Photo : Une vision de Paris demain : Wood Study Loft, rue de Javel, Paris 15e ©Atelier Marie Schweitzer
Comment construire biosourcé à Paris ? La question est posée depuis 40 ans mais attend toujours une réponse. Pourtant, la question devient de plus en plus urgente : Comment diminuer des émissions dues à la construction à Paris ? Comment faire face aux îlots de chaleur ? Comment réaliser des chantiers sans perturbation ?
Et, accessoirement, est-ce que le tissu urbain parisien accepte la construction biosourcée comme telle ou bien faut-il la masquer comme on masque le pan de bois parisien depuis le 16e siècle ?
Il faut noter que la mairie de Paris a fait preuve de volontarisme sur la question de la mobilité, et qu’elle a promis des mesures disruptives sur d’autres plans durant cette mandature. La ville encore très minérale, dans ses projets actuels, demande ainsi à ses constructeurs de prendre en compte dans leurs projets non pas seulement le climat actuel, mais celui de 2050 (Stratégie nationale bas carbone)
L'architecte Marie Schweitzer est devenue une experte de la façade
Parmi cette disparité, il y a aussi l’encrage de l’histoire du biosourcé moderne. En 1979, aux débuts du Centre Pompidou, une exposition organisée par l’architecte Roland Schweitzer sur la « maison de bois » atteint 1,3 million de visiteurs.
Comme l’explique l’Atelier Marie Schweitzer dans le cadre de la visite du chantier de réhabilitation du 4 mai dernier, « le succès rencontré par cette exposition auprès du grand public et les travaux de la commission bois conduisirent le ministère à financer des programmes expérimentaux « bois » inscrit au Plan Construction.
C’est dans ce cadre que Roland Schweitzer a été chargé de réaliser à Paris 13e au 5-9, rue Domrémy cette opération constituée d’un ensemble de logements et d’ateliers, financée par l’État et confiée à la RIVP en qualité de maître d’ouvrage ».
Le bâtiment d’habitation sur la rue Domrémy est en planchers et voiles béton jusqu’à R+3 et coiffé de duplex en bois. Les images de la construction montrent à quel point la réalisation de façades en bois était inhabituelle. Il n’y a pas alors d’ossature bois visée par un DTU.
Même nouveauté pour les duplex tout en bois et les maisons individuelles à l'arrière du bâtiment. Au cours du chantier, le responsable des sapeurs-pompiers est remplacé et l’option du bardage évacuée au profit de dalles Glasal d’Eternit, amiantées et à vrai dire assez laides, qu’il a bien fallu retirer 40 ans après.
Une photo historique : la façade bois à Paris il y a quarante ans. ©Atelier Marie Schweitzer
A l’époque, Marie Schweitzer, née le 7 mai 1964 à Neuilly-sur-Seine, va encore à l’école, mais moins de 10 ans après l’immeuble de rue de Domrémy, elle défraie déjà la chronique. On est à la fin des années 80, la fille de Roland Schweitzer est charpentière et architecte et elle a pu vivre au Japon pour s’inspirer de la culture japonaise du bois.
Tous les voyants sont au vert pour que l’expérience de la rue de Domrémy soient multipliée à Paris et ailleurs, mais il n’en est rien. Commencent trente années de balbutiements. Mais aussi 30 années de complicité architecturale entre Roland et sa fille Marie. Il faudrait déjà que cette période fasse l’objet d’une recherche universitaire pour comprendre pourquoi la construction bois parisienne n’a pas pris.
Quarante ans de revêtement amianté Glasal par crainte du bardage bois. ©Atelier Marie Schweitzer
Entre temps, Marie Schweitzer devient une experte de la façade. Une nouvelle phase se développe depuis dix ans avec l’arrivée du concepteur constructeur bois Lifteam à Paris, société dirigée par Jean-Luc Sandoz.
Le fondateur et patron du groupe CBS-Lifteam assistait Julius Natterer à l’EPFL de Lausanne où Maris Schweitzer est venue étudier. Les liens entre Roland Schweitzer et Jean-Luc Sandoz contribuent à un travail conjoint qui se solde par la surélévation de trois niveaux en bois d’une résidence sociale rue de Tolbiac à Paris.
Après le trou d’air de 2015, et l’impasse des démonstrateurs AdivBois, les projets s’emballent : logements sociaux à Montmorency, opération Wood Study Loft dans le 15e, les travaux au collège Ste Clotilde dans le 12e et la restructuration de la rue de Domrémy.
Une vision de Paris demain : Wood Study Loft, rue de Javel, Paris 15e ©Jules Guitton
A présent, Marie Schweitzer combine sa maîtrise des façades sans bavures avec des bardages en bois, ce qui n’est pas simple en général, vu les prescriptions en matière d’incendie, et encore moins à Paris.
Rue de Domrémy, le panneau de revêtement Glasal amianté d’Eternit est enfin remplacé par un bardage rouge falun. Comment a-t-elle fait ? « Je suis allée voir le maire de l’arrondissement avec toute une gamme de rouge et j’avais marqué de mon côté la teinte que je préférais. Il se trouve que le maire a choisi la même » répond Marie Schweitzer.
Quelque chose a-t-il donc changé à Paris ? Peut-on oser confondre Paris et Stockholm ? Il faut dire que la rue de Domrémy, dans l’un des quatre ou cinq lieux parisiens dédiés à la pucelle, est de bien triste aspect, étroit, sans arbre, sans couleur. Ce n’est pas le seul endroit dans Paris où la couleur serait de mise (et pas seulement au Centre Pompidou).
Pour l’opération Wood Study Loft du 15e, à nouveau, Marie Schweitzer par ailleurs Architecte-Conseil de l'Etat pour la région Bretagne parvient à convaincre le maire d’accepter, en cœur d’îlot, un ensemble associant trois couleurs vives : le rose pour les cheminées, le jaune pour les bardages et le rouge pour les garde-corps.
Opération pilote unique en France financée par la banque forestière et entièrement en bois (ossature, vêture, structure, mobiliers), elle comporte 7 lofts grand standing et un bâtiment de restauration ; chauffage par le sol et eau chaude sanitaire par pompes à chaleur.
On y trouve l’application de la Charte écologique de l’Atelier d’architecture Marie Schweitzer, du mobilier sur mesure en bois avec cheminées et jacuzzis, des terrasses en bois et des jardins zen. L'ensemble composé de 3 bâtiments abritant 1 loft par niveau est sur pilotis.
Comme Marie Schweitzer réalise également l’aménagement intérieur, et que ces lofts se payent le luxe de supprimer l’ascenseur au profit de coursives, on trouve ici une partie de la réflexion engagée pour le futur de Paris. « Malheureusement, j’ai l’impression que les édiles n’aiment pas le bois. Ils en conçoivent bien les qualités environnementales, mais il reste une réticence fondamentale qui d’ailleurs correspond bien à la relation d’amour-haine de Paris avec ce matériau ».
Rupture marquée avec la surélévation mais dans la teinte du bois par volonté du maître d’ouvrage. ©Atelier Marie Schweitzer
Le Wood Study Loft va être présenté dans le cadre de l’atelier B6 du 10e Forum International Bois Construction au Grand Palais Ephémère de Paris le samedi 17 juillet à 14h. De fait, les lofts se sont vite vendus, achetés par une clientèle aisée.
Cette façon de répondre à un besoin de standing par une forme de frugalité est étonnante. Quand on pense au bois dans la capitale, on pense crèche, maternelle, qui sait des logements sociaux. Les logements sociaux où la démarche participative est activée, choisissent le bois réputé plus cher, mais à l’autre extrémité, le lien entre bois et luxe est moins clair.
Rouge Falun rue de Domrémy ou le retour de la poésie dans Paris. ©Atelier Marie Schweitzer
Marie Schweitzer estime qu’à Paris, il faut densifier en montant plus haut, afin de disposer d’espaces de verdure. En fait, on peut monter plus haut mais aussi descendre plus bas, comme elle l’a montré dans le cadre de la restructuration du Lycée Lurçat aux Gobelins.
Et pour ce qui est de la façade, la façon de combiner le neuf surajouté et l’ancien doit bannir la fadeur. Pour la rue de Tolbiac, les trois niveaux en superstructure se démarquent de la façade blanche mais avec du bois non peint, suite à la demande du maître d’ouvrage.
Il manque donc encore, en complément de Wood Study Loft, l’ouvrage conçu par Marie Schweitzer avec l’affirmation de la surélévation en façade vive, lisse et biosourcée, sans oublier le creusement et toute la verdure autour...
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven