Bâtirama : Les difficultés actuelles du site de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, font-elles planer un risque sur la fragile filière de construction biosourcée du Sud de la France ?
Olivier Gaujard : Pour rappel, le site de Tarascon, qui produit de la pâte à papier à partir de résineux, se situe à la jonction de trois régions, Sud Provence Alpes Côte d'Azur (Paca), Occitanie et Auvergne Rhône-Alpes (Aura). Ces trois régions sont différemment impactées par les difficultés actuelles du site, sachant qu’un arrêt de l’activité, qui consomme habituellement plus d’un million de tonnes de bois d’industrie par an, aurait un impact économique jusqu’à la Franche-Comté.
Dans le Sud Paca, on estime qu’un tiers de l’économie de la filière bois (en volume de bois récolté) dépend du seul client Fibre Excellence, et la situation actuelle montre à quel point cette dépendance est dangereuse. Cette situation n’est pas une découverte, ni la prise de conscience des difficultés du site.
D’ailleurs, on ne peut pas dire que rien n’a été fait pour anticiper. Il y a eu par exemple les projets de développement de la filière bois énergie à Gardanne et à Brignoles et plus récemment la formulation de notre contrat stratégique régional de la filière bois, qui doit être validé d’ici la fin de l’année.
L’équipe de Fibois Sud, en première ligne face à la crise déclenchée par la cessation de paiement de Fibre Excellence Tarascon SAS. Olivier Gaujard, président de Fibois Sud, est le second à partir de la droite. © Fibois Sud
Quels sont les atouts qui permettraient le développement de la filière bois dans les régions Sud de la France ?
Olivier Gaujard : La construction bois n’est pas encore développée dans notre région, malgré un certain nombre de réalisations spectaculaires et pionnières comme à Mazan, à Marseille, à Aix, et tout récemment à Nice. La réglementation de prévention contre les feux de forêts n’est pas non plus favorable, même si des efforts sont faits pour la faire évoluer.
En principe, on avançait la question de l’inertie thermique contre la construction bois. Cependant, depuis plusieurs années déjà, l’association EnvirobatBDM stimule le développement de solutions biosourcées qui cadrent justement mieux avec la multiplication des phénomènes de canicule.
Par ailleurs, la région est boisée et potentiellement riche en bois d’œuvre. Par exemple, les études de terrain ont révélé récemment que rien que sur la zone de la Métropole Aix Marseille, il y aurait de quoi faire tourner une scierie consommant 25 000 m3 de grumes de pin d’Alep par an.
Nous savons qu’il y a des essences locales qui conviennent parfaitement pour développer une filière de bois d’œuvre. J’ai pu en faire l’expérience il y a une dizaine d’années dans le cadre de la construction de la salle polyvalente de La Boiserie à Mazan.
A présent, nos efforts portent sur l’émergence d’une filière de valorisation du pin d’Alep, déjà avancée dans le sens où la compatibilité de ce bois avec les normes de construction est acquise. En pratique, cependant, on ne compte dans la région SUD PACA que 22 petites scieries qui ne scient au total que 34 000 m3 par an. La plus grosse scie 3000 m3/an.
Ce volume est dérisoire quand on songe aux 1,9 million de m3 de sciages produits chaque année dans la région voisine de l’AURA. La faiblesse du tissu des scieries locales est d’ailleurs un problème pour le site de Tarascon qui aurait bien récupéré davantage de connexes et doit aller les chercher très loin.
Manifestation de la filière bois devant le site de Tarascon, le 30 septembre dernier.©Provence Forêt
Que va-t-il se passer avec la mise en redressement judiciaire de Fibre Excellence Tarascon SAS ?
Les activités devraient redémarrer incessamment, avec une garantie de paiement pour les approvisionnements à partir de la date de la mise en redressement. Un doute subsiste sur le paiement des approvisionnements des mois d’août et de septembre, en principe non couverts. Cela pourrait entraîner des défections d’entreprises en amont de la filière bois, notamment régionale.
Pour l’heure, un débat juridique est en cours pour savoir à qui appartiennent les billons livrés en août et septembre sur le parc à grumes du site de Tarascon, et non payés. Les exploitants forestiers sont impactés par la situation mais c’est une profession qui a pu poursuivre ses activités pendant le confinement sans trop de répercussions en comparaison de l’aval. Ils sont dans l’ensemble un peu moins fragiles que les producteurs de plaquettes pour les chaufferies, pour lesquels la saison de chauffe domestique ne fait que commencer.
La situation est inquiétante pour nombre d’acteurs de la filière bois régionale, mais si l’on prend le point de vue de la construction biosourcée, à quelque chose, malheur est bon. Cette situation critique est l’occasion de faire comprendre aux pouvoirs publics que ce qu’il faut faire maintenant, c’est accélérer la diversification de la filière.
Le pin d’Alep, espoir de la construction bois du PACA. ©Fibois Sud
Comment peut-on accélérer la diversification de cette filière ?
A Gardanne, nous proposons dans le cadre d’un projet de territoire la création d’un pôle bois qui inclurait notamment l’implantation d’une scierie de bois d’œuvre. Nos bois sont utilisables en construction, mais ils ont tendance à être un peu tordus et plutôt courts, de sorte qu’il faut en faire, notamment, des carrelets et du lamellé-collé.
Quant à la colle, elle est déjà globalement issue aujourd’hui à 40% de la chimie verte. Et justement, si à court terme le programme de développement de la filière bois de la Région SUD PACA doit préconiser le développement soutenu de scieries dans les années à venir, le grand espoir, selon moi, c’est que dans un délai nécessairement un peu plus long, une diversification s’opère vers la chimie verte.
Olivier Gaujard devant l’école du Boutours, en éminent promoteur longue durée de la construction biosourcée. ©JT
Cette diversification vers la chimie verte s’apparente-t-elle à la réalité ou la fiction ?
Olivier Gaujard : Je concède qu’en matière de scierie, rien n’est fait concrètement ; que la crise du scolyte peut constituer un frein, dans le sens où l’Europe fait face à un engorgement de bois attaqués à prix bas. Même si la filière de construction se développait, il faudrait trouver un exutoire pour le bois d’industrie, ainsi que pour les connexes des scieries.
Pour l’heure, l’un des enjeux de taille serait d’amener les exploitants et les ETF à changer leurs méthodes pour tronçonner les billons non pas dans une longueur de 2,5 mètres comme cela est demandé par le site de Tarascon, mais d’aller vers des longueurs supérieures qui s’apparentent à ce qui se fait ailleurs en France pour le bois d’œuvre.
Pour ce qui est de la chimie verte, des discussions sont d’ores et déjà en cours avec Novachim, l’organisme représentant la filière chimique au niveau de la Région.
Exemple de forêt de la région de Tarascon, essentiellement exploitée pour le bois d’industrie et à destination du site de production de pâte. ©FPLG
Même en tablant sur le meilleur scénario, l’arrêt possible du site de Tarascon ne menace-t-il pas directement à court terme l’emploi direct et indirect dans la région ? Ne parle-t-on pas, également, du risque de mauvais entretien des forêts, augmentant la probabilité d’incendies dans un contexte de choc climatique ?
Olivier Gaujard : il est malheureusement possible que le site de Tarascon ne trouve pas de repreneur, cela dépend aussi du contexte international, de l’évolution de l’indice HBSK pour la pâte résineuse, de nombreux paramètres souvent internationaux qui aujourd’hui ne sont pas particulièrement favorables.
Je pense qu’il ne faut pas s’accrocher inconsidérément à des espoirs aussi fragiles, mais accélérer dès maintenant la reconversion et la diversification de l’activité. C’est cela qui permettra le mieux d’atténuer le coût social d’une situation qui menace, selon moi, outre les employés du site, un tissu professionnel qu’il convient d’évaluer à un millier de personnes en emplois indirects pour la région SUD PACA.
Nous devons agir vite pour sauver le plus grand nombre possible d’emplois. Quant à la gestion des forêts vis-à-vis des risques d’incendies, elle est pour l’instant maîtrisée. Ce serait différent si on la laissait à l’abandon pendant plus d’une décennie.
Mais pour l’heure, la gestion au quotidien des forêts en termes de prévention contre les incendies ne va pas impacter particulièrement ce plan de reconversion. La forêt s’en sortira mieux que les professionnels, mais les professionnels ont une chance de rebondir, s’ils se réorientent ensemble vers une filière bois, diversifiée, durable et locale.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven