L’homme qui comptait les arbres sur la planète

L’homme qui comptait les arbres sur la planète

Le Gallois Thomas Crowther, 32 ans, nommé professeur à l’université ETH de Zurich, a repéré un potentiel de 1200 milliards d’arbres pouvant être replantés sans impacter la production agricole.




Passons sur la biographie sympathique d’un jeune homme que rien, vraiment, ne prédisposait à devenir professeur à la prestigieuse université de Zurich, sinon le charisme. Tout commence en fait lorsque le Gallois, après une thèse sur des champignons, rejoint l’université de Yale et relève un défi gigantesque : compter les arbres de la planète.

 

Il se trouve qu’un enfant « millenium », fils d’un membre allemand du Club de Rome, lance à l’âge de neuf ans l’initiative ‘Plant for the planet’, en 2007. L’initiative de Felix Finkbeiner se déploie comme une traînée de poudre et est bientôt parrainée par les Nations-Unies, en se fixant l’objectif d’atteindre un milliard d’arbres plantés.

 

Reste à quantifier l’impact d’une telle initiative en termes d’effet sur le climat, si tant est qu’elle aboutisse. Il existe bien une estimation du nombre d’arbres par la NASA, sur la base d’images de satellites qui ne montrent cependant que la canopée.

 

400 000 points de comptage sur toute la planète

 

Thomas Crowther va synthétiser les données terrain de plus de 400 000 points de comptage répartis sur toute la planète, dont l’extrapolation lui permettra de parvenir à l’estimation selon laquelle la planète compte environ 3 000 milliards d’arbres, soit sept fois plus que les estimations de la NASA.

 

Dans la foulée, le programme ‘Plant for the planet’ revoit ses objectifs à la hausse, passant de 1 milliard à la bagatelle de 1 000 milliards d’arbres à planter. Soit une augmentation théorique de la couverture forestière mondiale de l’ordre d’un tiers qui, selon les calculs de Thomas Crowther, permettrait de gommer dix années d’émissions humaines de carbone.

 

On en est encore loin, et la planète perd actuellement deux arbres par habitant et par an, soit 15 milliards d’arbres chaque année, même si le programme lancé par Felix Finkbeiner revendique déjà 14 milliards d’arbres replantés, notamment grâce à la contribution massive de pays comme la Chine, le Pakistan et l’Inde.

 

 

La compréhension des mécanismes du climat passe aussi par la microbiologie. ©ETH Zurich / Peter Rueegg

 

Une approche multidisciplinaire pour le Crowther Lab

 

L’étude de Crowther paraît en 2015 dans la revue Nature et fait un tabac, tout en suscitant une vive animosité du camp trumpiste pendant la campagne électorale, comme le chercheur le met en exergue d’entrée de jeu pendant sa conférence inaugurale.

 

D’ailleurs, un peu plus tard, une autre étude est publiée, dont il ressort qu’une replantation massive de forêts en Europe, de l’ordre de la surface de l’Espagne, perdrait son effet de captation de carbone à cause de l’absorption de la lumière par les feuilles ou aiguilles, et le réchauffement induit.

 

De même, des voix se sont élevées après l’incendie de Fort Mc Murray pour souligner les risques d’une replantation indiscriminée, qui peut créer des bombes à retardement avec des émissions massives de carbone en cas d’embrasement. Indépendamment de la valorisation politique de tels points de vue, dans le sens d’une immobilisation des efforts, il semble urgent de mieux comprendre l’interaction entre les forêts et le climat.

 

Le Crowther Lab s’y attelle avec une approche multi-disciplinaire qui bénéficie désormais d’un soutien important de la part d’une ONG néerlandaise. La jeune équipe autour de Thomas Crowther se penche à la fois sur le comportement des forêts (la biodiversité, les arbres, le sol, les champignons et les micro-organismes) et sur les enjeux de communication. Un grand écart parfaitement assumé.

 

 

L’Afrique du Sud est l’une des zones où replanter massivement peut avoir un sens. ©ETH Zurich / Peter Rueegg

 

La recherche qui agit

 

La climatologie est une discipline relativement récente, mais quand on écoute les passionnantes explications de Thomas Crowther, on se demande si la recherche universitaire est complètement restée à l’écart des questions scientifiques qui commandent la survie de l’humanité.

 

A moins que le Crowther Lab ne soit simplement la manifestation d’une nouvelle formule de recherche scientifique, qui sait prendre la lumière et capter les soutiens financiers, face à des chercheurs englués dans leurs modes de travail et de communication à l’ancienne.

 

On peut en effet critiquer aujourd’hui des démarches de reboisement orientées vers la production de bois d’œuvre, et qui assèchent dangereusement les sols, comme cela s’est produit en Californie avec des effets terribles, mais sans doute aussi en Chine.

 

De nouvelles approches scientifiques

 

Dans le même temps, on peut se demander ce que le système de recherche universitaire a fait au cours des décennies passées pour empêcher de telles dérives qui sont le fruit du passé. De quoi se sont-ils préoccupés, au juste ? De la productivité industrielle des forêts ?

 

Ce doute qui point quand au fonctionnement classique de la recherche incite à encourager des approches nouvelles comme celles, justement, d’un Crowther Lab qui accompagne le développement d’un réseau de désormais 1,2 million (!) de points de mesure des forêts, toujours plus précis en matière de remontée d’informations.

 

D’ailleurs, on ne peut reprocher à cette équipe son extrémisme dendrologique inconsidéré. Ainsi, dans sa leçon inaugurale mise en ligne et dont le seul défaut est qu’elle n’est pas sous-titrée en français, Thomas Crowther se risque à une évaluation de la valeur globale annuelle des forêts du monde, à 616 milliards de dollars US, et avance que ces forêts perdraient un tiers de leur valeur si elles étaient remplacées par de la monoculture.

 

Quant à la campagne ‘Plant for the planet’, elle a été réaxée sur son objectif de 1000 milliards d’arbres suite aux conclusions des recherches entreprises autour du chercheur gallois, qui a repéré un potentiel de 1200 milliards d’arbres pouvant être replantés sans impacter la production agricole.

 

 

Replanter, c’est bien, mais veiller sur les plants, c’est encore mieux. ©ETH Zurich / Peter Rueegg

 

Objectif un milliard d’arbres en France

 

Replanter mille milliards d’arbres et reboiser massivement, cela concerne aussi la France. A la louche, la contribution de la métropole serait d’un milliard d’arbres, soit la couverture forestière de la Suisse. On en est très loin, même si le ranking en ligne de la campagne ‘mille milliards d’arbres’ place la France à une position appréciable.

 

Il ne faut pas voir la question du reboisement dans la seule perspective d’une compétition avec les surfaces agricoles. En France, chaque année, 60 000 hectares de terre sont artificialisés, soit la taille du Territoire de Belfort. Aujourd’hui, la part du territoire artificialisée frôle les 10% contre 8,3% en 2006. Ce qui revient peu ou prou à retirer cette surface de sa contribution à la lutte contre les effets de serre, sans aucune contrepartie contractuelle, et en ne parlant même pas de la comptabilisation lourde du bilan carbone de ces opérations.

 

Les promoteurs sont parvenus à faire enterrer une taxe allant dans le sens d’une compensation, et les entrepreneurs de travaux publics veillent au grain, si l’on peut dire. Envisager sérieusement et logiquement de replanter un milliard d’arbres en France, en plus, c’est un objectif fort qui permettra au moins de remettre en question ces dérives, tout en accompagnant de façon active le changement climatique.

 

 

Si l’homme protège les arbres, les arbres protègent l’homme. ©ETH Zurich / Peter Rueegg

 



Source : batirama.com / Jonas Tophoven

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