Légende : Les forêts européennes représentent un puits de carbone vital à la fois sur pied et dans leur « seconde vie » en substitution.©JT
On connait la musique : à intervalles réguliers, l’Etat réalise que quelque chose ne tourne pas rond dans la forêt et la filière bois française. Et commande un nouveau rapport à une personnalité qualifiée et respectée, qui consulte et formule des préconisations.
Le rapport lui-même ne manque pas de souligner qu’il s’inscrit dans une longue suite de rapports restés plus ou moins sans effet. Un contexte qui explique pourquoi la mission confiée à une très jeune députée membre de la commission des finances, issue du département du Nord et plutôt investie dans l’agro-alimentaire est passée quasiment inaperçue.
Et pourtant, il ne s’agissait pas une fois de plus de trouver la solution pour faire sortir la filière de son présumé second poste de déficit de la balance commerciale française. Cette fois, en pleine crise des scolytes, le thème concerne l’adaptation de la forêt française face au changement climatique.
L’été 2020, c’est l’automne avant l’automne avec des résineux qui dépérissent, avec un été après l’été, en septembre, qui aggrave le stress hydrique. © JT
Pourtant, ce thème de l’adaptation de la forêt française au changement climatique se rapproche sensiblement du thème de la performance économique et de la balance commerciale. Les colloques de spécialistes se suivent, les fondations se créent, les initiatives se multiplient.
Le sujet est épineux et peut nourrir des vies de chercheurs, ainsi que d’interminables débats dont la prolongation se nourrit aussi du manque de moyens disponibles pour agir. Il confronte l’opinion publique européenne a un drame cornélien.
D’un côté, la forêt étant le symbole de la nature, un pôle d’opinion conduit par l’auteur de bestseller Peter Wohlleben penche pour un espoir de régénération de la forêt européenne si on la laisse en paix, au risque de détruire tout simplement la filière de transformation du bois.
A l’inverse, on peut imaginer que le changement climatique incite à augmenter sensiblement les récoltes de bois afin d’accélérer l’adaptation de la forêt par le recours à des essences mieux adaptées. Les urbains qui dominent l’opinion européenne, et qui ne connaissent pas grand-chose à la forêt, penchent pour une approche romantique de sanctuarisation.
Les acteurs de la transformation, pour leur part, sont conscients des risques induits par une intervention humaine radicale, alors que les essences alternatives sont confrontées à une évolution dynamique. En d’autres termes, le choix d’une essence de remplacement sera judicieux pour la première phase de croissance mais inadapté pour la seconde. Existe-t-il seulement des solutions face à un choc climatique aussi violent et aussi rapide ?
Forêt humide préservée autour d’un bras mort de la Meuse. La question de la préservation des espaces naturels est un sujet sociétal sensible. ©JT
Le choix de la députée Anne-Laure Cattelot pour remettre ce rapport peut poser question à certains. Il faut préciser qu’elle a grandi dans une entreprise de caisserie près de la forêt de Mormal, au beau milieu de la zone la plus boisée du département.
Ce n’est pas courant qu’un rapport national sur la forêt soit demandé à une fille de scieur, et d’une certaine manière, on peut dire que la filière bois n’a pas laissé passer cette occasion.
En tout cas, la filière bois, représentée par la FNB (Fédération nationale du bois), applaudit des deux mains le travail accompli, qui s’achève juste au moment où le plan de relance veut consacrer 200 millions d’euros à cette filière. Il faut dire que le ministre de l’agriculture, ancien ministre du Logement, est parfaitement au fait des enjeux de la construction biosourcée.
"Ce rapport illustre toute la richesse, la diversité, mais également la complexité des forêts françaises et des enjeux auxquels la filière forêt-bois est actuellement confrontée » a ainsi déclaré Julien Denormandie, ministre de l’agriculture.
Et de poursuivre : « Par ses propositions concrètes, il sera un support précieux de l'action du Gouvernement sur la filière forêt-bois pour les deux prochaines années. Je crois au potentiel de cette filière pour répondre au défi de transition écologique et bas carbone de notre économie. Le plan de relance que le Gouvernement vient de prévoit 200 millions d’euros d’investissements pour la forêt pour justement répondre à cette ambition."
Beaucoup de parcelles de résineux, notamment privées, se trouvent aujourd’hui dans un état catastrophique. ©JT
Les étoiles semblent donc bien alignées pour que ce document ne soit pas un rapport comme les autres. D’ailleurs, il tranche avec les habitudes à plusieurs niveaux. Sur le plan formel, le titre de ce document pas très long est presque énigmatique et un peu ludique : « La forêt et la filière bois à la croisée des chemins : l’arbre des possibles ».
L’avant-propos est un vibrant plaidoyer pour la forêt, particulièrement inspiré, dégagé des poncifs et tourné vers l’action immédiate concrète. Du même ordre, l’introduction débouche tout de go sur une liste de 19 préconisations qui sont ensuite étayées, avec pour finir des annexes d’une grande richesse iconographique et informationnelle. Au point qu’on se demande si ce rapport ne devrait pas prendre carrément une autre forme, ouvrage, documentaire, conférence en ligne…
La destruction des épicéas de plaine semble irréversible.©JT
L’évolution formelle cadre avec une évolution de la méthode. Comme le précise Wikipédia, « le 25 février 2020, la députée auditionne six ONG (France Nature Environnement,Humanité et Biodiversité, leComité français de l’UICN,Réserves naturelles de France, laLPO et leWWF).
Ces six organisations publient en juin 2020, une synthèse des échanges dressant un constat de la situation de crise des forêts françaises suivi de cinq principes et 21 propositions susceptibles d'inspirer l'action publique ».
Anne-Laure Cattelot ouvre ainsi la voie à une formalisation du rejet politique des coupes rases tel qu’il s’exprimera dans les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Cette question des coupes rases qui est en passe d’occulter le débat naissant autour de la forêt, tel un abcès de fixation.
Au début de l’été, le nouveau ministre de l’agriculture était monté au créneau pour défendre les coupes rases alors que le Président de la république avait annoncé qu’il reprendrait les propositions de la Convention, dont également celle qui demande d’interdire les coupes rases au-delà de 0,5 hectares.
Les dommages s’étendent bien au-delà de l’épicéa : dépérissement d’un peuplement de châtaigniers à cause de l’encre.©Unisylva
Pour la FNB, cette question symbolique, est l’un des deux « bémols » qui tempèrent son approbation enthousiaste du rapport. Dans un communiqué, la Fédération avance un argument, qui est celui du risque de déséquilibre commercial, dès lors que la France limite les coupes rases alors que les autres acteurs de ce marché mondial du bois ne le font pas.
La FNB estime que le choix du mode de coupe est régional et s’inscrit dans des traditions sylvicoles spécifiques. C’est vrai a contrario pour les coupes jardinières du Jura. Quant aux coupes rases de Douglas du Limousin ou du Morvan, elles relèvent d’une approche plus récente, et la question de la coupe masque l’enjeu central qui est celui du recours ou non à la monoculture.
De fait, arguer des traditions sylvicoles dans un contexte thématique qui est celui de la survie de la forêt face au violent changement climatique, c’est un peu oublier l’enjeu du rapport.
Et pourtant, la recommandation n°15 énonce : « Limiter la taille des coupes rases à 2 hectares maximum, hors cause sanitaire, au vu de leur sensibilité, des incertitudes environnementales et de leur incarnation d'un modèle mono-spécifique trop risqué à l'avenir du fait du changement climatique, la diversité des essences étant un facteur de résilience de la forêt et de la ressource bois ».
En complément, l’annexe 32 résume brillamment la complexité de la question. Avec sa proposition de limitation des coupes rases à un maximum de deux hectares (et pas les 0,5 hectare de la Convention), Anne-Laure Cattelot s’aligne précisément sur la préconisation 7 du document commun « Forêt française en crise » publié en juin dernier.
Reboisement d’une parcelle scolytée avec des plants feuillus protégés.©JT
On retrouve la même proximité avec le document commun quant à l’autre bémol exprimé par la FNB, qui se rapporte à la proposition d’étendre la surface des forêts sanctuarisée. La proposition 5 du rapport se réfère directement à un engagement du chef de l’Etat sur l’augmentation sensible de la part des aires protégées terrestres et marines « en pleine naturalité » d’ici 2022.
La proposition veut :
. engager une concertation régionale sur les objectifs de surface forestière à doter de protection réglementaire ou contractuelle, en tenant compte des forêts aujourd’hui en libre évolution, notamment en montagne.
. Engager la protection forte de 180 000 hectares de forêt tropicale en Guyane
La crise des scolytes suscite une renaissance du transport ferroviaire de grumes en France. ©UCFF
Pour le reste, les propositions de la députée tranchent enfin avec cette rhétorique lénifiante des propositions vagues allant dans le sens du « plus » ou du « mieux ». Avec précision et originalité, elles ne visent rien moins qu’un changement de paradigme et l’adoption par la société française d’un nouveau regard sur sa forêt.
Elles préconisent une augmentation massive des moyens et notamment la replantation de plus d’un milliard d’arbres. Dans son ambition, le rapport est à la hauteur de l’année charnière climatique 2020.
C’est sans doute un moment majeur de l’histoire de la filière bois française, à mettre sur le même plan que les propositions précises qu’elle avaient formulée en juillet 2012 afin de capter une part significative des droits d’émission de carbone, à destination d’une réorganisation profonde et dynamique de ce secteur économique.
A l’époque, ces efforts avaient débouché sur un flop fatal, car d’une part, le gouvernement avait alloué les recettes présumées des droits d’émission à d’autres organismes comme l’ANAH, et surtout, en conséquence de la crise financière, le cours du carbone avait fondu comme neige au soleil. Cette fois, la balle est dans le camp de la filière bois.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven