Le bouclier tarifaire pour les entreprises est moins généreux que pour les ménages

Le bouclier tarifaire pour les entreprises est moins généreux que pour les ménages

De nouvelles modalités de soutien des entreprises face à la hausse des prix de l’électricité et du gaz ont été annoncées le 18 novembre. Elles sont relativement compliquées et peu généreuses. © pressfoto sur Freepik




En qui concernent les entreprises, il faut distinguer les mesures générales applicables à toutes les entreprises, celles qui concernent les TPE, celles qui s’adressent aux ETI (Entreprises de taille intermédiaire) et celles qui portent sur les grandes entreprises. Tout cela variant encore en fonction du fait que les entreprises soient ou non "énergie intensives", c’est-à-dire consomment beaucoup d’énergie pour leur activité, ou pas. Pour mieux comprendre, nous avons appelé Marc Sanchez, Secrétaire général du Syndicat des Indépendants et des TPE (Très petites entreprises).

 

C’est un sujet très complexe, toute erreur qu’un lecteur pourrait détecter est attribuable à une mauvaise compréhension de notre part et sera promptement rectifiée dès que nous en serons avertis. Accrochez-vous, voici ce que nous avons compris.

 

 

La grosse cavalerie

 

 

Le Ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique – qui sera appelé "Bercy" dans la suite de cet article – insiste beaucoup sur le fait que toutes – toutes ? Toutes ! – les entreprises bénéficient en 2022 de la baisse de la fiscalité sur l’électricité (la TICFE ou Taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité) à son minimum légal européen. En 2023, la TICFE sera maintenue à son niveau le plus bas. Collectivement, souligne Bercy, cela représente un soutien de 8,4 milliards d’euros pour les entreprises en deux ans.

 

Ensuite, poursuit Bercy, toutes les entreprises, quelles que soient leurs tailles, peuvent aussi demander chacune à leur fournisseur d’électricité de bénéficier de l’Arenh pour une partie de leur électricité (pas plus de 50% et les modalités précises du calcul de cette proportion nous échappent encore parce que nous n’en avons nulle part trouvé la description) au tarif de 42€/MWh en 2022 et de 49€/MWh en 2023.

 

 

Le bouclier tarifaire en électricité et en gaz

 

 

Le bouclier tarifaire électricité et gaz est étendu aux entreprises selon certains critères et il sera poursuivi en 2023. Comme pour les ménages, il limite l’augmentation des tarifs à 4% en 2022, puis à 15% en 2023.

 

En électricité, le bouclier tarifaire est accessible aux entreprises de moins de 10 salariés, dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 2 millions d’euros et souscrivant un contrat d’électricité d’une puissance inférieure à 36 kVA, dans les mêmes conditions que pour les ménages.

 

L’entreprise en fait la demande à son fournisseur d’énergie qui doit une réponse favorable.

 

En principe, pour le gaz naturel, les entreprises ayant droit au bouclier tarifaire répondent aux mêmes critères de nombre de salariés et de chiffre d’affaires qu’en électricité. Le critère de puissance de 36 kVA est, en revanche, inapplicable au gaz naturel et n’est remplacé par rien.

 

Un compteur domestique de gaz naturel possède le plus souvent un débit de de 16 m³/heure. Comme 1 m³ de gaz naturel (du gaz B pour les puristes) contient environ 10 kWh d’énergie, la "puissance" d’un compteur gaz domestique atteint déjà 160 kW. Mystère donc et nous n’avons pas trouvé la réponse quant au critère puissance ou débit pour le gaz naturel. Si quelqu’un la connaît, s’il-vous-plaît, indiquez-la nous. Nous en ferons bénéficier tous les lecteurs.

 

 

Au-delà de 36 kVA

 

 

En électricité, la question se complique pour les entreprises dont le contrat d’approvisionnement en électricité atteint ou dépasse 36 kVA. Ces aides sont également valables pour le gaz selon des modalités encore moins claires. Dans tous les cas, il s’agit de remboursements après coup : les entreprises doivent avancer les fonds.

 

Selon Marc Sanchez, deux solutions sont possibles pour les entreprises. La première qu’il appelle "Ukraine Classique", conformément au jargon administrativo-règlementaire qui apparaît toujours rapidement, existe depuis avril 2022 et demeure accessible jusqu’au 31 décembre 2022. Ses modalités ont été revues deux fois en 2022, puis simplifiées le 18 novembre 2022.

 

Cette aide a été instituée par le décret n° 2022-967 du 1er juillet 2022, modifié depuis. D’une manière générale, elle est ouverte aux entreprises :

 

  • créées avant le 1er décembre 2021 ;
  • qui sont résidentes fiscales françaises ;
  • qui n’exercent pas leur activité principale dans une activité de production d’électricité ou de chaleur ou dans une activité d’établissements de crédits et / ou financiers ;
  • qui ne se trouvent pas en procédure de sauvegarde, ni de redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire ;
  • enfin, qui n’ont pas de dette fiscale ou sociale impayée au 31 décembre 2021.

 

Cette aide est attribuée par période trimestrielles initialement, bimensuelles depuis septembre 2022 : septembre-octobre, novembre-décembre. Trois montants d’aide sont accessibles : jusqu’à 4 millions d’euros, jusqu’à 50 M€, jusqu’à 150 M€, en gaz comme en électricité.

 

Commençons par la période septembre-octobre 2022 pour un montant jusqu’à 4 M€. Pour y accéder :

  • le prix de l’énergie pendant la période de demande d’aide (septembre et/ou octobre 2022) doit avoir augmenté de 50 % par rapport au prix moyen payé en 2021,
  • les dépenses d’énergie de l’entreprise pendant la période de demande d’aide doivent représenter plus de 3 % de son chiffre d’affaires 2021.

 

Le montant d’aide correspond pour cette tranche à 50 % de l‘écart entre la facture 2021 majorée de 50 % et la facture 2022, dans la limite de 70 % de la consommation 2021. Traduction : 4 M€ maximum.

 

 

Pour les entreprises qui présentent des dépenses d’énergie plus importantes

 

 

Comme l’indique Bercy, une aide renforcée peut être mobilisée pour un montant maximal de 50 millions d’euros et jusqu’à 150 millions d’euros pour les secteurs exposés à un risque de fuite de carbone.

 

Les critères pour en bénéficier sont :

 

  • le prix de l’énergie pendant la période de demande d’aide (septembre et/ou octobre 2022) doit avoir augmenté de 50 % par rapport au prix moyen payé en 2021,
  • avoir des dépenses d’énergie 2021 représentant plus de 3 % du chiffre d’affaires 2021 ou des dépenses d’énergie du 1er semestre 2022 représentant plus de 6% du chiffre d’affaires du premier semestre 2022,
  • avoir un excédent brut d’exploitation (EBE), soit négatif, soit en baisse de 40 % au moins sur la période.

 

Les détails du calcul pour 2022 sont disponibles ici.  La procédure de demande est décrite sur le sur le site impots.gouv.fr

 

Pour les aides allant jusqu’à 50 millions d’euros, le montant correspond à 65 % du différentiel entre la facture 2021, majorée de 50 %, et la facture 2022, dans la limite de 70 % de la consommation 2021. 

 

Pour les aides allant jusqu’à 150 millions d’euros, le montant correspond à 80 % du différentiel entre la facture 2021 majorée de 50 % et la facture 2022, dans la limite de 70 % de la consommation 2021.

 

Pour les mois de septembre et octobre 2022, et pour ces entreprises grandes consommatrices d’énergie, le guichet sera ouvert fin novembre. Le guichet pour la période novembre–décembre 2022 sera ouvert début 2023.

 

 

De nouvelles mesures en 2023

 

 

Comme nous l’indiquons au-dessus, en 2023, la baisse de la TICFE, l’accès à l’ARENH et le bouclier tarifaire sont maintenus jusqu’au 31 décembre 2023.

 

L’ "Ukraine Classique", cependant, sera remplacée par l’ "Amortisseur". Le gouvernement appelle ça l’amortisseur d’électricité, mais il s’applique également aux contrats de livraisons de gaz naturel, selon les mêmes modalités, avec toujours le même problème du critère puissance évoqué au-dessus.

 

Les modalités précises du fonctionnement de l’amortisseur seront déterminées par un texte réglementaire qui n’est pas encore paru.

 

En attendant, Bercy indique que toutes les TPE qui ne sont pas protégées par le bouclier tarifaire car elles ont un compteur électrique d’une puissance supérieure à 36 kVA et toutes les PME bénéficieront d’un nouveau dispositif d’amortisseur électricité [qui marche de la même manière pour le gaz] :

 

  • ces entreprises, qu’elles aient déjà signé un contrat ou qu’elles soient en cours de renouvellement, bénéficieront du mécanisme dès lors que le prix du MWh de référence pour la part d’approvisionnement au marché de leur contrat [c’est-à-dire la part non-ARENH dont nous n’avons pas compris le calcul] est supérieur à 325€/MWh,
  • cet amortisseur se matérialisera par une aide forfaitaire sur 25 % de la consommation des entreprises, permettant de compenser l’écart entre le prix plancher de 325€/MWh et un prix plafond de 800€/Mwh,
  • l’amortisseur sera plafonné à 800€/Mwh afin de limiter l’exposition du budget de l’État à la flambée des prix : l’aide maximale serait donc d’environ 120€/MWh pour les entreprises concernées,
  • la réduction de prix, induite par l’amortisseur électricité, sera automatiquement et directement décomptée de la facture d’électricité de l’entreprise par son fournisseur [d’électricité et/ou de gaz naturel].

 

Une compensation financière sera versée aux fournisseurs d’énergie par l’État via les charges de service public de l’énergie. Rappelons au passage que la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) a récemment indiqué que le montant des charges de service public de l’énergie à compenser par l’Etat aux opérateurs pour 2023 serait de – 11,1 Md€ (moins onze milliards et 100 millions d’euros pour celles et ceux qui ont lu trop vite). La compensation financière au titre de l’amortisseur sera donc – et au-delà – financée par les énergies renouvelables en 2023.

 

 

Les cas types de Bercy font peur à tout le monde

 

 

Pour éclairer la simplification des dispositifs 2022 annoncée le 18 novembre, Bercy a publié une série de 6 cas types. Rien n’est publié pour l’instant à propos des modalités 2023, puisqu’elles ne sont pas encore parfaitement définies.

 

Autant le dire tout de suite, ces cas types font vraiment peur. Le premier porte, par exemple, sur une boulangerie artisanale, éligible à l’aide "Ukraine Classique" jusqu’à 4 M€. Cette boulangerie payait son électricité 71 €/MWh en moyenne en 2021 et avait une facture d’électricité de 7 500 € en septembre 2021.

 

La boulangerie a vu sa facture d’électricité tripler en septembre 2022, atteignant un prix de 213 €/MWh et un montant total de 22 500 € pour le mois. Le boulanger, selon Bercy, bénéficiera de 3 938 € d’aide pour le mois de septembre, soit une prise en charge par l’Etat de 26% de l’augmentation de sa facture.

 

Après aide, se rengorge Bercy, la facture de septembre de la boulangerie sera ramenée à 15 563 € et le prix du MWh effectivement payé descend à 176 €. Tout ça appelle deux constatations tout de même. Premièrement, le boulanger doit payer les factures, puis se faire rembourser selon une procédure, simplifiée, mais encore complexe. Ensuite, il fait face, pour le seul mois de septembre, à une dépense supplémentaire de 8 063 €.

 

Il faut mettre ces chiffres en regard du revenu d’un boulanger. Selon l’Observatoire Fiducial, la rémunération moyenne brut d’un dirigeant de boulangerie, dont le CA annuel se trouve entre 150 000 et 300 000 €, atteint 28 861 € en 2022.

 

En trois mois, selon le calcul de Bercy ci-dessus, le boulanger aura effacé sa rémunération annuelle brute : c’est la ruine assurée, assez rapidement dans la mesure où il est peu probable qu'il puisse transférer la totalité du surcoût dans l'augmentation du prix de ses produits

 

C’est pourquoi Marc Sanchez réagit : "Sur le terrain règnent la colère et l’incompréhension. Au-delà des calculs complexes, le seul élément qui compte est le reste à charge pour le professionnel. Or, dans l’exemple pris par Bercy, il est impossible d’expliquer à un boulanger que l’État propose une ristourne de 4.000€ sur une facture d’énergie qui augmente de 15.000€. Ces 11.000€ de différence correspondent en moyenne à la moitié de sa rémunération annuelle voire à son intégralité dans de trop nombreux cas."

 

 

"Ajoutons à cela, poursuit Marc Sanchez, le décalage de trésorerie avant remboursement, la complexité pour remplir les données requises par la DGFip, le remboursement des PGE (prêts garantis par l’Etat) et des dettes Urssaf et on obtient tous les ingrédients d’une implosion sur le terrain."  ©Marc Sanchez

 

 

Il demande une solution à l’allemande : "la problématique du coût des énergies concerne 600 000 TPE et leurs 1,8 million de salariés. L’heure est grave et personne ne semble en prendre la mesure. Les autorités allemandes ont plafonné le prix du mWh à 130€. C’est une piste à suivre… de toute urgence."

 

En tout cas, on peut vraiment s'inquiéter. Nous envisageons un troisième article sur le bouclier tarifaire, cette fois-ci appliqué aux Collectivités Territoriales. Nous attendrons cependant sagement que le Salon des Maires, qui se tient Porte de Versailles à Paris du 22 au 24 novembre, soit passé. Il pourrait en effet fournir l’occasion de nouvelles annonces à ce propos.

 

 



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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