La nouvelle loi européenne sur le climat va conditionner « le vivant » jusqu’en 2030 et au-delà. Pour que les objectifs aient un sens, le bois ne devra pas se cantonner à garantir un puits de carbone dans les forêts.
Green Deal (Pacte Vert), Initiative Nouveau Bauhaus, Task force de veille des forêts, économie circulaire selon le projet Woodcircus sont au cœur des préoccupations de Andreas Nikolaus Kleinschmit von Lengefeld, directeur des opérations internationales chez FCBA (1).
Son action est de développer des pistes pour que le Pacte Vert européen ne se limite pas à renflouer la filière des énergies fossiles, mais innerve la filière bois notamment en France. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il doit intervenir dans le cadre du Forum International Bois Construction avec la session préliminaire consacrée à Woodcircus et une intervention en plénière sur les conséquences du Pacte Vert pour la filière bois et la construction bois.
Andreas Nikolaus Kleinschmit von Lengefeld, directeur des opérations internationales chez FCBA ©DR
Andreas Kleinschmit von Lengefeld : On ne sait pas aujourd’hui dans quelles limites un pays de l’UE pourra valoriser le puits de carbone que constitue l’usage des terres grâce aux forêts. Le scénario catastrophe de la forêt française figée comme puits de carbone monnayé pour compenser la très faible performance émissive de son BTP, ou la faible performance de son agriculture, de ses raffineries, de ses transports est peu probable.
C’est cependant, par les temps qui courent, une perspective politique puisque l’opinion publique est remontée contre les coupes rases et plus généralement l’exploitation des forêts envisagée à tort comme une pratique de déforestation.
L’Europe politique est consciente, avec quelques réserves, de l’intérêt de la biomasse comme énergie renouvelable. Elle sait que les forêts européennes doivent être adaptées au changement climatique par une démarche active, donc une intensification des coupes et un reboisement allant au-delà de la couverture forestière actuelle.
L’initiative Bauhaus a confirmé l’intérêt de l’Europe pour le recours au matériau bois. De même, la filière bois s’inscrit parfaitement dans l’économie circulaire, d’autant plus que les forêts sont véritablement gérées et pas laissées comme telles face au choc climatique.
« Nous savons que le secteur de la construction peut passer d’une source d’émissions à un puits de carbone, à condition d’employer des matériaux biosourcés et de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle », a dit Ursula von der Leyen le 16 septembre 2020 en lançant son initiative de New European Bauhaus. Suite à quoi la filière bois européenne a créé la plate-forme Wood4Bauhaus pour rassembler les acteurs de ce défi.
Andreas Kleinschmit von Lengefeld : Premièrement, nous avons besoin de l’aide de l’UE pour prémunir les forêts des menaces qui les affectent. Ce qui s’est produit avec les attaques de scolytes au cours des dernières années doit nous rester en mémoire. Certes, nous ne sommes pas en mesure d’éradiquer cet insecte qui est endémique dans la majeure partie de l’Europe, et profite du changement climatique.
Mais il apparaît qu’en agissant rapidement dès qu’apparaissent des foyers, c’est-à-dire en sortant le bois de la forêt et en empêchant une nouvelle phase d’envol, nous protégeons la forêt. A cette fin, et aussi pour prévenir des risques courant d’embrasement de forêts sèches, ou d’exposition de forêts mal adaptées à des tempêtes, nous avons besoin d’une force d’intervention et surtout d’une veille répartie dans toute l’Europe de la forêt pour alerter des risques et essayer d’anticiper. Cela vaut dans une même mesure pour surveiller les replantations en cours, qui sont particulièrement sujettes à des problèmes de sécheresse.
Avec le nouvel objectif européen, l’utilisation des terres quitte sa position de passivité. Jusqu’à présent, on considérait que le bilan devait être nulle ou négatif, et comme les forêts constituaient un puits carbone phénoménal, et qu’il compensait les émissions agricoles, on en restait là.
Il était convenu que la forêt progressait toute seule d’année en année, d’autant que l’exploitation forestière n’atteignait jamais les accrus annuels. Ce n’est plus le cas dans certains pays, et en plus, la crise sanitaire actuelle oblige à prélever parfois plus que ce que la forêt compense. Aujourd’hui, la forêt est un puits de carbone commun et menacé, il faut activement le défendre et le faire progresser.
Andreas Kleinschmit von Lengefeld : En premier lieu, nous avons besoin d’arbres, de beaucoup d’arbres. On se berce encore d’illusions en pensant que la forêt s’accroît toute seule, ce sont des constats anciens qui ne prennent pas en compte la situation actuelle.
L’effort de plantation de forêt devrait donc s’accélérer en Europe, même si on bute sur des conflits d’usage entre les espaces naturels, l’agriculture énergétique ou semi-énergétique comme le maïs, l’agriculture de subsistance et celle de l’agrément comme la production de fleurs ou de pelouses, qui est cependant marginale.
On estime qu’en 2050, dans nos latitudes très urbanisée, la surface forestière urbaine devra atteindre 25% afin que ces villes restent un tant soit peu vivable. Quand on regarde le nombre d’agglomérations en Europe, et qu’on ne se réfère qu’à ce chiffre, on se rend compte de l’immense chantier de plantations urbaines nécessaire.
Plus on plantera d’arbres dans les villes, comme l’envisage la mairie de Paris, et moins la forêt sera soumise à l’absurde pression actuelle anti-abattage. Dans ce contexte s’ajoute le secteur émergent de la végétation urbaine embarquée, sur les terrasses, les toits.
Il est vrai que les futures forêts urbaines ne seront pas, du moins durant les prochaines décennies, des gisements de bois d’œuvre. Pour autant, les études actuelles montrent toutes qu’une forêt gérée durablement, et où les arbres arrivés à maturité sont remplacés par de jeunes arbres, augmente sa contribution au bilan émissif.
Non seulement on laisse la place à des arbres qui capturent activement du carbone, mais on exploite le carbone stocké par les arbres mûrs dans le cadre d’une bioéconomie circulaire. Plus ce matériau est valorisé et plus sa capacité à stocker le carbone est prolongée. C’est le sens de l’initiative européenne du nouveau Bauhaus, lancé en janvier dernier et qui vise nommément une meilleure utilisation du bois comme matière première, non seulement pour la construction de maisons mais aussi l’ameublement, l’agencement, les textiles.
Sur le plan européen, l’initiative Woodcircus vise à ancrer la filière bois dans cette bio-économie circulaire. Cela ne se fera pas tout seul, il faut une volonté, des moyens, des initiatives, et une adaptation permanente à la situation écologique et politique mondiale. En tout état de cause, le green deal ne peut pas se résoudre à aider les industries polluantes à émettre moins. Il apparaît aujourd’hui qu’en Europe, le principal contributeur à l’effet de serre est bien la construction, sans même parler des travaux publics. La filière bois doit s’intégrer beaucoup plus qu’actuellement dans ces activités fortement émissives.
L’assemblée européenne de Woodcircus fera l’objet d’une session préliminaire du Forum International Bois Construction à Paris en juillet 2021.
Source : batirama.com/ Propos recueillis par Jonas Tophoven