéification est un procédé thermochimique dans lequel de la biomasse ou des déchets préparés, dits CSR ou Combustibles Solides de Récupération, sont chauffés entre 900 et 1200°C en présence d’une faible quantité d’oxygène pour obtenir un gaz de synthèse (syngaz). Le syngaz produit est ensuite traité en vue de la production d’électricité, de chaleur ou de la production de méthane de synthèse injectable dans le réseau.
Les procédés de pyrogazéification apportent des réponses complémentaires de la méthanisation. Ils optimisent la valorisation énergétique de nombreuses biomasses et déchets aujourd’hui non-valorisables ou difficiles à traiter. La pyrogazéification contribue, aux côtés du biométhane issu de méthanisation, à l’atteinte de l’objectif de 10 % de gaz renouvelable dans les réseaux à l’horizon 2030, fixés dans la Loi sur la Transition Energétique et la Croissance Verte.
Elle participe au développement d’une filière nouvelle pour traiter des biomasses non alimentaires, plus difficilement valorisables par méthanisation (résidus agricoles non fermentescibles, biomasse ligno-cellulosique …). Les premières installations devraient entrer en service en 2020.
Le Power-to-gas est un élément d’un système généralisant l’électricité d’origine renouvelable. Lorsque les éoliennes et/ou les panneaux photovoltaïques produisent, mais qu’il n’y pas ou peu de demande d’électricité, le surplus d’électricité est utilisé pour produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. L’hydrogène est injecté dans le réseau gaz, soit directement, soit après transformation en méthane de synthèse en l’associant à du CO2 dans un procédé de méthanation.
Engie et GRDF conduisent à la Capelle-la-Grande, un premier démonstrateur de Power-to-gas. Il injecte déjà 6% d’hydrogène dans le réseau local, sans incidence particulière sur le fonctionnement des cuisinières, chauffe-bains et chaudières à gaz individuelles du quartier. Le but est d’augmenter lentement ce pourcentage pour parvenir à une recommandation applicable à l’ensemble du réseau de gaz en France. Il est très probable que l’on puisse atteindre 20% sans difficulté.
Bref, GRDF envisage parfaitement un réseau gaz quasi-décarboné à l’horizon 2050. Il maîtrise les technologies nécessaires et espère que la politique énergétique de la France l’autorisera à les déployer à grande échelle.
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Bonjour, Si j’ai bien compris, la méthanisation fournira dans ce scenario 150 TWh/an (30% du gaz naturel) en 2050. Si les 661 projets d’injection arrivent à 14 TWh/an, alors il va falloir en 2050 pas moins de 7000 méthaniseurs. Avec une répartition homogène sur la SAU française, il en faudra un tous les 4 km ! Où iront-ils chercher les intrants ? Belles bagarres en perspectives … Sincèrement Le CSNM (https://twitter.com/CSNM9)