L’écopâturage, qui installe des races à protéger de moutons, comme le mouton d’Ouessant, sur des surfaces à tondre tout au long de l’année, demande des enclos et son développement ne fait que s’amorcer. Par contre, l’herbe-déchet ou perdue non destinée à l’alimentation animale peut être valorisée en isolant grâce au procédé de Stefan Grass (Suisse), qui permet de séparer dans l’herbe, la fibre de sa partie liquide. Cette fibre sera ensuite mise en panneaux d’isolation semi-rigide d’un lambda de 0,040, selon un procédé proche du tissage et donc peut émissif.
Le panneau est constitué de fibre d'herbe, de toiles de jute et de 8 % de liants.© JT
Le produit ne séduit pas par des performances d’isolation extrême, mais bien par sa façon de transformer l’herbe coupée en isolant durable, avec une empreinte carbone positive attestée par des FDES. Positif, dans le sens où la fabrication des panneaux de 45 à 240 mm d’épaisseur permet de stocker plus de carbone qu’elle n’en émet. Car si l’herbe coupée est laissée comme telle, elle restitue rapidement par décomposition le carbone stocké dans les fibres. Même en rajoutant de la fibre de jute issue des sacs de cacao (20 %) et de 8 % de liant polyester, le bilan carbone est positif.
Le découpage des panneaux est aisé. © JT
Stefan Grass a cédé son procédé à Christian Roggeman, en Belgique. Ce dernier a lancé en 2019 une unité de production. Bénéficiant d’un ATE (Avis Technique Européen), l’isolant cible la France avec un partenariat pour les Défis du Bois 3.0 de l’ENSTIB, ainsi que la participation au Forum Bois Construction (édition 2022), où la particularité positive de l’isolant en termes d’émission lui a valu une présentation dans le cadre de l’atelier C6.
La mise en place des panneaux semi-rigide s'apparente à celle des autres panneaux de ce type. © JT
Gramitherm a sponsorisé l'an dernier la venue d'une cinquantaine d'architectes bruxellois frugaux au Forum de Lille. Cette année, le fabricant expose à nouveau dans un congrès centré sur le stockage du carbone. De fait, Gramitherm est sans doute le matériau isolant le plus prometteur. À Paris, une installation Gramitherm fonctionnerait en continu rien qu'avec la tonte des pelouses du tram des maréchaux, qui fait désormais presque tout le tour de la ville. Paris rêve d'espaces vert mais n'a pas encore compris les enjeux de l'usine végétale.
Alors que la production d’isolants à base de fibre de bois entre en compétition avec d’autres usages du bois et nécessite des installations colossales et une haute énergie pour le broyage, l’herbe apparaît comme une niche pleine d’avenir. Les bords d’autoroute, de voies ferrées, les aéroports, etc. : partout, l’herbe pousse et contribue à stocker du carbone, mais souvent aussi à le relarguer rapidement ensuite. Sachant que l’herbe peut se stocker sous forme anaérobie, le déchet devient précieux et en principe, une ville d’une certaine taille devrait s’accorder avec Gramitherm pour disposer d’un site de production local tout en imposant le recours à cet isolant dans la construction biosourcée.
Chantier de rénovation à Bruxelles. © JT
Pour l’heure, la fibre d’herbe n’est qu’un isolant biosourcée de plus et le public s’y perd un peu. La distribution se fait surtout via le circuit des négociants écologiques, les moyens de communication ne peuvent se comparer ni à Saint-Gobain, ni à Soprema. Et puis, on a un peu de mal à y croire ... isoler sa maison avec de l’herbe ! Le travail pédagogique est assez lourd. C’est pourquoi la prescription des isolants Gramitherm pour le nouveau siège de l’ONF, au sein du campus de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, est une aubaine et un tremplin. Clairement, le maître d’ouvrage a souhaité réduire le bilan carbone de l’opération et puiser symboliquement dans des matériaux naturels (le bois, l’herbe).
Chez Gramitherm, l’heure n’est cependant pas encore au développement de nouvelles usines, en propre ou en franchise. La région parisienne est couverte par des livraisons en camions en provenance de Belgique, à un peu plus de 300 kilomètres en accord avec l’écosystème du "label biosourcé" de Gramitherm. Ainsi, la prise de conscience de l’intérêt du marché du réemploi est récente. Naguère encore, l’approche française était de tout incinérer ou, pour l’herbe, de laisser se décomposer. Demain, la tonte des espaces verts publics et même privés se récupérera en réservoir anaérobie, transportés vers un site de production proche, avec restitution des réservoirs. C’est le sens de l’histoire !