Légende : Le centre culturel Sara en phase finale de montage ©Patrick Degerman
Il y a un peu plus de dix ans, une agence norvégienne faisait le buzz avec un projet de tour en bois sur les rives très nordiques de la mer de Barents. C’était l’époque des records virtuels, du Manhattan en bois, de l’objet d’innovation.
A présent, même si les ambitions de tours en bois sont douchées en France par la sécurité incendie, ou les financements manquants, la Suède inaugure un complexe culturel et hôtelier en bois culminant à 76 mètres, au bord de la mer Baltique et du golfe de Botnie, pas très loin du cercle arctique où le jour ne se lève pas à Noël, et ne se couche pas à la St Jean.
Ce n’est pas la plus haute tour en bois du monde, qui reste pour l’instant la tour Mjøstårnet à Brumunddal, en Norvège, avec 85 mètres mais seulement 18 étages. Selon les prévisions, la tour Ascent de Milwaukee, sur le lac Michigan, devrait battre de peu ce record de hauteur pour une livraison en été 2022, avec cependant un noyau en béton.
La tour de Tokyo qu’on cite dans la foulée, avec ses 350 mètres, est de la fiction, même si les concepteurs sont venus s’inspirer chez Hermann Kaufmann à Munich il y a quelques mois.
Tandis que la tour norvégienne a misé sur de gigantesques poutres en bois lamellé-collé qui sillonnent également le bâtiment en diagonale, avec un effet architectural inhabituel et quelques contraintes d’usage induites, la tour suédoise grimpe à l’aide de modules 3D en panneaux CLT et libère un équivalent de 20 étages.
Il est vrai que les chambres sont rigoureusement identiques et rectangulaires, sauf des suites sur les côtés. La combinaison CLT-BLC (bois lamellé-collé), couplée avec des éléments métalliques, est plutôt réservée pour la partie basse du complexe, qui abrite six salles de spectacles, une bibliothèque municipale et deux centres d’exposition.
Une maquette en bois pour un ouvrage en bois. ©Patrick Degerman
Mais le projet va bien plus loin, puisqu’il révèle le bois boréal local sous tous les plans : les façades opaques des salles de spectacle sont bardées de bois, les modules CLT des chambres de l’hôtel mis en évidence derrière une façade en verre, un peu comme les panneaux plaqués de frêne de la Bibliothèque Nationale de France.
Quant aux espaces publics intérieurs, ils font l’objet d’aménagements notamment acoustiques où les Barcelonais de Frapont révèlent leur art comme ils l’ont déjà fait pour La Seine Musicale il y a cinq ans. Au total, le prix estimé du bâtiment dépasse légèrement les 100 millions d’euros.
Les trames orthogonales des éléments parallélépipédiques qui composent le complexe sont tout aussi coordonnées que le projet urbain qui l’a suscité.
Lancé en 2015 par une municipalité qui totalise 70 000 habitants et dispose d’un vaste contrôle de ses ressources (énergie, aéroport…), un plan de revitalisation prévoit entre autres la création d’un centre culturel dont le concours est remporté en 2016 par la grande agence suédoise White Architekter et plus précisément les jeunes architectes Oskar Norelius et Robert Schmitz, avec un projet intitulé Side-by-side.
Ce titre évoque la juxtaposition stabilisatrice du centre culturel et de l’hôtel, avec des volumes collés les uns aux autres, d’aspect différents mais travaillés comme des déclinaisons d’une même trame, et aussi la volonté de créer à l’intérieur des espaces fluides permettant d’aller d’un ensemble fonctionnel à l’autre dans les meilleures conditions.
A un moment où la Norvège voisine construit la plus haute tour du monde, le projet suédois refuse la compétition, tout en affichant une hauteur de 20 étages un peu théorique, puisque, selon la perspective, 13 à 15 niveaux de modules émergent au-dessus d’espaces partagés, et sont coiffés par un dernier niveau de deux étages avec restaurant et saunas.
Selon Robert Schmitz, « L’intention était surtout de créer le centre culturel le plus vertueux du monde, et d’utiliser le plus possible de bois. Au début, la tour ne comptait que 16 étages mais elle a grimpé ensuite avec le développement du projet, débouchant sur l’ajout de deux étages de toit consacrés au bien-être ».
La trame des modules de chambres s’élève sur 13 étages. ©White Arkitekter
Les jeunes architectes visent surtout la neutralité carbone et le choix du bois est d’autant plus simple que la matière, mais aussi les transformateurs de haut niveau, sont tout proche. En l’occurrence, Martinsons pour la transformation du bois et Derome pour la fabrication des modules 3D de l’hôtel.
Le groupe suédois ABB contribue à optimiser les installations dans le sens d’une performance globale qui doit devenir neutre en carbone d’ici 50 ans, pour un ouvrage d’une durée de vie calculée sur 100 ans. Ce défi technique pour un ouvrage culturel arrive juste au bon moment pour permettre à la municipalité d’attirer la plus grande usine européenne de batteries pour voitures. Le permis de construire pour les 500 000 m2 est délivré en six mois.
A présent, la municipalité table sur une augmentation de sa population à 100 000 habitants, il est vrai à un moment où le golfe de Botnie risque de ne plus être pris par les glaces pendant cinq mois de l’année. Une belle leçon pour les villes moyennes qui cherchent un second souffle et qui, en se lançant dans la construction durable d’un centre culturel biosourcé, en font un argument de plus pour consolider l’emploi industriel à caractère durable.
Les modules 3D des chambres, en CLT, sont juxtaposés entre deux zones en bois de desserte.© Jonas Westling
Déjà salué en 2018 au MIPIM, au moment où commence les travaux de fondation évidemment en béton, le projet démarre le montage de ses structures en bois à la mi-2019. Le contractant général est le Norvégien HENT, branche suédoise.
La première boîte montée est la principale salle de spectacle, et les éléments préfabriqués à base de CLT et de BLC atteignent des dimensions telles qu’on ne saurait les convoyer en zone urbaine dense. Il s’agit notamment de poteaux multi-étages formant paroi. Globalement, le métal est utilisé en complément pour en exploiter les vertus en termes de tension, tandis que le bois agit en compression.
Cela devient visible et ludique aux plafonds des grands halls, mais fonctionne aussi avec des tiges horizontales qui assurent le contreventement des modules en bois et que l’on repère par les grands à-plats métalliques sur les façades.
Les façades en bois non protégées par du verre, situés dans la partie basse, ont été traitées au Superwood, une imprégnation qui protège le bois contre les moisissures et les champignons, sans recours à des métaux lourds ou des solvants organiques. Avec le temps, les surfaces vont grisailler.
Au plafond, les architectes exposent les performances du bois en compression et du métal en tension. ©Patrick Degerman
La préfabrication a été d’autant plus poussée que le climat est rude, et elle a permis de traverser la pandémie sans trop de retard. La superstructure a commencé par la plus grande salle de spectacle, et le démarrage s’est fait avec l’érection d’un élément de parois mesurant 27 mètres de haut.
C’est dire à quel point, avec des éléments de cette longueur, le montage a pu être exécuté rapidement. Les architectes reconnaissent ne pas avoir pu venir sur le chantier pendant six mois. Pourtant, la livraison du complexe de 30 000 m2 a eu lieu comme prévu en 2021. Elle a de quoi faire pâlir la ville de Växjö, du sud de la Suède, réputée la plus verte d’Europe depuis 2007. De fait, l’approche neutre en carbone développée par les architectes est tout aussi impressionnante que leur choix du bois, et mérite une présentation séparée.
En France, le projet de la Cartoucherie de l’agence autrichienne Dietrich Untertrifaller, fer de lance du dispositif des démonstrateurs de tours de moyenne hauteur AdivBois, n’a pas su séparer la partie ERP de la partie logements autrement que par du béton, et a dû plâtrer les plafonds apparents des logements.
En général, les maximalistes de la réglementation feu pour les immeubles bois de moyenne hauteur aiment à s’inspirer de réglementations étrangères plus drastiques que la nôtre. Pour le coup, il va falloir faire preuve d’imagination.
Jusqu’en 1995, la règlementation suédoise de protection incendie, marquée par les destructions de villes par le feu, n’autorisait les constructions en bois que pour une hauteur R+1. Depuis, plus aucune limite n’est imposée, si ce n’est de présenter une solution acceptable sur le plan de la protection des personnes.
En France, cela s’appellerait l’obligation de résultats ou le permis d’expérimenter, mais qui ne se cantonnerait pas à des belles phrases. Beaucoup d’images ont été diffusées dans le monde entier sur ce projet suédois, il reste à en analyser les ressorts, ce qui sera fait au 26e Forum International d’Innsbruck et sans doute aussi début avril à Nancy dans le cadre du Forum Bois Construction.
L’option sprinkler est affirmée : Robert Schmitz : « L’ouvrage est classé R90 en partie supérieure et R60 en partie inférieure. Tout a été sprinklé avec un bassin situé dans le sous-sol. L’énergie en réserve pour le fonctionnement du système ne vient pas du diesel mais de batteries électriques alimentées par les panneaux photovoltaïques placés sur les toits et les façades ».
Le savoir-faire qu’illustre cet ouvrage, et le savoir-faire qu’il permet de développer, va sans doute stimuler un mode de protection active contre l’incendie, en alternative avec l’encoffrement du bois. Pour l’instant, à Paris, nous n’en sommes pas là, et la Tour Commune du quartier Bruneseau a préféré revenir à une structure en béton plutôt que d’opter pour le sprinklage.