Nous sommes dans la forêt domaniale de Bercé (Sarthe). Au bout d'une parcelle déboisée, non loin d'une route forestière, un opérateur fixe un câble sur le tronc d'un chêne fraîchement coupé. Puis un chariot tire l'énorme grume de plusieurs tonnes, le long d'un câble de 400 mètres de long, perpendiculaire à la route. Soulevée du sol, la grume est tractée dans un bruit assourdissant avant de venir chuter au bord de la route, au pied du câble-mât. D'habitude utilisée en montagne, la technique du débardage par câble a fait cet hiver son apparition en forêt de Bercé, réputée pour ses chênes d'exception.
"On démocratise le débardage par câble en forêt de plaine sur des sols sensibles", souligne Brice Gaumont, technicien forestier territorial à l'office national des forêts (ONF). "Actuellement il pleut, les sols sont un peu gorgés d'eau, cette technique est adaptée pour ne pas abîmer les sols et les tasser", ajoute-t-il. En cette fin d'hiver, le débardage par tracteur forestier est impossible, sauf à entraîner de fortes dégradations du sol.
"Un sol qui est tassé n'est plus arable, on ne peut plus faire de forêt sur un sol tassé", explique encore le technicien forestier. Un tel sol "va mettre des dizaines, des centaines, des milliers d'années à se restructurer pour être à nouveau arable et faciliter la pénétrabilité des racines en terre". Or, "notre gagne-pain, c'est la forêt. La forêt si on veut qu'elle pousse, il ne faut pas qu'on abîme nos sols", confesse M. Gaumont.
Et puis sur cette zone humide, "les engins s'embourberaient facilement", pointe Thierry Brun, câbliste venu du Puy-de-Dôme avec sa grande barbe grise.
A contrario, attendre l'été pour débarder peut avoir des conséquences sur la qualité du bois, et donc sur son prix, pour des grumes qui se vendent jusqu'à 15.000 euros et dont plusieurs ont été envoyées sur le chantier de reconstruction de Notre-Dame-de-Paris. "Des insectes vont pondre leurs larves dans le bois, faire des galeries et l'abîmer. Les champignons se développent et ça altère la qualité du bois", décrit le technicien forestier.
L'enjeu est d'autant plus fort à Bercé, forêt réputée pour ses futaies de chênes dont certaines ont plus de 200 ans. Déjà expérimenté à la Forêt du Gâvre (Loire-Atlantique) et Saint-Aubin-du-Cormier (Ille-et-Vilaine), le débardage par câble reste cependant réservé à des secteurs sensibles en plaine. "Ce sont des chantiers tests", explique Bruno Cochet, responsable service bois Bretagne et Pays de la Loire à l'ONF. "C'est intéressant pour entretenir la profession de câbliste, un réseau d'entrepreneur spécialisé qui ne peut pas travailler en hiver car il y a de la neige". Il confirme que la technique "se développe sur la moitié ouest de la France alors qu'(elle) était extrêmement rare auparavant".