La future RE2020 déplaît à de nombreux acteurs du monde de la construction neuve. Une série d’articles fait le point sur la RE2020 depuis la fin du mois de novembre dernier : sur le détail de ses mécanismes et indicateurs, sur l’opportunité qu’elle présente pour le renouveau du solaire thermique en construction neuve, etc.
Aujourd’hui, une question se pose et qui hérisse beaucoup de monde : l’annonce d’un Bbio-30% par rapport à l’actuelle RT2012, dès l’entrée en vigueur de la RE2020 en juillet prochain. Naturellement, ce Bbio-30% sera une valeur moyenne. Dans la RE2020, nous devrions retrouver une formule de modulation du Bbio, en fonction de la zone climatique, de l’altitude, du type de bâtiment, … comme il en existe une dans la RT2012.
Le Bbio de la RE2020 sera donc sans doute plus sévère en zone H3 et en maison individuelle, qu’en zone H1 et en immeuble collectif. Mais, pour le savoir précisément, il faut encore attendre la publication du décret méthode et des deux arrêtés valeurs.
En attendant, de nombreux acteurs, dont le Pôle Habitat-FFB, annoncent d’énormes surcoûts de construction pour massifier le Bbio-30%. Pour en avoir le cœur net, nous sous sommes tournés vers les spécialistes de la construction passive, qui après tout, construisent depuis 30 ans avec des performances nettement meilleures que celles que demande la RT2012 et que demandera la RE2020. Deux questions leur ont été posées : quelles sont les valeurs de Bbio que des bâtiments passifs atteignent couramment et à quel coût de construction ?
Plus précisément, plusieurs acteurs ont bien voulu répondre : Tugdual Allain d’Equipe Ingénierie, et Maxime Brard qui a créé ecolocost en 2013, un promoteur constructeur Passivhaus, RE2020 et BEPOS. D'autres professionnels ont également répondu : Stéphane Cochet de A003architectes qui a derrière lui déjà plusieurs réalisations passives en logement collectif, ainsi que Catherine Charlot-Valdieu et Philippe Outrequin qui ont écrit ensemble «Maisons individuelles passives » et «Bâtiments passifs tertiaires ».
L’association La Maison Passive, qui promeut le standard Passivhaus en France, a d’ailleurs publié le 14 décembre dernier, un communiqué appelant à sévériser la RE2020 : Bbio-50%, encouragement de la VMC double-flux avec récupération de chaleur, la modification des coefficients de conversion de l’électricité en énergie primaire pour refléter une production d’énergie majoritairement renouvelable d’ici 50 ans, …
Stéphane Cochet a construit à Montreuil, un bâtiment tout bois R+5 de 17 logements avec des locaux d’activité en RDC. Ce bâtiment en locatif social, livré en 2016 à Osica/ Grand Paris Habitat, est multicertifié : Passivhaus, E+C-, BBCA, Bâtiment Biosourcé. Ses performances sont étonnantes : Bbio de 13,7, soit Bbiomax – 81%, Cep de 25,7 kWhep/m².an, soit CEPmax – 63,30%, Bilan Bepos E3 (103 kWh/m².an), étanchéité à l’air 0,2 m3/(h.m²) soit 80% de mieux que la RT2012, … ©A003architectes
Ces prestations se traduisent par des charges énergétiques (P1 : chauffage + ECS) inférieures de 60% à la moyenne observée dans des logements similaires selon une REX Observatoire des des charges durant 2 ans et des charges globales (P1 + P2) entretien compris, inférieures de 35%.
Le coût de construction, hors VRD et démolitions, mais comprenant l'installation PV en toiture, atteint 2000 € HT/m² SHAB+SU.
Tugdual Allain et Equipe Ingénierie ont étudié plusieurs opérations récentes en collectif, à la fois en RT2012 et au standard Passivhaus. Pour l’OPH de Nancy avec Mil Lieux comme Maître d’œuvre, Equipe Ingénierie a réalisé l’étude d’une résidence séniors à Art sur Meurthe. Cette résidence se compose de deux bâtiments, A et B. Le Bbiomax RT2012 pour le bâtiment A est de 98,9. Le Bbio du projet est 31,6, soit - 68%. Pour le bâtiment B, le Bbiomax atteint 98,2, tandis que le Bbio du projet est 31,6, soit - 67,8%.
Equipe Energie a également participé à la conception d’un bâtiment collectif neuf au standard passif pour le promoteur privé Kermarrec Promotion à Thorigné-Fouillard (35). Ce bâtiment de 35 logements du T2 au T5 affiche un Bbio de 18,4, soit Bbiomax - 62%, un CEP de 18,3 kWh/m².an. Tout cela pour un coût de construction de seulement 1 580 € HT/m². ©Kermarrec Promotion
Enfin, pour Icade Promotion, Equipe Ingénierie vient de finaliser avec la SARL Paumier Architectes Associés, un projet de 50 logements neufs à Epron. L’opération compte 3 bâtiments. A l’origine 1 seul devait être certifié Passivhaus sur les trois. Le promoteur s’est rendu compte, une fois la conception finie et les permis de construire acceptés, qu’il serait difficile de vendre des logements passifs et d’autres seulement RT2012 sur la même opération. Il a donc décidé de transformer les deux bâtiments RT2012 en bâtiments passifs certifiés. Ce qui est techniquement plus complexe qu’une conception initiale en passif.
Résultat, les trois bâtiments seront certifiés Passivhaus, avec un Bbio de 18,7 pour le bâtiment A contre un Bbiomax de 72, soit -74%. Le bâtiment B affiche Bbiomax – 71,25%. Tandis que le bâtiment C parvient à Bbiomax – 48,13%. L’opération est en fin de consultation des entreprises et, pour les deux bâtiments initialement conçus en RT2012, les coûts annoncés seront supérieurs de 4% pour atteindre le passif.
Ecolocost a construit 26 maisons accolées à Villeneuve-Saint-Georges, certifiées Passivhaus Classic. ©ecolocost
Ce projet en ossature bois, labellisé E3C2, Bepos Effinergie 2017 et Passivhaus, a été primé au Challenge LCA-FFB de l’Habitat Innovant 2019. Il est divisé en trois ensembles de maisons accolées, appelés bâtiment A, B et C. Le bâtiment A atteint un Bbio de 25,8 (soit Bbiomax RT2012 – 65,83%=, CEP = -1.3, ce qui en fait un bâtiment Bepos grâce au photovoltaïque sur le toit.
Le bâtiment B affiche Bbio = 23,5 (-67,63%) et un gain de 96,30% sur le CEP. Le bâtiment C atteint un Bbio de 23,5 (-68,2%) et un CEP de 0,5 soit un gain de 99,35%. Le chauffage et la production d’ECS des 26 maisons sont pris en charge par seulement deux chaudières à granulés de bois à condensation Okofen Pesk 41 de 41 kW de puissance unitaire, soit une puissance toitale de 82 kW, avec un ballon tampon Oventrop de 1500 litres/ qui alimente une boucle unique de 80 m aller + retour
Le réseau est dimensionné pour une température de départ de 65°C avec un retour à 35°C. Dans chaque maison, un module thermique Oventrop Reguidis WTU assure la distribution du chauffage et sa régulation, ainsi que la production d’ECS à travers un échangeur à plaques et une distribution à 45°C.
La ventilation est assurée par un caisson double flux Zehnder Comfo Air Q 350 par maison, avec un rendement de récupération de chaleur certifié de 97%. Chaque maison est équipée de 6 panneaux photovoltaïque Vison 60P de Solarwartt de 275 Wc. Ils sont posés sur le toit de chaque maison avec une inclinaison de 31° et une orientation plein sud. Cette installation couvre environ 50% des besoins annuels d’électricité, sans batteries.
Maxime Brard s’est livré à une analyse détaillée du surcoût. Selon lui, le coût de construction pour ces 26 maisons conformes à la RT2012 est de 1 308 € HT/m². Pour les rendre conformes à la RE2020, le coût monte à 1 624 € HT/m², soit 24,15% de surcoût. Ce qui, à finitions égales et pour une maison de 80 m² avec 3 chambres, se traduit par un surcoût de 30 000 € HT.
En revanche, le coût de fonctionnement mensuel de ces maisons n’est que de 33 € TTC/mois avec prise en compte de l’autoconsommation d’une partie de la production photovoltaïque, contre environ 100 € TTC/mois si elles étaient simplement conformes à la RT2012.
Si le surplus de la production photovoltaïque est revendu à 0,1 € TTC/kWh et en tenant compte du versement de la prime d’autoconsommation, le coût d’exploitation annuel de ces maisons chute à 22 € TTC/mois.
Maxime Brard, pour ses prochaines réalisations, explore la possibilité de remplacer les chaudières à granulés et le réseau de distribution par une solution électrique pour le chauffage et la production d’ECS, avec toujours une production photovoltaïque locale. Il en attend une réduction du coût de construction d’environ 100 €/m². ©ecolocost
Conclusion, le Bbio – 30% n’a rien d’inouï. Il peut être atteint et même largement dépassé sans surcoût ou très faible surcoût en logements collectifs. En maison individuelle, en revanche, pour l’instant et sous réserve d’une industrialisation poussée de la construction en ossature bois, le surcoût est nettement plus élevé : il peut atteindre environ 25%, mais se traduit par une réelle moins-value d'exploitation.
Le standard Passivhaus semble être une bonne voie vers la RE2020. Il porte l’effort de conception et de construction sur l’enveloppe du bâtiment – autrement dit sur le Bbio – et simplifie beaucoup les installations de génie climatique, donc réduit leurs coûts de manière significative.
Source : batirama.com / Pascal Poggi