La Société du Grand Paris (SGP) est relativement candide à propos de ses activités. Il faut dire que Jean-François Monteils, président de la SGP depuis mars 2021, semble avoir été traumatisé par un reportage télévisé diffusé par Complément d’Enquête le 25 mars 2021, qui, à force de raccourcis audacieux, décrivait à tort des terres excavées et polluées aboutissant dans des champs en Île-de-France. Depuis, la SGP ouvre grand ses portes.
Le chantier du Grand Paris Express, ce métro en cours de construction en région parisienne, va générer 47 millions de tonnes de terres excavées d’ici 2030. C’est un chiffre énorme, mais, rapporté en rythme annuel, cela représente seulement 10 à 20% des déchets de chantier générés chaque année en Île-de-France.
La SGP, dès 2010, a réfléchi à la manière de valoriser les terres excavées. Puis en 2012, elle s’est dotée d’un schéma directeur de gestion des déblais qui repose sur 4 notions : caractérisation, traçabilité, évacuation et valorisation.
Pour commencer, la SGP choisit soigneusement tous les sites recevant ses déblais. Chaque site – la SGP dit "exutoire" - doit posséder les autorisations administratives et environnementales adéquates.
Depuis 2017, la SGP a déployé T-Rex, un outil numérique de suivi en temps réel des bordereaux de transport des déblais. T-Rex est imposé dans tous les marchés passés par la SGP, à tous ses contractants et sous-contractants. Du coup, la SGP sait exactement où, quand et jusqu’où est collecté, transporté et déposé l’ensemble des terres excavées de ses chantiers, soit déjà 24,7 millions de tonnes déjà excavées à fin mars 2022.
La SGP a décidé d’évacuer 15 % des déblais par d’autres moyens que la route : la voie fluviale et le chemin de fer. Mais ce n’est pas si simple non-plus. Il faut des rivières, canaux et voies de chemin de fer à proximité des chantiers.
Ce qui existe pour quelques-uns d’entre eux. Mais ces moyens de transport sont déjà largement utilisés et ne peuvent pas accepter les tonnages que la SGP souhaiterait leur faire acheminer.
Fin mars 2022, 4 Mt sur les 24,7 Mt déjà extraites ont été évacuées par voie fluviale et ferroviaire, soit 16,2% du volume extrait. Fin mars 2022, la construction de la ligne 15 Sud a généré 14,6 Mt de terres excavées, 7,8 Mt pour la ligne 16, 1,1 Mt pour la ligne 17 Nord et 1,1 Mt pour la ligne 18.
Que faire avec les terres excavées ? Pour l’instant, les 27,4 Mt déjà excavés sont constitués de terres inertes à 24,2%, de 24,2% de déblais non-inertes et non-dangereux, de 2,8% de déblais sulfatés et de 0,6% de déblais non-inertes et dangereux. Au total, 49,4% des terres excavées jusqu’à présent ont été valorisées : 1,7% en réemploi (des murs anti-bruit pour l’essentiel) sur les sites du Grand Paris Express, 2,3% ont été recyclés en matières premières pour des plâtreries et cimenteries (il faut des terres homogènes et particulièrement pures), 20,4% en réaménagement de carrières (remplissage de carrières) de granulés et de gypse et 25% dans des aménagements publics ou privés. Les terres non-valorisées ont été stockées (50,4% des terres extraites). Seulement 0,5% des terres extraites ont abouti dans des Installations de stockage de déchets dangereux (ISDD). ©SGP
Si les travaux et l’excavation de la ligne 15 Sud sont pratiquement achevés, il reste encore 5,5 Mt à excaver pour la ligne 15 Ouest, 7 Mt pour la ligne 15 Est, 2,2 Mt pour la ligne 16, 3,3 Mt pour la ligne 17 Nord et 4,4 Mt pour la ligne 18.
Du point de vue géographique, 79,9% des terres valorisées jusqu’à présent restent en Île-de-France. Les départements limitrophes de l’Île-de-France accueillent 18,2% des terres valorisées, tandis que la Belgique en reçoit 0,3% et que 1,5% sont directement réutilisés sur les sites du Grand Paris Express. ©SGP
Enfin, la SGP s’est fixée comme objectif de valoriser 70% de l’ensemble des déblais. Pour l’instant, sur les 24,7 Mt déjà extraites, seulement 49,4% ont été valorisés. Du coup, les contrats de conception-réalisation des lignes 15 Est et 15 Ouest voient leurs objectifs de valorisation portés à, respectivement, 75 et 85%. Du jamais vu, paraît-il.
L’utilisation des terres excavées en tant que ressource, ce que la SGP appelle la "valorisation matière", requiert des plateformes spécialisées qui existent en trop petit nombre et les filières nécessaires en sont à leurs balbutiements. La SGP organise des appels à projets pour accélérer leur apparition, puis sélectionne et soutient les idées les potentiellement les plus productives. ©SGP
Au passage, si les déblais de la SGP ne représentent que 10 à 20% des déblais et déchets de chantier annuellement générés en Île-de-France, on se demande ce que devient l’immense reste qui n’est pas du ressort de la SGP.
Le site du Puits Agnès sur la ligne 15 Est à La Plaine Saint-Denis et tous les ouvrages qui lui sont liés représente un contrat de 2 milliards d’euros qui a été remporté par un groupement d’entreprises piloté par Eiffage. Il est géré par Bernard Cathelain, membre du directoire de la SGP, à gauche, et par Pascal Hamet, directeur de projet du lot 16.1 pour Eiffage. ©PP
Les déblais extraits du puits Agnès sont particulièrement aqueux. Ce qui ajoute une difficulté particulière au chantier. Lorsqu’il faut changer les têtes de forage du tunnelier, l’entreprise doit compenser la pression du terrain, environ 2 bars : elle dresse une cloison étanche qui maintient l’outil et le terrain dans une atmosphère à 2 bars. Les compagnons sont, comme des plongeurs, tenus de suivre des étapes de compression (environ 2 heures), peuvent travailler 2 à 3 heures à cette pression de 2 bars, avant de suivre des étapes de décompression pour sortir de cette chambre étanche (encore 2 heures). ©PP
Au fond du puits Agnès, une bande transporteuse spécifique remonte les déblais – eau comprise – extraits du tunnel en creusement par le tunnelier, puis acheminés jusqu’au puits Agnès. ©PP
Ensuite, les déblais sont évacués pour partie par un convoyeur capoté jusqu’à des barges sur le canal tout proche, en passant au-dessus d’une route départementale. 3000 t sont évacuées par jour de cette manière grâce à 10 barges de 400 t de capacité en rotation sur le canal Saint-Denis. Le reste, environ ¼ des déblais, est évacué par camion. ©PP