Sorea, Société des régies de l'Arc, fondée en 2006, est détenue principalement par huit communes de la vallée de la Maurienne, aux côtés d'actionnaires comme la Compagnie nationale du Rhône et la Caisse des dépôts et consignations.
L'entreprise fournit à quelque 15.000 clients de l'électricité achetée à EDF à prix préférentiel, à condition de la revendre aux tarifs réglementés. Ce coeur de métier est habituellement rentable, mais un "développement hasardeux" de l'activité selon la CRC, avec la création d'une dizaine de filiales dans le négoce de lampes à LED, la fabrication de tuiles photovoltaïques ou la fibre optique, s'est conclu par un fiasco entaché de malversations. La filiale idWatt se voulait par exemple un "petit Amazon du LED" : elle achète un entrepôt de 10.000 mètres carrés et, pour près de deux millions d'euros auprès d'un obscur intermédiaire chinois, un stock de marchandises "obsolète et resté invendu".
Ces errements coûtent cher: en 2017, la dette de la Sorea, qui emploie alors une centaine de salariés, s'élève à 27 millions d'euros, avec une perte nette de 2,7 millions. Elle frise la cessation de paiement et le tribunal de commerce de Chambéry lance une procédure de sauvegarde pour assainir la situation. Pour le président de la CRC, Bernard Lejeune, l'ancienne direction "a joué avec de l'argent public", tout en s'enrichissant personnellement.
Primes ou indemnités indues, utilisation abusive de cartes bancaires, vente d'une villa, factures d'hôpital ou de restaurants, achat d'un véhicule de luxe, détention "occulte" d'actions pour toucher des commissions... le montant des griefs atteint plusieurs centaines de milliers d'euros. Ce dossier est le fruit d'une collaboration étroite entre la CRC et le parquet d'Albertville, qui a été soulignée lors d'une conférence de presse commune le 11 février. "Sans vous (les CRC, NDLR), les parquets de cette taille ne peuvent pas traiter ce type d'affaires", a salué la procureure, Anne Gaches, à l'attention des magistrats financiers.
L'enquête judiciaire, ouverte pour détournement de bien public, blanchiment et abus de confiance, devrait aboutir d'ici quelques mois. La peine encourue est de 10 ans de prison et un million d'euros d'amende.Le rapport de la CRC charge particulièrement l'ancien directeur général de la Sorea, qui n'a pas encore été entendu par la justice. Dans sa réponse au rapport de la chambre des comptes, il renvoie à la responsabilité d'autres cadres, assurant n'avoir rien caché des difficultés et dénonçant des "manoeuvres" d'actionnaires à son encontre. La CRC épingle aussi le contrôle "très insuffisant" exercé par le conseil d'administration.