Reprenons l’histoire, le monde de la construction neuve travaille sous l’empire de la RT2012, qui depuis l’origine n’est pas appliquée entièrement. En effet, une dérogation avait été introduite dès l’origine relevant de 15% le seuil de consommation énergétique conventionnelle des logements collectifs neufs.
C’était le fameux coefficient 57,5 appliqué au calcul du C pour les logements neufs, au lieu de 50 pour tous les autres bâtiments neufs.
Cette dérogation devait initialement disparaître en janvier 2015. Un arrêté l’avait reconduite jusqu’au 1er janvier 2018. Puis un nouvel arrêté l’a maintenue jusqu’à l’entrée en vigueur de la future RE2020. Donc, la RT2012 n'est pas encore appliquée.
Le Collectif Effinergie ne manque d’ailleurs pas une occasion de souligner ce paradoxe. Les logements collectifs neufs construits aujourd’hui sont moins performants du point de vue énergétique que les logements collectifs neufs construits en BBC en 2007, il y a 12 ans. Effinergie explique que pour un logement de 62 m², le maintien de cette dérogation conduit à une surconsommation conventionnelle de 12 à 16 kWh/m².an, en fonction des zones géographiques.
Voici donc un retour en arrière. Comme le souligne sans relâche Effinergie, « en 2012, 70% des logements collectifs autorisés en France, soit près de 160 000, répondaient au label BBC-effinergie et consommaient déjà moins de 50 kWh/m2.an. Il parait aberrant 7 ans plus tard, de laisser quasiment 100% des logements neufs ne pas atteindre cette performance ».
En fait, ce n’est pas aberrant. Les règlementations thermiques successives ont toujours été le résultat du choc de multiples influences de différents acteurs, sans toujours mettre en avant l’intérêt général. Souvenons-nous encore comment le solaire thermique collectif a brutalement disparu de la construction neuve en quelques semaines début 2013.
Durant les années 2007 à 2012, la méthode de calcul RT2005 et celle du label BBC ont fait le succès du couple chaudière à condensation + solaire thermique, en maison individuelle, mais surtout en logements collectifs neufs. Les industriels avaient développé des packages techniques et commerciaux, associant condensation et solaire thermique. Les entreprises de chauffage avaient ré-appris à poser du solaire thermique en collectif et développé des préfabrications pour faciliter la mise en place sur chantier.
L’Association pour l’Equilibre des Energies, une émanation directe d’Edf qui soutient sans réserve le développement du chauffage électrique, ne cessait alors de s’indigner contre la domination nette du gaz en construction neuve de logements collectifs. Arrive la RT2012 avec une méthode de calcul différente de celle de la RT2005. Soudain, le couple chaudière gaz à condensation + solaire thermique ne ressort plus du tout comme une solution intéressante du point de vue réglementaire.
En quelques semaines, début 2013, cette solution disparaît complètement des prescriptions des Bureaux d’Etudes thermiques. De plus, en logements collectifs neufs, la RT2012 supprimait toute obligation de mettre en œuvre des ENR (Energies Renouvelables). Résultat, le solaire thermique a complètement disparu du collectif neuf. En maison individuelle, où l’obligation d’utiliser une petite quantité d’ENR persistait dans la RT2012, il a été remplacé par le chauffe-eau thermodynamique, dont les ventes ont été multipliées par 4 entre 2013 et 2018, faisant de la France le premier marché d’Europe pour ce type d’appareils.
Faisons là-aussi un nouveau retour en arrière. La RE2020 n’est pas une intention purement française, une sorte d’élan vers une vertitude affirmée. Elle résulte directement de la Directive Européenne (UE) 2018/844 du Parlement Européen et du Conseil. Publiée le 30 Mai 2018, celle-ci succède à la Directive 2010/31/UE et l’approfondit.
Elle reprend notamment l’exigence, contenue dans l’article 9 de la Directive 2010/31/UE : « les Etats Membres veillent à ce que d’ici au 31 décembre 2020, tous les nouveaux bâtiments soient à consommation d’énergie quasi nulle ; et après le 31 décembre 2018, les nouveaux bâtiments occupés et possédés par les autorités publiques soient à consommation d’énergie quasi nulle ».
Bon, la France a laissé passer l’échéance du 31 décembre 2018 sans s’en vanter. Pourtant, cette idée de bâtiments publics à consommation quasi nulle figurait dans l’article 8-II de la loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte de 2015 qui stipule que « toutes les nouvelles constructions sous maîtrise d’ouvrage de l’État, de ses établissements publics ou des collectivités territoriales font preuve d’exemplarité énergétique et environnementale et sont, chaque fois que possible, à énergie positive et à haute performance environnementale ».
Mais voilà, en 2019, ça n’a jamais été possible apparemment. Notre pays a cependant doublé sa mise. La Directive (UE) 2018/844 parle beaucoup d’énergie, mais à propos de l’empreinte carbone des bâtiments, elle demande seulement que soit systématiquement pratiquée une Analyse du Cycle de Vie (ACV) pour chaque bâtiment neuf.
La France a d’abord traduit « énergie quasi nulle » par Bepos (Bâtiment à énergie positive), dont Le décret du 21 décembre 2016, puis l’arrêté du 10 avril 2017 précisent la définition, et surtout ajouté un important volet carbone à la prochaine RE2020, à travers l’expérimentation E+C-. Les deux mêmes décret et arrêté définissent également du bâtiment à haute performance environnementale. Jusqu’au 14 janvier 2020, nous en étions là.
Cette fois-ci, avec la RE2020 en préparation, le gouvernement a été nettement moins habile. Au lieu de raffiner la méthode de calcul RE2020 pour orienter le marché discrètement vers certains types de solutions, comme cela avait été fait habilement avec la RT2012, il a étalé ses intentions et énervé de nombreux participants à l’acte de construire, comme on dit.
En effet, le 14 janvier, dans un simple communiqué de presse, Elisabeth Borne, Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire, annonçait les trois priorités de la future RE2020.
Premièrement, diminuer l’impact des bâtiments neufs sur le climat, rappelant l’obligation d’une ACV et appelant au développement de nouveaux modes constructifs qui émettent peu de gaz à effet de serre ou permettant d’en stocker. Ce qui a tout de suite rempli d’aise la filière bois et beaucoup énervé celles du ciment, du béton et de l’acier.
Deuxièmement, poursuivre l’amélioration de la performance énergétique et la baisse des consommations des bâtiments neufs, en insistant sur l’isolation thermique et promettant un renforcement de l’indicateur Bbio qui traduit la performance de l’enveloppe du bâtiment. Ici, rien que du bon. Ce second objectif écarte le compromis possible : un bâti médiocre associé des solutions thermiques très performantes.
Troisième objectif, garantir aux habitants que leur logement sera adapté aux conditions climatiques futures en introduisant un objectif de confort d’été pour que les bâtiments résistent mieux aux épisodes de canicules. Cet objectif ouvre un vaste chantier. Tout d’abord, les règlementations thermiques successives reposaient sur des historiques trentenaires des données météo . La Ministre indique peut-être une évolution vers la prise en compte explicite dans le calcul de données météo prévisionnelles pour les 30 prochaines années. On nous prédit des canicules plus sévères et plus fréquentes. Il serait absurde de ne pas en tenir compte dans la conception des logements. Pour les concepteurs, cet objectif remet les protections solaires au premier plan, conforte l’isolation thermique par l’extérieur plus efficace contre la chaleur et pose la question d’un rafraîchissement actif.
Le troisième paragraphe de la seconde partie du communiqué de presse du 14 janvier indique que le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire sera de 2,3, contre 2,58 aujourd’hui, et que le facteur d’émission de CO2 de l’électricité sera de 79 g/kWh. Objectivement, ces deux éléments donnent un coup de pouce formidable à l’électricité en construction neuve.
Aussitôt, l’Association Coénove – qui rassemble les distributeurs de gaz et les industriels de la chaudière – s’indigne de ces mesures favorisant l’énergie concurrente au détriment du gaz. Coénove explique qu’il s’agit là d’un plan machiavélique pour favoriser le nucléaire et justifier la construction de nouveaux EPR comme le demande EDF. Peut-être bien, mais la filière nucléaire française montre une particulière incompétence dans la construction de nouvelles centrales depuis 15 ans. Et ces deux petites dispositions ne suffiront pas à effacer ses énormes ardoises successives et à redorer son blason suffisamment pour que l’Etat autorise la construction de nouveaux EPR.
Ensuite, dit Coénove, le chauffage électrique, c’est pas confortable, admettant tout de même que les radiateurs électriques actuels n’ont plus grand-chose à voir avec les émetteurs des années 80. Surtout, l’enjeu de la RE2020, avec une performance encore accrue des bâtiments grâce à une sévérisation du Bbio, ce ne sera pas le chauffage. Nous serons sans doute face à des besoins de puissance chauffage de l’ordre de 800 à 1000 W pour un logement collectif de 100 m² en RE2020. L’enjeu ce sera plutôt le rafraîchissement pour lequel les technologies gaz ont de grands progrès à faire en matière de solutions individuelles.
D’ailleurs, l’Afpac – l’Association française des pompes à chaleur – ne s’y est pas trompée et se félicite de ces deux annonces qui vont objectivement favoriser les pompes à chaleur à compression électrique.
Le communiqué de presse du 14 janvier réaffirme aussi l’entrée en vigueur de la prochaine RE2020, avec ses deux volets carbone et énergie, au premier janvier 2021. Les textes et la méthode de calcul devraient être publiés à l’automne pour une application moins de trois mois plus tard.
Ce serait du jamais vu. Cela signifie que les BET et les promoteurs n’auront que quelques semaines pour s’adapter à une nouvelle approche. Prédisons, sans trop de risques, qu’il se produira une forte hausse des dépôts de permis de construire au cours du dernier trimestre 2020, les acteurs préférant travailler dans l’environnement familier de la RT2012, plutôt que de s’aventurer dans l’inconnu, sombre et touffu, de la RE2020. Les promoteurs, qui n’ont pas encore dit grand-chose, vont peut-être monter au créneau pour demander de repousser la date d’application de la RE2020.
Mais rien n’est dit. La méthode de calcul RE2020 n'es pas encore connue. Même si un certain nombre d’annonces discrètement postées sur le site www.batiment-energiecabone.fr et rassemblées par l’Iceb (Institut pour la Conception Écoresponsable du Bâti) dans un document de synthèse laissent présager une future RE2020, à la fois confuse et sans ambition, bien en ligne avec le fait que la RT2012 ne s'applique toujours pas à la construction neuve de logements collectifs.
Bel article Pascal. C'est toujours bon de regarder dans le rétroviseur pour constater le manque de cohérence de nos politiques publiques. J'ajouterais juste ceci, l'Etat français a considéré qu'il respectait déjà les exigences de la directive européenne sur les "bâtiments à énergie quasi nulle" (NZEB) grâce à la RT 2012 (sI, si) ! Il l'a signifié en ce sens à Bruxelles. Le jour où j'ai appris ça j'ai failli tomber de ma chaise.
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