Légende : Alors que les tensions sur les sciages s’apaisent un peu, la question de l’export des grumes devient un sujet international. ©JT
En 2019, la France a été le quatrième exportateur de grumes d’Europe, peu après la Pologne, avec 4,3 millions de m3. La République Tchèque a exporté plus de 14 millions de m3, l’Allemagne 8,7 millions. Ce chiffre ne distingue pas entre les essences feuillues et les résineux, ni entre bois d’œuvre et bois d’industrie.
Par ailleurs, il ne précise pas ce qui est exporté en Europe, dans les pays voisins notamment, et ce qui part outre-mer. Pour autant, si on se rapporte au volume de bois d’œuvre récolté, qui est de 20 millions de m3, cette part d’exportation de 4,3 millions, qui ne se résume pas au bois d’œuvre, est tout de même conséquente.
Globalement, les situation française et allemande sont comparables, puisque la France exporte 4,3 millions de m3 pour une récolte commercialisée de 38 millions de m3, tandis que l’Allemagne exporte le double pour une récolte commercialisé du double.
En ce sens, on pourrait dire que l’export de grumes toutes directions confondues est un peu la variable d’ajustement du marché du bois. Toutefois, les acteurs de la campagne pour un embargo sur l’export de grumes de chênes notamment vers la Chine, en particulier la FNB, considèrent que la situation actuelle est dynamique.
Les statistiques sont de plus en plus précises mais le contexte de plus en plus flou. ©JT
L’année 2019 est suffisamment proche pour que les statistiques soient disponibles, et c’est une année avant la pandémie. Pour autant, il ne s’agit pas d’une année normale, en raison de la crise européenne des scolytes, ces insectes xylophages qui ont décimé des forêts de résineux, dont l’épicéa. Ce qui semble avoir dopé les exportations
Ainsi, en 2018, la France a exporté 125 000 m3 de grumes de résineux vers la Chine, l’Allemagne près de 200 000. Un an après, soit en 2019, l’Allemagne a exporté 3,8 millions de m3, en raison de cette crise sanitaire. La République Tchèque 2,2 millions de m3. Les exportations françaises ont progressé de 188%, passant de 125 000 à 361 000 m3.
Ce chiffre passe à 564 000 m3 en 2020 et en juillet 2021 il atteint déjà 418 000 m3. Comme après la tempête Klaus, le bois endommagé a tendance à partir vers la Chine. Mais peut-être que les scolytes, qui se rapportent uniquement à l’essence de l’épicéa, cachent-ils une autre réalité ?
Le volume des exportations françaises de grumes vers la Chine était de 650 000 m3 en 2015, soit avant la crise des scolytes, mais avoisine le million de m3 depuis 2019. Il existe une poussée globale des importations de bois mondiales par la Chine, qui semble inexorable et qui risque d’avoir des conséquences de plus en plus fortes sur le marché français.
Pourtant, à ce jour, le phénomène remarqué pour l’épicéa scolyté ne se reproduit pas, par exemple, pour les grumes de Douglas. Pour le hêtre, les importations de grumes étaient de 153 000 m3 en 2015, elles sont de 80 000 m3 en 2020.
Les grumes écorcées sont la matière première des scieries. ©JT
Le SEFB (Syndicat des Exploitants de la Filière Bois) regroupe des exploitants forestiers transfuges de la FNB, depuis 2016, qui revendiquent l’exploitation de 5 millions de m3 de bois par an. Ce nouveau syndicat temporise : « Les exportations de chêne vers la Chine ont, sur la même période, fluctué entre 421 506 m3 en 2018, 329 542 m3 en 2019 et 296 433 m3 en 2020 pour atteindre au 31/07/21 en année circulaire 351 252 m3 (source douanes chinoises).
S’il existe actuellement une recrudescence ponctuelle et conjoncturelle de la demande chinoise de chêne français - elle varie depuis 6 mois entre 30 et 45 000 m 3 / mois -, celle-ci continue à s’inscrire dans la moyenne annuelle de ces 6 dernières années, soit +/- 350 000 m3 an ».
Il est vrai que les exportations de grumes de chêne vers la Chine étaient déjà de cet ordre en 2014/2015, mais traditionnellement inférieures à 100 000 m3 par an auparavant, estime Laurent Maréchaux du SEFB. Par ailleurs, SEFB conteste les conclusions sur la croissance des importations en pourcentage, qui sont issues de la comparaison entre l’année de reprise 2021 par rapport à l’année de pandémie chinoise 2020.
Rebuts sur le site de Piveteau en Corrèze. ©JT
Depuis 2015, tout a été fait, à l’instigation de la FNB, pour juguler les exportations de grumes de chêne vers l’Outre-mer. Le cœur de la démarche est la création du Label UE qui se rapporte à des lots réservés à des acheteurs qui s’engagent à ne livrer aucune grume de chêne achetée sous ce label vers l’export au dehors de l’Union européenne. Ceci concerne non seulement les chênes du lot UE qu’ils achètent, mais toutes les grumes de chênes qu’ils achètent par ailleurs.
Le SEFB nouvellement créé à l’époque a contesté ce type de règlement et pour la seconde fois, il vient d’avoir gain de cause au Conseil d’Etat. Cependant, l’interprétation de ce qui s’est passé au Conseil d’Etat diverge. Pour la FNB, c’est un épisode sans conséquence, qui va déboucher sur une solution encore plus fiable : de fait, un embargo sur l’export de grumes serait la solution la plus simple ; il ne serait plus nécessaire de développer tout l’arsenal des lots chêne européens comme cela a été fait en France depuis 2015.
Le SEFB, directement concerné dans la décision du Conseil d’Etat au printemps dernier, explique les choses autrement, notamment dans son long communiqué du 26 août 2021 : « Ce dispositif technocratique a été annulé le 2/07/21 pour excès de pouvoir par le Conseil d’Etat qui a toutefois décalé son entrée en vigueur pour permettre aux parties concernées (ONF et SEFB) d’élaborer un nouveau label non plus par entreprise mais par lots (avec un crédit-quantité garantissant la transformation sur le marché français d’un volume égal aux quantités labellisées achetées) ».
Bref, le Conseil d’Etat aimerait que l’on trouve une solution différente du Label UE pratiqué depuis 2015, mais qui garantisse le statu quo en termes d’exportations de grumes de chêne vers la Chine. Comme le SEFB fait figure de vilain petit canard de la filière bois, jamais admis à n’importe quelle négociation de filière, et que les contacts entre le SEFB et l’ONF se font par avocats interposés, la négociation préconisée par le Conseil d’Etat semble difficile.
Plutôt que d’interdire l’exportation de grumes de chêne, le SEFB préconise des ventes publiques ciblées : « Les 350 000 m3 de grumes de chêne exportés en moyenne en Chine chaque année se composent d’environ 200 000 m3 bois de qualité inférieure (sur-bille, bois noueux ou tordus) qui n’intéressent pas les transformateurs français auxquels ils ont été proposés en priorité. Quant aux 150 000 m3 susceptibles d’intéresser ces derniers, les exploitants forestiers regroupés au sein du SEFB ont proposé d’organiser à partir de la rentrée des ventes publiques réservées aux transformateurs français ». Problème : réserver ce type de vente à des transformateurs français est en principe illégal.
Et alors que l’on entre dans la période des grandes ventes d’automne de bois feuillus sur pied (chêne notamment) de l’ONF et que rien ne bouge, on peut se demander si les Assises de la forêt et du bois prévues pour la rentrée ne vont pas donner lieu à quelques révélations, soit dans le sens de l’embargo sur les grumes, soit dans une redéfinition du label UE, soit, qui sait, par un accord entre l’ONF et le SEFB (le SEFB n’est apparemment pas conviée à ces Assises).
L’avenir des forêts passe par la récolte et la plantation. ©JT
Pour autant, ces Assises ont été programmées pour répartir une somme supplémentaire de 100 millions d’euros attribuée par le Premier Ministre juste après le Forum International Bois Construction, dans la perspective de permettre à la construction bois française de remplir les objectifs de développement de la construction vers le biosourcé.
Car les chiffres de la filière construction bois, révélés pour l’année 2020 à l’occasion du 10e Forum, ne sont pas encourageants. Comme pour les statistiques chinoises, ces indications très précises se rapportent à une situation générale de plus en plus floue, puisque 2020 est l’année de la pandémie.
2021 donc sera l’année des fortes tensions sur le bois d’œuvre et les panneaux, et qui sait ce que réserve 2022 en termes de cataclysmes... Il n’en demeure pas moins que l’objectif carbone français de 2030, fixé par l’Europe, doit être tenu et que la construction biosourcée française n’a pas d’autre choix que de jouer son rôle pour l’atteindre.